Vous avez toujours été considéré comme un auteur jeunesse, privilégiant l’humoristique et la poésie. Qu’est-ce qui vous a amené à publier des albums plus adultes dans la collection Drugstore ?
J’ai toujours eu d’autres envies mais elles étaient en quelque sorte en stand-by. J’ai réussi à dégager de plus en plus de temps pour explorer d’autres voies.
Au début des années 1980, j’ai publié Faits Divers aux éditions Michel Deligne. Ce livre, en noir et blanc, était plus graphique. Mes références étaient, pour ce livre, José Muñoz et Jacques Tardi. Je me suis toujours intéressé à tous les genres de BD, que cela soit Gotlib, Boule & Bill, Gaston Lagaffe ou Alack Sinner. On est aussi soumis aux opportunités éditoriales et puis animer une série à gags demandent une implication constante. ça n’a l’air de rien mais il faut se renouveler, enrichir l’univers. 800 pages, c’est 800 scénarios.
En 2007, j’ai croisé Didier Tronchet à un festival. Glénat lui avait demandé de réfléchir à une nouvelle ligne éditoriale pour L’Écho des Savanes. Il s’est souvenu de certains scénarios que je lui avais fait lire (ça s’appelait les Plaisanteries). Il m’a demandé de travailler pour L’Écho et m’a mis en relation avec Baron Brumaire. On a donc publié « Coucou Tristesse » chez Drugstore. Un de mes amis, Marco Paulo, m’a demandé quelques semaines plus tard, si je n’avais pas un projet à lui proposer. J’avais une idée sur les militaires US en Irak. On a fait une espèce de M.A.S.H. en BD.
En fait, j’ai de nombreuses idées en germe. Il faut seulement qu’il y ait l’étincelle au bon moment, c’est-à-dire une rencontre avec un dessinateur et un éditeur.
Mais c’est vrai que je développe un côté plus adulte depuis trois ou quatre ans. Je vais publier un livre dans la collection Écritures, chez Casterman, en tant qu’ « auteur complet ». Ce sera un gros pavé de 250 pages en noir & blanc. On sera loin de Nathalie...
Cette alternance d’un genre à l’autre n’est-elle pas un exercice difficile ?
Non, bien sûr. Les deux projets me passionnent tout autant. Pour différentes raisons. Nathalie est une série qui me vient naturellement ; je note constamment des idées que j’intègrerai un jour ou l’autre dans cet univers. Le projet Écritures traite d’un sujet dramatique, une histoire sentimentale et sociale ayant pour cadre un charbonnage en Belgique en 1956. J’ai plusieurs centres d’intérêt dans la vie ; ma manière de les exposer est d’en faire des bandes dessinées. Comme les cinéastes qui passent d’un thème à l’autre, parfois diamétralement opposés et qui restent eux-mêmes. Ils vont d’une comédie à un western, d’un polar à un vaudeville. ça permet d’exprimer une palette de sentiments différents et de montrer des univers. Cela permet aussi de tenter des choses, de réfléchir à sa propre technique.
Le récit qui paraîtra chez Casterman s’appelle Marcinelle. Je raconte la vie de quelques mineurs pendant les mois qui ont précédé une catastrophe minière ; à la manière d’une chronique sociale.
L’un de vos proches était mineur ?
Des voisins, des amis de la famille. Mon père est venu vivre en Belgique en 1949 mais il n’a pas travaillé dans les charbonnages.
En mai dernier, les éditions Dupuis ont enfin publié un recueil de meilleures histoires d’Animal Lecteur où vous établissez, sous la forme de gags, une étude comportementale des lecteurs de BD Comment sont nés ces strips ?
Olivier Van Vaerenbergh était alors rédacteur en chef de Spirou. J’ai évoqué une idée un peu abstraite : Pourquoi ne pas axer une série de strips sur les lecteurs de bandes dessinées ? Je n’avais pas le temps de les dessiner moi-même. Et je n’avais pas de dessinateur. Quelques mois passent… Olivier Van Vaerenbergh, qui préparait une nouvelle mouture du journal de Spirou, m’a relancé. J’ai alors pensé à Libon pour le dessiner. Olivier, aussi ! Je lui ai envoyé le scénario du premier gag qui est paru quelques semaines après. On n’a pas eu besoin d’ajustement, ça a collé tout de suite. Depuis lors, nous n’avons jamais sauté une semaine ! Le format vertical s’est imposé naturellement, vu la mise en page.
Nous avons travaillé trois ans sans penser à un album. Lorsque Frédéric Niffle est devenu rédacteur en chef du journal, il nous a proposé de regrouper les meilleurs gags d’Animal Lecteur dans un livre. Sergio Honorez, le directeur éditorial de Dupuis a avalisé l’idée. Les ventes sont bonnes et nous allons publier un second tome en janvier pour Angoulême.
Les lecteurs de BD et les libraires se reconnaissent dans ces histoires courtes. Assez étrangement, vous ne vous en prenez pas aux journalistes …
Faudra que j’y pense (Rires). Blague à part, la série s’adresse avant tout à un public pointu mais pas seulement. je pense au lecteur de BD concerné par le sujet mais je pense aussi au gamin de 10 ans qui lit le journal. Les personnages principaux d’Animal Lecteur sont un libraire spécialisé et ses clients. C’est intéressant un magasin. C’est un véritable défilé de personnalités. On peut y voir un large « panel » de caractères qui forment notre société. Le sujet me passionne évidemment mais j’animerais volontiers un magasin de fringues ou une épicerie. Le commerce est un réseau social, bien avant « Facebook ».
Au début de la série, vous sembliez être hésitant à nommer les personnages, les maisons d’édition, etc.
Si c’est plus drôle de transformer le nom d’une maison d’édition, d’une série ou d’un auteur, je le transforme. Cela dépend aussi du gag et de sa compréhension par le lecteur. J’essaie de ne pas tomber dans les « attaques ». Animal Lecteur est avant tout une satire humoristique. Par exemple pour la couverture du premier tome, nous avons délibérément changé les noms des autres éditeurs. Pour le gag mais aussi pour ne pas utiliser sans leur avoir demandé des noms qui sont aussi des marques déposées.
Libon intervient-il dans la construction des histoires, des strips ?
Non. Je lui envoie un découpage dessiné, qu’il modifie parfois en dessinant. Il se fond dans mon découpage graphique. Et il apporte sa vision dans son style. Les personnages deviennent plus grotesques (au sens littéral du terme) et ça ajoute à la drôlerie.
Les fidèles lecteurs d’Actuabd.com savent que vous avez un regard réfléchi et aigu sur le monde de la BD. Est-ce pour cette raison que les strips d’Animal Lecteur fonctionnement aussi bien ?
Vous le voyez dans votre forum que je m’amuse à réfléchir sur ce qu’est la bande dessinée. Parfois, en réaction à un post ou à un de vos articles, j’interviens. Certains me reprochent de me répandre dans de longs posts. Puis d’autres trouvent ça très bien. Dans le fond ce qui m’intéresse c’est d’exprimer un point de vue.
Quels sont vos projets ?
Nathalie bien sûr. Un nouvel album d’Animal Lecteur paraîtra pour Angoulême 2011. Je vais aussi publier un album regroupant des dessins d’humour chez Dupuis. Dans ce livre carré de 21 cm de large, je croquerai la relation des maîtres et de leurs chiens, cela s’appellera Maîmaîtres du Monde. Soixante pages sont déjà dessinées. Je cours donc plusieurs lièvres à la fois ce qui ralentit un peu trop mon rythme mais je suis boulimique, on ne se refait pas. Si l’expérience est concluante, on fera un deuxième livre sur un tout autre thème.
Mais je dois d’abord terminer Marcinelle pour le mois de février prochain avant de réfléchir aussi à de nouvelles collaborations comme scénariste.
(par Nicolas Anspach)
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Lire la première partie de cette interview
Lire les chroniques de :
Animal Lecteur T1
Bagdad K.O
Mademoiselle Louise T4 et T3
Lire une interview d’André Geerts où il parle de sa collaboration avec Sergio Salma : "Jojo est une BD qui parle doucement" (Mai 2008)
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Photo (c) Nicolas Anspach
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