Fluide Glacial a 40 ans cette année. Putain, 40 ans !
Fondée par Marcel Gotlib et Jacques Diament en mai 1975, la revue Fluide Glacial correspondait à un besoin de la société française de ce temps-là : celui d’un humour décomplexé où l’on pouvait rire de sexe sans cacher la chose, un lieu où l’humour potache -littéralement : niveau collège- pouvait s’exprimer en toute liberté sans arrière-pensée politique, philosophique ou autre.
Hara Kiri et Charlie Hebdo voulaient bousculer le pouvoir, pas Fluide. Le titre est transparent : il s’agit de la petite blague de farces et attrapes subrepticement glissée sur le siège du professeur. Le sous-titre et son orthographe approximative : "umour et bandessinées" souligne encore l’humour de collégien.
Fluide s’attaquait-il, comme Charlie, aux religions, à l’ordre établi ? Oui, un peu, mais pas férocement. Il s’agissait avant tout de dérider les esprits sérieux comme l’illustre très bien la couverture d’Alexis pour le quatrième numéro. On pourrait croire que le fakir du premier numéro était une critique de l’hindouisme (on sent que quelques millions d’Indiens, qui ne l’avaient pas vu passer, vont se mettre à défiler...), mais non, c’est un fakir qui est visé.
Que le Jésus de Goossens qui le décrit en immigré venu de Palestine rejeté par la société française se moquait du Christianisme ; sans doute un peu. Que Tintin en train de se faire une piquouze d’héroïne était là pour effaroucher la secte des idolâtres d’Hergé ; bien entendu, mais ce sont surtout les avidadollars, idolâtres du tiroir-caisse qui ont été interloqués...
Quand on feuillette l’ouvrage "Il était une fois Fluide Glacial" dont une version light se trouve également en kiosque, on ne trouve pour ainsi dire pas de charge contre les ténors de la politique, pas non plus de grands sujets de société clivant comme le FN ou le Mariage pour tous, ou alors de loin, sans avoir l’air de trop y toucher, comme dans ce numéro spécial sur la Franc-maçonnerie ou cet autre "Gay Friendly"...
Le secret d’un humour qui n’offense pas, c’est de s’attaquer au cliché. Dans Astérix, des dizaines de populations sont décrites (corses, belges, helvètes..) sans que jamais on puisse y trouver une once de racisme : " Je pense que tout le monde a compris qu’avec Astérix nous aimons parodier les clichés que les gens ont en tête" disait Goscinny.
Alors certes, la couverture du dernier Fluide signée Pixel Vengeur & Le Chien, n’est pas vraiment drôle. Sans doute parce que le cliché est par trop cryptique (c’est une allusion directe à une scène de Tintin et le Lotus bleu) mais surtout parce que le message n’est absolument pas parodique : on peut y lire vraiment l’idée que les "Jaunes" nous envahissent. La quatrième de couverture est de la même eau : les Chinois viennent manger le pain des Français. Rien de drôle.
Dans le reste du numéro , les auteurs abordent assez peu la thématique annoncée en couverture et qui se justifie par un appel de notes à un film de Jean Yanne intitulé "Les Chinois à Paris" (1974) se moquant de l’Empire du milieu. Sauf que le film a été fait à un moment où il y avait encore des Maoïstes en France, des vrais avec cols assortis. Dès lors, ressortie de nos jours, la blague tombe à plat. Ça arrive à tout le monde.
En relisant les pages d’Alexis et de Gotlib, paraissant dans l’album anniversaire, les cinq pages de La Publicité dans la joie, on trouve un personnage en train de stigmatiser "trois individus assez répugnants et appartenant à des races incontestablement inférieures". Ils ont pour nom : N’Gala Oumboulélé, Mohamed Arouah Abdel et Isaac Jacob Levy. Superdupont, caricature de l’esprit cocardier français, les insulte copieusement. Ils restent parfaitement impassibles. Parce qu’ils portent un produit typiquement français et souverain pour combattre le racisme : les Boules Quiès.
La parabole est parlante, et prenez-en de la graine, ô vous, âmes facilement irritables : il est nécessaire parfois de se boucher les oreilles, de ne pas voir. On évite de cette façon les embrasements mortels que l’on a vécu ces derniers jours.
(par Didier Pasamonik - L’Agence BD)
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