Nous le savions malade depuis longtemps. À Angoulême où il venait régulièrement, comme membre de l’Académie, depuis son élection en 1980, il était absent lors du 40e anniversaire. Nous qui nous étions habitués à sa présence depuis des années, cela nous fait un drôle d’effet.
Fred est un cas à part dans la bande dessinée française. Né à Paris le 5 mars 1931, il venait d’avoir 82 ans. Il était originaire d’une famille grecque expulsée par les Jeunes Turcs de Constantinople (actuellement Istanbul) au lendemain de la Première Guerre mondiale.
La bande dessinée, il la découvre pendant la guerre. Il habitait rue de la Paix à Paris, où son père était cordonnier. Un jeune voisin, dont la mère est concierge, le fait entrer dans les locaux d’Opera Mundi, la célèbre agence créée par Paul Winkler en 1928. L’éditeur du Journal de Mickey et de Robinson. Winkler, parce que juif, a été déchu de sa nationalité française par Vichy et une partie de ses biens étaient sous séquestre. C’est dans ce contexte que Fred découvre les grands noms de la bande dessinée américaine comme il l’expliquait à notre collaborateur Florian Rubis : "On sentait que tout avait été abandonné dans l’excitation. Des albums traînaient. Il y avait sûrement des originaux, de Mandrake et autres. Mais je ne m’en rendais pas compte, évidemment, à l’époque. Et j’avais emmené plusieurs albums."
À 18 ans, il place son premier dessin à Ici Paris, c’est le début d’une carrière de caricaturiste inspirée, comme bien d’autres à l’époque par Chaval. Il dessine pour France Dimanche, Paris Match, Le Hérisson... Mais aussi Quartierlatin, une feuille vendue par un certain Georges Bernier, le futur professeur Choron.
Avec ce dernier et François Cavanna rencontré à Ici-Paris, ils fondent Hara-Kiri en septembre 1960 qui, avec Pilote créé un an plus tôt seront les fers de lance de la contre-culture en France dans les années suivantes.
C’est d’ailleurs René Goscinny, alors à la direction de Pilote, qui lui ouvre vraiment les portes de la bande dessinée en 1966. La première histoire de Philémon, La Clairière des trois hiboux, offre aux lecteurs du journal d’Astérix et Obélix des pages d’une poésie et d’une étrangeté jusque là inédite dans la presse des jeunes.
Devant le peu d’enthousiasme des lecteurs, Goscinny lui confie des scénarios et c’est dans ce contexte qu’il écrit Time is Money pour le talentueux Alexis. Il revient avec un projet de Philémon que Goscinny accepte. La collection de 15 volumes a été rééditée par Dargaud en trois intégrales en 2011.
Parallèlement, il enchaîne une série de one-shots (ou romans graphiques, selon l’appellation commerciale d’application) : Le Petit Cirque (1973), Le fond de l’air est frais (1973), Hum ! (1974), Ça va, ça vient (1977), Y a plus d’saison (1978), Le Manu-Manu (1979), L’Histoire du corbac aux baskets (1993), L’Histoire du conteur électrique (1995), Le Noir, la couleur et lavis (1997), L’Histoire de la dernière image (1999), Fredissimo (2000) .
En février 2013, il publie son dernier album de Philémon, Le train où vont les choses, qui est en quelque sorte la dernière pirouette d’une carrière qui compte aussi l’écriture de chansons et la réalisation de scénarios de films.
Il faut ajouter pour être complet une biographie rédigée par Marie-Ange Guillaume, L’Histoire d’un conteur éclectique (2011) et un recueil d’entretiens, Un magnéto dans l’assiette de Fred, à paraître en mai 2013, de magnifiques ouvrages publiés par Dargaud dans le cadre d’une réhabilitation de l’œuvre de l’artiste.
Pour dissiper notre tristesse, nous replongeons dans l’humour doux-amer de son univers, prenant soudain conscience, comme lui bien longtemps avant nous, que la mort est une sinistre farce qui ne mérite rien d’autre qu’être accueillie le lendemain du 1er avril, le jour des fous. Jolie sortie, l’artiste !
(par Didier Pasamonik - L’Agence BD)
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