C’est un grand livre. Pas seulement parce que c’est un roman graphique de format ample : 27 x 35 cm, de 264 pages, où défilent les plus grands musiciens brésiliens de ces soixante dernières années. Mais parce ce que nous avons affaire à une enquête touchante et passionnante qui parle de musique et d’un musicien avec une magnifique éloquence.
On connaît l’expression « Please don’t shoot the pianist. He is doing his best » (« S’il vous plaît, ne tirez pas sur le pianiste. Il fait de son mieux »). Elle avait été recueillie par Oscar Wilde lors de sa tournée aux Etats-Unis en 1896 (il faut dire que dans les saloons, ça y allait…). Elle est entrée dans le langage courant depuis. Ici, un musicien brésilien a disparu sans que l’on sache pourquoi, raflé par la police de la dictature argentine qui l’avait sans doute pris pour un activiste communiste en raison de ses longs cheveux et de son look « artiste ».
L’Amérique latine avait subi entre 1954 (Guatemala) et 1976 (Argentine), en passant par le Brésil (1964), une succession de coups d’état militaires, soutenus par la CIA, soucieuse d’éviter que la révolution cubaine ne s’étende à tout le continent. La tournée de Tenório a lieu à ce moment-là. Sommé de se justifier sur sa disparition, le général Videla déclare : « Il n’a pas de statut. Il n’est ni mort, ni vivant, il a disparu. » C’est d’autant plus incompréhensible que Tenório Jr n’a rien d’un activiste politique. Seule la musique l’intéresse.
Jeff, écrivain américain amoureux de jazz, enquête sur sa mort, lui découvre une maîtresse (il est marié et père de quatre enfants), fait le tour de ses collègues musiciens (que des stars : Chico Buarte, Gilberto Gil, Tom Jobim…), de sa famille proche ou éloignée, des archives… Pas ou peu de traces de ce pianiste discret en début de carrière. Qu’est-il devenu ? Tout doucement, la vérité apparaît, terrible parce que banale, tandis que se dessine le portrait d’un musicien de génie, parmi les plus importants de son temps.
Décidément, le tout nouveau label La Cité Graphique fait de jolies étincelles. On a déjà vu ce dont était capable le duo entre le cinéaste oscarisé Fernando Trueba et le prodigieux graphiste et auteur de BD catalan Javier Mariscal sur l’adaptation en roman graphique d’un dessin animé, Chico et Rita, en 2016 (éditions Denoël Graphic).
Le film est sorti en janvier dernier, cette adaptation en roman graphique lui succède. Ce qui est sûr, c’est qu’on entre passionnément dans cette histoire et que la première envie que l’on a en la lisant, c’est de l’accompagner d’une bande-son collectée sur la toile. Volupté garantie !
(par Didier Pasamonik - L’Agence BD)
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Ils ont tiré sur le pianiste – Par Fernando Trueba et Javier Mariscal – La Cité Graphique