Au départ, Scott Pilgrim était une bande dessinée apparemment sans prétention. Un feuilleton hasardeux, attirant par ses côtés dilettantes et son astuce narrative, penchant tantôt vers le réalisme à la petite semaine, tantôt vers le surréalisme jouissif. Six ans après la parution du premier volume, Scott Pilgrim est devenu emblématique de la vague geek qui a indubitablement colonisé la production culturelle et artistique de ces dernières années. Mais on aurait tort de voir dans ces six petits livres précieux un simple manifeste générationnel ou, pire, une tentative superficielle de surfer sur la vogue.
Si Bryan Lee O’Malley utilise le vocabulaire des jeux vidéo old school, c’est à des fins poétiques : Scott, un adulescent traîne-savate, se remet difficilement d’une rupture, dont on comprend qu’elle l’a plongé dans la dépression. Il fait partie d’un groupe de rock "indé". Il vit, ou plutôt squatte, à Toronto. Il sort avec Knives Chau, une lycéenne asiatique naïve, mais drague Ramona Flowers, mystérieuse livreuse américaine récemment arrivée en ville, et jalousement poursuivie par ses sept exs maléfiques. À travers des codes que les commentateurs ont souvent qualifié de simplets et de binaires, O’Malley décrit la réalité sociale et sentimentale d’une jeunesse velléitaire avec une drôlerie et une fantaisie uniques. En prenant le soin de semer au long de son récit des recettes végétaliennes, des cours de solfège, voire des aperçus touristiques de sa ville natale.
Le projet d’adaptation est né dès l’apparition du premier tome en 2004. C’est à Edgar Wright qui s’est auparavant signalé à la réalisation de deux habiles comédies [1] de tenir le pari apparemment impossible de la production : adapter six volumes denses en un film grand public qui ne dépasse pas les deux heures. Force est de constater que si dans sa première heure le film suit avec une fidélité remarquable les deux premiers volumes, il prend très vite ses distances avec la bande dessinée. Et pour cause : l’écriture et le tournage se sont déroulés en parallèle de la sortie progressive des derniers tomes.
Si bien que passée cette première heure plutôt enlevée et inventive, le script se replie maladroitement sur la trame du feuilleton : les combats contre les exs maléfiques s’enchaînent, comme dans un beat them all [2] linéaire. Toute l’ironie d’O’Malley est évacuée : la progression de Scott vers une relation adulte -puisqu’il s’agit bien de ça- on ne peut plus chaotique en devient logique, inévitable. Un comble.
“L’efficacité” de cette deuxième partie est donc tout à fait malvenue, d’autant qu’elle s’accompagne d’un nivellement de la photographie vers le film d’action stylé, comme Bill Pope en a déjà tourné au kilomètre [3]. Ajoutons à cela la disparition de la plupart des astuces qui amusaient le spectateur, des jingles issus de Zelda exprimant les émotions ou les commentaires en “hors-textes” pour se retrouver devant une version dénudée et un peu ennuyeuse du film original qu’on était en train de voir.
Le casting du film est pourtant tout à fait juste, à quelques seconds rôles près, et il faut même souligner la performance de Mary Elizabeth Winstead en Ramona qui a trouvé le juste milieu entre grâce indolente et désabusement acerbe. La musique, qui était naturellement laissée à l’imagination du lecteur sur papier, est supervisée par Nigel Godrich (Producteur notamment de Radiohead). Plutôt engageante, notamment les morceaux de Social Broken Scene, ou encore la ré-interprétation de Black Sheep de Metric par Brie Larson (Envy Adams) qui surclasse sans peine l’original, mais force est de constater que les interventions de Beck ne dépassent jamais le stade du pastiche).
Prophétique, un personnage secondaire évalue dans l’avant-dernière scène : “le comics était bien meilleur que le film”, ce qui peut être dit de beaucoup d’adaptations de comics à l’heure actuelle, les producteurs ne voyant souvent pas plus loin que le bout de leur pitch, ignorent l’intérêt véritable de ce qu’ils proposent d’adapter. Le résultat est loin d’être désagréable cependant, et on aurait tort de dénigrer Scott Pilgrim, le film : l’original était simplement un peu plus qu’un soap opera rock.
En outre, Ubisoft a développé un jeu vidéo disponible en téléchargement sur le Xbox Live et le Playstation Network, pour accompagner la sortie du film. Adapté plutôt du comics que du film et découpé en sept niveaux correspondant aux sept exs maléfiques. Naturellement devenu un beat them all, Scott Pilgrim, le jeu, est un vibrant hommage aux Streets of Rage et autres Clash at demonhead, parfaitement jouissif, si ce n’était d’une difficulté décourageante...
(par Beatriz Capio)
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Scott Pilgrim sur ActuaBD, c’est aussi :
– la chronique du tome 2
– Toronto à l’image de Scott Pilgrim
Site officiel du film (Anglais)
Site officiel de la bande dessinée (Anglais)
[1] Hot Fuzz et Shaun of the Dead, respectivement inspirées des films policiers et des films de zombies.
[2] Le beat them all est un genre traditionnel de jeu vidéo, dont le principe de base est, littéralement, de battre tous les adversaires qui se présentent sur le parcours des joueurs.
[3] Il fut également directeur de la photographie pour les trilogies Spider-Man et Matrix.
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