Lorsqu’on pense à l’œuvre de Gilles Chaillet, on l’associe directement aux deux grandes séries qui l’ont fait connaître du grand public, Lefranc et Vasco, dont les aventures rythmèrent les pages du journal Tintin de 1976 à la fin de sa publication.
C’est pourtant dans un autre grand journal, Pilote, que le Parisien fit ses débuts. À moins de vingt ans, il débuta en 1965 pour un remplacement qui lui permit de faire ses premières armes. Des coloriages des grandes séries comme Blueberry, Achille Talon ou Tanguy Laverdure, il passe à l’encrage, en particulier au sein du studio Uderzo où il apprend la rigueur du métier. En plus de son travail sur les albums, il réalise de nombreuses illustrations, ainsi que de petits albums mettant Idéfix en scène.
Les années Tintin
C’est en 1976 que Jacques Martin lui demande de reprendre sa série Lefranc qu’il ne peut tenir de front avec son travail au sein du Studio Hergé et son implication dans Alix. Après Bob de Moor, Lefranc va faire avec Chaillet un retour en force, devenant un véritable référent du journal des 7 à 77 ans. Des Portes de l’enfer au Vol du Spirit paru en 1998, la série reste un incontournable pour les fans de l’âge d’or, avec un encrage empreint d’une grande précision, et une multitude de détails pour une qualité qui ne baissera pas avec les années.
Si Gilles Chaillet a pu s’associer ainsi aussi longtemps avec Jacques Martin, c’est qu’il partageait comme lui la passion de l’Histoire. En 1979, Le Lombard lui propose de créer un nouvel héros pour le journal Tintin. Si l’époque romaine est depuis toujours le dada de Chaillet, il s’interdit de concurrencer Alix ! Qu’importe, le médiéval l’a toujours attiré, et c’est en se remémorant ses lectures d’enfance qu’il créée Vasco, ce commis de banque qui va autant sillonner tant l’Italie, que l’Europe et ses alentours. « J’ai trois amours, se plaisait à dire Gilles Chaillet, la bande dessinée, l’Histoire, Rome et plus largement l’Italie : Vasco est né de ces trois passions conjuguées ! »
Pour Vasco, Chaillet accentue l’aspect réaliste de ses personnages afin de se distancier de Jacques Martin. Mais ce désir de se détacher du maître de l’École de Bruxelles entraîne un hiatus entre les personnages et les décors. Chaillet atténua cette dichotomie pour la parution en albums.
Changements d’horizon
Après l’aventure Lefranc, et tout en continuant de mettre en scène l’infatigable Vasco, Chaillet répond favorablement à la demande de Didier Convard de jouer la « guest star » sur le premier tome du Triangle secret. Cette collaboration rapprocha les deux anciens dessinateurs du journal de Tintin, et c’est ainsi qu’ils lancèrent ensemble Vinci, un diptyque audacieux qui mettait en scène un bien sombre Léonard.
Paradoxalement, Vinci marque également de la fin de Vasco dessiné par Chaillet, sa main, défaillante, ne pouvant plus suivre cette production à grande échelle. Tandis que son banquier siennois est repris par Frédéric Toublanc, Chaillet se consacre davantage à l’Italie à d’autres époques, notamment dans La Dernière Prophétie. Après la réussite de Vinci, Chaillet et Convard avaient décidé de se lancer dans les aventures d’une autre figure charismatique de la Renaissance : Michel-Ange, mais ce projet ne put aller à son terme.
Si la santé de Gilles Chaillet ne lui permit plus d’aligner les planches avec la qualité et la quantité qu’on lui connaissait, l’envie de raconter des histoires se faisait en revanche de plus en plus présente. C’est ainsi qu’il sort le thriller Intox avec Olivier Mangin et qu’il relance Bernard Capo sur une série au long cours baptisée Tombelaine, mettant en scène un jeune homme fuyant une sombre affaire de famille pour se jeter dans la Révolte des Boxers, à Pékin.
Roma : Amor !
Quel autre auteur de bande dessinée donna plus de sens à cette anagramme ? Après les deux Voyages d’Orion, devenus par après Les Voyages d’Alix, dans lesquels il consacre la ville éternelle avec Jacques Martin, Gilles Chaillet n’eut de cesse d’y revenir.
Si la fiction était toujours présente avec La Dernière Prophétie, c’est certainement avec Dans la Rome des Césars qu’il prouve le mieux son attachement pour la Cité éternelle : l’ouvrage reprend effectivement le plan total de la ville avant son déclin, quartier par quartier. La minutie de la reconstitution invite le lecteur à la découvertes des commentaires passionnés de Chaillet : l’ancienne capitale de l’Empire retrouve les splendeurs des grands moments qui ont fait son histoire.
Plus récemment, alors que la santé de l’artiste s’était détériorée ces dernières années, le triumvirat de ses pensées : la bande dessinée, l’Histoire et Rome continuait de le passionner. Il avait plublié voici quelques mois Dioclétien, dessiné par Christophe Ansar et paru chez un nouvel éditeur au nom latin caractéristique, Cognito. Cet album comportait quelques pages explicatives prouvant que la fiction pouvait aller de pair avec une documentation rigoureuse et le désir de partager sa passion.
Chaillet avait également lancé une nouvelle série avec Christian Gine chez Glénat : Les Boucliers de Mars. C’est avec son entrain et sa bonne humeur coutumière qu’il avait expliqué son projet à Nicolas Anspach : « [Ma nouvelle série est] un western antique et romain ! Dans Les Boucliers de Mars, les Romains feront les ‘’Tuniques Bleues’’ et les ancêtres des Iraniens seront les Indiens… Ils auront leurs montagnes et leurs canyons ! Tous les ingrédients du western seront inclus dans cette histoire. Et on y retrouvera aussi ma rigueur sur le plan historique ! »
Salut l’artiste !
Celui qui dessinait déjà l’Histoire dans ces cahiers d’écolier restera sans nul doute un de ses plus beaux témoins en bande dessinée, en particulier pour ce qui est de l’Italie et Rome. Grand travailleur, il savait partager sa passion, que cela soit avec ses amis ou les collaborateurs qui l’avaient rejoint. Le dernier en date n’est autre que Marc Jailloux, auteur du remarquable dernier Orion, un auteur promis à un grand avenir.
Si le flambeau continue sa route dans d’autres mains, la disparition de Chaillet laisse néanmoins un goût d’amertume. Une des meilleures façons de l’adoucir est sans doute de se plonger dans Les Secrets de Vasco paru récemment au Lombard et qui reprend un grand nombre de témoignages à propos de l’auteur, ainsi que ses confidences. Un album conçu déjà comme une sorte d’hommage.
(par Charles-Louis Detournay)
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Photo en médaillon : © N. Anspach.
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