L’exposition Regards croisés de la bande dessinée belge est l’un des évènements majeurs de l’année de la BD à Bruxelles. Un large spectre de créations y est représenté : on retrouve tant les grands scénaristes populaires comme Raoul Cauvin et Jean Van Hamme, que des auteurs d’avant-garde tels Dominique Goblet ou Thierry Van Hasselt. Si le choix des auteurs exposés a dû être cornélien, aucune tendance ne semble avoir été laissée de côté.
L’entrée en matière historique, tente de répondre aux questions : Qu’est ce que la BD belge ? Pourquoi ce courant créatif s’est-il particulièrement développé en Belgique ?
Majestueusement surplombées par une fresque signée Ever Meulen , Joost Swaarte et François Avril, les vitrines d’introduction offrent des éléments de réponse. En s’appuyant principalement sur trois points : l’importance de la bande dessinée dans la presse confessionnelle, la pénurie de la seconde guerre et la qualité de certains entrepreneurs belges. Au sortir de la guerre, les belges règnent sur la bande dessinée européenne.
Une situation dominante qui perdurera jusqu’à la révolution française des années 1960 et 1970 avec les Goscinny, Gotlib, Druillet ou Brétécher qui lanceront leurs propres revues, ou un éditeur comme Eric Losfeld qui, l’exposition le rappelle, publia le premier album d’un certain Jean Van Hamme [1] . C’est également une époque où de jeunes nouveaux venus vont revisiter, sans maniérisme, les grands noms d’une école belge qui s’ignore encore. En l’espace de quelques mois, de 1977 à 1978, le Hollandais Joost Swarte invente le terme de "Ligne claire" et réinvente le style d’Hergé, les Français Floc’h et Rivière publient leur premier album revisitant E.P. Jacobs et enfin Yves Chaland et Luc Cornillon signent Captivant, recueil de récits dans l’esprit des Héroïc Albums de Maurice Tillieux et du Franquin des années cinquante.
Après ce préambule historique, le parcours de l’exposition invite à découvrir vingt cellules consacrées (dans l’ordre) à Cauvin, Van Hamme, Hermann, Walthéry, Marvano, Ptiluc, Sokal, Frank, Comès, Dufaux, Yslaire, Schuiten, Geluck, Midam, Tome, Johan De Moor, Herr Seele, Stassen, Goblet & Van Hasselt. Il s’agit de présenter des auteurs singuliers, qui ont marqué la création contemporaine mais également, originalité de l’exposition, de montrer les apports et échanges internationaux, à travers les « musées personnels ».
En effet, chacun des vingt a été invité à choisir quelques planches d’auteurs qui ont marqué ou influencé son travail. C’est là l’occasion de voir des planches exceptionnelles, d’auteurs rarement exposés en Europe comme Winsor McCay (Little Nemo), George McManus (Bringing Up Father), Milton Caniff (Terry and the Pirates), Alex Raymond (Flash Gordon), Carl Barks (le dessinateur historique de Picsou) ou Charles Schulz, mais surtout d’élargir le propos de l’exposition à la création internationale. On remarquera simplement l’absence de manga dans les différents musées personnels.
Le principe de l’exposition permet de présenter une cohorte de planches, de confronter les styles, les formats, de jeter un œil dans les carnets, les pages de scénario dans une mise en scène extrêmement simple mais efficace. On doit souligner l’extraordinaire variété du matériel exposé. Le visiteur pourra tout au long du parcours faire le grand écart entre des planches de Tarzan et des dessins de Reiser, des peintures de Paul Cuvelier et des strips de Krazy Kat.
Autre originalité de cette exposition « Regards croisés », les vitrines personnelles, où les vingt ont pu s’approprier un espace et l’envahir à leur manière. Certains sont partis vers le ready-made comme Johan De Moor et son caddie à souvenirs soldés, d’autres vers la reconstitution de leur espace de travail. D’autres encore ont voulu mettre en valeur les racines de leur travail comme l’hommage au jazz de Walthéry ou les souvenirs du circuit de Zolder par Marvano. Ces vitrines sont également l’occasion d’apporter du volume à cette grande exposition de planches originales. L’investissement personnel des vingt dans la conception de ces vitrines est l’un des indéniables intérêts de cette exposition. Le parcours s’achève avec la veine expérimentale : les travaux de Dominique Goblet, seule femme de l’exposition, et la bande dessinée poésie de Thierry Van Hasselt.
Qu’ils soient scénaristes, cartoonists, dessinateurs réalistes ou humoristiques, ces vingt auteurs servent de fil rouge à un parcours complet. Le visiteur peut contempler des grands maîtres, se frotter à des auteurs cross media qui s’aventurent dans d’autres domaines narratifs (le succès de Sokal dans le jeu vidéo en est le meilleur exemple [2]), ou carrément vers l’art plastique.
À la fois festin pour les amateurs éclairés et menu dégustation pour les profanes, Regards croisés est une exposition qui remplit le cahier des charges, ô combien délicat, de brosser un portrait en grand angle de la création belge en bande dessinée.
On en sort des images plein la tête.
(par Morgan Di Salvia)
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En médaillon : l’affiche de l’exposition, réalisée par Ever Meulen.
Toutes les photos sont © Morgan Di Salvia
Du mardi au dimanche de 10h à 17h Musées royaux des beaux-arts de Belgique
Rue de la Régence, 3
1000 Bruxelles
Commander le catalogue de l’exposition sur Internet
[1] Epoxy, avec Paul Cuvelier, paru en 1968
[2] Sokal est le créateur de cinq jeux vidéo à succès dont L’Amerzone et Paradise
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