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Une brève histoire du super-héros français dans la bande dessinée et la littérature (2/8)

Par Romain GARNIER le 22 mars 2024                      Lien  
En 2016, un documentaire intitulé Mark Gatiss : A Study in Sherlock aborde la question du surhomme. Les écrivains et scénaristes Steven Moffat et Mark Gatiss (tous deux co-créateurs de la série Sherlock) évoquent le personnage de James Moriarty, ce « Napoléon du crime ». Il y est présenté par les deux hommes comme un super-vilain. Combattant redoutable, doté d'une intelligence exceptionnelle, grand chef de réseaux criminels et ordonnateur de crimes complexes, il est vrai que James Moriarty n’a absolument rien à envier au Joker ou au Caïd. Est-il possible pour autant de qualifier ce criminel de super-vilain quarante-sept ans avant la naissance sur papier du plus grand ennemi de Batman ? Après vous avoir présenté la notion de super-héros et l’existence d’une tradition franco-britannique, nous vous proposons désormais d’approfondir le sujet en questionnant le parcours historique, littéraire et philosophique de concepts qui ont mené à l’émergence du surhomme. Afin de mieux connaître notre patrimoine culturel, suivons les intuitions de Mark Gatiss, Serge Lehman, Alan Moore ou Xavier Fournier et explorons ce XIXème siècle franco-britannique, matriciel du genre super-héroïque.
Une brève histoire du super-héros français dans la bande dessinée et la littérature (2/8)
Mark Gatiss (interprète de Mycroft Holmes) et Benedict Cumberbatch (interprète de Sherlock Holmes) incarnent deux surhommes britanniques dans une version modernisée de l’oeuvre d’Arthur Conan Doyle.

M. Picaud ou la naissance de la figure du vengeur masqué : le fondateur de la première lignée super-héroïque

Tout a commencé en 1838, avec un livre intitulé Mémoires tirés des archives de la police de Paris – Pour servir à l’histoire de la morale et de la police, depuis Louis XIV à nos jours. Signé Jacques Peuchet, archiviste et juriste, l’ouvrage relate de nombreux faits divers dont un appelé à faire date : « Le Diamant et la Vengeance ». Derrière ce titre de roman populaire se dissimule l’affaire Pierre Picaud. D’après les archives, en 1807, l’homme s’apprête à se marier avec une certaine Marguerite Vigoroux, une femme riche. Jaloux de la situation, Mathieu Loupian, aubergiste, veuf avec deux enfants à sa charge, avait imaginé obtenir la main de ladite femme, ainsi que sa dot. Probablement furieux, avec la complicité de clients et amis, il accuse Pierre Picaud, cordonnier de son état, d’être un espion royaliste au service de la couronne britannique. Une accusation particulièrement grave en pleines guerres napoléoniennes. Le jour de ses noces, Pierre Picaud est arrêté, puis emmené en prison dans le plus grand secret. Durant sept années, innocent, ignorant le motif de son incarcération, notre homme va croupir dans la forteresse alpine de Fenestrelle, dans le nord de l’Italie.

Au cours de son séjour en détention, Pierre Picaud creuse un passage vers une cellule voisine. Il y fait la connaissance d’un prêtre italien, le père Torri, avec lequel il se lie d’amitié. Une amitié qui n’est cependant que de courte durée. Le père Torri meurt l’année suivante et lui lègue par testament un trésor caché à Milan. Libéré en 1814, vieilli et malingre, l’homme se pare d’une nouvelle identité : Joseph Lucher. En possession du trésor légué par l’ecclésiastique, M. Picaud échafaude sa vengeance. Une fois à Nîmes, il se déguise en religieux sous les traits de l’abbé Baldini et retrouve Antoine Allut, un ami, complice de l’aubergiste Loupian. En échange d’un gros diamant, Antoine se met à table, arguant d’une simple plaisanterie, certes peu heureuse, mais dictée par la jalousie. Il lui apprend également que Mathieu Loupian est parvenu à ses fins. Il a épousé Marguerite Vigoroux en 1812 et acheté un café grâce à la dot obtenue. La vengeance peut enfin commencer.

Il se fait d’abord embaucher comme chef de rang dans le restaurant de son rival. Puis, il s’emploie à ruiner et déshonorer Loupian : sa fille est mise enceinte par un prince qui se révèle être un ancien galérien, tandis que son fils est retrouvé saoul et seul sur les lieux d’un cambriolage pour lequel il est condamné à vingt ans de travaux forcés. Clou du spectacle, le café est incendié par des inconnus. Pendant ce temps, Pierre Picaud tue Chaubard, un des complices de Loupian, sur le pont des Arts. Son cadavre est découvert poignardé avec l’inscription « numéro un ». Ensuite, Solari, un autre complice, est retrouvé empoisonné. L’inscription « numéro deux » est retrouvée sur son cercueil. Enfin, Pierre Picaud, alias Joseph Lucher, alias l’abbé Baldini, poignarde Mathieu Loupian.

C’est là qu’Antoine Allut réapparait. Fort de ses soupçons, il épiait M. Picaud et l’aperçut même tuer Loupian. Il décide alors de le capturer, puis de le séquestrer afin de lui extorquer son trésor. Sa vengeance menée à son terme, Pierre Picaud refuse toutefois de céder et finit exécuté. Ce n’est qu’en 1828, au soir de sa vie, qu’Antoine, retiré à Londres, fait quérir un ecclésiastique, l’abbé Madeleine. Il lui aurait alors relaté les moindres détails de cette histoire, rocambolesque avant la lettre. Le témoignage, une fois retranscrit, est envoyé sous pli au préfet de police de Paris. Un pli sur lequel l’archiviste Jacques Peuchet serait tombé avant de le consigner dans son ouvrage [1].

Affiche de "Le Comte de Monte-Cristo", film franco-italien en deux parties de Robert Vernay et Ferruccio Cerio (1943)

Le Comte de Monte-Cristo, l’incarnation du vengeur masqué

L’histoire de Pierre Picaud a inspiré un ouvrage majeur de la littérature française : Le Comte de Monte-Cristo d’Alexandre Dumas (1844). Celui-ci ne s’est d’ailleurs jamais caché de cette influence puisque la publication, au XIXe siècle, des Œuvres complètes d’Alexandre Dumas comprenait, en annexe, une notice dont le titre était Pierre Picaud : Histoire contemporaine.

Entre les deux, il est aisé de s’abandonner au jeu des sept erreurs. Dans l’ouvrage d’Alexandre Dumas, écrit en collaboration avec Auguste Maquet, un certain Edmond Dantès est arrêté en 1815, jour de son mariage, à la suite d’une dénonciation. Un complot monté par jalousie l’accusant d’être un espion bonapartiste. Durant ses années de prison, il se lie avec l’abbé Faria, qui lui révèle la localisation d’un trésor. Sorti de prison, il se venge et se fait justice en prenant différentes identités (comte de Monte-Cristo, l’abbé Busoni ou Simbad le Marin…). Sa vengeance pousse ses ennemis à la ruine, à la folie et à la mort. Le fil narratif et les ressorts principaux de l’histoire sont donc identiques à celle de M. Picaud.

Cependant, le génie littéraire de Dumas a su transcender ce fait divers en créant le prototype du surhomme, vengeur masqué, bien qu’il ne s’agisse pas de son unique influence. Quand on examine le personnage d’Edmond Dantès, il accumule plusieurs caractéristiques que l’on retrouve à postériori chez le super-héros américain : identités multiples, constitution physique surhumaine, déguisement, justice rendue en marge du système officiel. Ajoutez à cela la richesse et son château d’If et vous avez l’ancêtre direct de Batman.

Au XIXème siècle, une autre figure, réelle et populaire, a inspiré nombre de surhommes : Vidocq.

"Vidocq" de Richard D. Nolane, Sinisa Banovic et Matteo Vattani
© Éditions Soleil

Vidocq, le Grand Coësre [2] des bagnards et le change-forme de la police parisienne

Eugène-François Vidocq, personnage rocambolesque, commet ses premiers larcins dès l’enfance. À 16 ans, il dérobe la totalité des économies de ses parents avec l’espoir d’embarquer à Ostende, à destination de l’Amérique. Dépouillé à son tour, il est contraint de devenir saltimbanque, puis colporteur, afin de survivre. Engagé dans l’armée en 1791, ses multiples duels conduisent à son renvoi deux années plus tard. En 1794, contraint au mariage après avoir mis une femme enceinte, il ouvre un commerce. Apprenant que sa femme lui a menti sur sa maternité, il lui dérobe toutes ses économies et part mener une vie faite d’escroqueries et de vols qui alterne entre condamnations judiciaires et évasions spectaculaires. Une manière pour lui d’acquérir un respect et une notoriété retentissante au sein du monde criminel.

En 1809, de nouveau devant les tribunaux, il propose de devenir indicateur en prison. Il met en avant sa profonde connaissance des bas-fonds criminels. En 1811, il lui est proposé d’entrer officieusement à la brigade de sûreté. Officiellement, la justice est toujours prête à le condamner. On l’autorise alors à mener ses enquêtes selon ses propres méthodes, très atypiques pour l’époque. Il rassemble autour de lui des criminels et voleurs repentis. Les succès inattendus de Vidocq suscitent ressentiments et jalousies de la part d’un certain nombre d’inspecteurs de police. Des succès qui reposent sur les compétences personnelles de l’ancien bagnard. Il est un excellent physionomiste, manie l’art du déguisement, et fait preuve d’une ruse sans égale [3] . En 1818, le pouvoir royaliste lui accorde une grâce pour services rendus et il devient officiellement chef de police à la brigade de sûreté. Entre 1811 et 1827 (date à laquelle il démissionne), Vidocq et ses hommes revendiquent trois fois plus de captures que les autres agents de police.

Eugène-François Vidocq, par la dessinatrice et illustratrice Marie-Gabriel Coignet

Après 1827, Vidocq assoit sa popularité : il fonde un prototype de police privée, ouvre une usine de papier, anime des conférences payantes, rédige ses mémoires qui connaissent un certain succès, brevète plusieurs de ses inventions et participe aux dîners de Benjamin Appert. Dans les soirées de ce philanthrope français, il se donne en spectacle, narrant pour l’occasion un foisonnement d’anecdotes d’une vie riche en rebondissements. De nombreux auteurs majeurs de ce siècle sont présents et écoutent avec attention, tels Alexandre Dumas, Victor Hugo et Honoré de Balzac. En 1848, il réintègre la police en tant qu’indicateur en prison alors que Louis-Philippe Ier est renversé. En 1857, il meurt à l’âge de 81 ans, les jambes paralysées, après avoir survécu quelques années auparavant au choléra.

Le vengeur masqué et le gentilhomme justicier dans la littérature française

M. Picaud et Vidocq ont donc inspiré toute une littérature qui fit naître le surhomme français au XIXème siècle, eux-mêmes devenant des modèles inspirants pour les créateurs de super-héros au XXème siècle. V pour Vendetta d’Alan Moore est grandement inspiré par le surhomme français. Jean Valjean, Javert, Vautrin, Rodolphe de Gerolstein, M. Lecoq [4] ou Rocambole constituent une galerie de héros qui partagent des particularités que l’on retrouve ensuite chez les super-héros.

V est une version modernisée des nombreux vengeurs masqués de la littérature française du XIXème siècle
© Éditions Urban Comics

La spécialiste du romantisme Myriam Roman indique que dans Les Misérables (1862), Victor Hugo s’inspire de Vidocq et « dissocie le forçat du policier en imaginant non pas un mais trois personnages, attribuant à Jean Valjean le bagne et les évasions, à Thénardier le crime, le statut de chef de bande, et la prison de La Force, à Javert l’espionnage et la police » [5] . Afin d’échapper à ses poursuivants, Jean Valjean ne cesse de changer d’identités. Dans une scène qui n’est pas sans rappeler la couverture iconique de Superman en train de soulever une voiture, Jean Valjean, sous l’identité de M. Madeleine, use de sa force surhumaine afin d’aider un vieux charretier, Fauchelevent, victime d’un accident à la suite duquel il s’est retrouvé sous sa charrette. Ce qui fait dire à Javert qui assiste à la scène : « Je n’ai jamais connu qu’un homme qui pût remplacer un cric » [6].

Dans La Comédie humaine d’Honoré de Balzac, un personnage iconique (parmi tant d’autres) : Vautrin. Ancien forçat, il devient le chef d’une bande de truands (« Les Dix Milles ») et accumule des informations grâce à son réseau tentaculaire. Il porte en réalité un double masque : d’un côté, il commet plusieurs crimes ; de l’autre, il se fait justicier après son entrée dans la police [7]. Une de ses arrestations le mène à proposer au juge d’instruction de devenir indicateur de police. Comme Vidocq (dont il est le double littéraire), Vautrin a plusieurs identités (Tromple-La-Mort, M. de Saint-Estève, Carlos Herrera et William Barker). Il tue également le prêtre Carlos Herrera dont il vole l’identité et modifie l’aspect de son visage à l’aide de substances chimiques. Un précurseur de Fantômas, en somme.

Vautrin. Illustration d’Honoré Daumier pour Le Père Goriot, XIXe siècle.

Rodolphe de Gerolstein, lui, occupe une place particulière dans l’arbre généalogique du genre super-héroïque. On peut le qualifier de « père fondateur » ou d’ « Adam super-héroïque ». Personnage central du roman-feuilleton d’Eugène Sue, intitulé Les Mystères de Paris (1842), celui-ci précède et inspire le Comte de Monte-Cristo, inaugure une nouvelle vague du romantisme français, et incarne un surhomme qui rend justice en marge du système, dans le monde ouvrier. Mystérieux, Rodolphe de Gerolstein est en fait un grand-duc allemand, riche, qui se déguise en ouvrier afin d’aller découvrir un univers dont il ignore tout. Doté d’une force surhumaine, il résout de nombreux conflits et rend une justice, parfois violente et vengeresse.

Enfin, Rocambole, création de Pierre Alexis de Ponson du Terrail, apparaît pour la première fois en tant que personnage secondaire dans L’Héritage mystérieux - un roman prépublié dans les journaux en 1857. Ce malfrat commet ses premiers forfaits dès l’enfance et reçoit ses ordres d’un criminel surnommé Sir Williams. Ses vols et meurtres le conduisent toutefois au bagne. Au cours de ses aventures, il multiplie les séjours en prison et alterne avec les périodes de rédemption. Comme les autres héros présentés ci-dessus, Rocambole usurpe des identités (marquis Albert de Chamery, Don Inigo de los Montes), se donne des surnoms (Cent-dix-sept, l’homme gris) et dirige une bande de voleurs (« Les Ravageurs »). Tel Vidocq dans la seconde partie de sa vie, il rassemble même des criminels repentis qui l’appellent « Maître ».

Affiche publicitaire illustrée par Jules Chéret pour une réédition du roman chez Rouff, 1885.

L’inauguration de l’écrivain comme biographe du surhomme : de Pierre Alexis de Ponson du Terrail à Serge Lehman

Tous ces personnages de la littérature incarnent le vengeur masqué et/ou le gentilhomme justicier [8] qui précèdent les super-héros américains. Une particularité de leurs récits, que l’on retrouve chez de nombreux créateurs de surhommes au XXème siècle, est que ceux-ci ne seraient que la retranscription d’une réalité historique. Une manière pour les auteurs de brouiller les limites de la fiction et de donner chair aux surhommes de papier.

Ainsi, dans La Vérité sur Rocambole (1867), Ponson du Terrail tente de justifier les innombrables incohérences que l’on peut identifier à l’échelle de son œuvre avec son personnage de Rocambole. Il révèle que Rocambole existe véritablement et qu’il a pu le rencontrer au bagne de Brest. L’Héritage mystérieux ne serait ainsi qu’un ensemble de notes qui lui avaient été transmises, puis qu’il aurait romancées. Le véritable Rocambole lui aurait fait parvenir, sous pli, le récit de ses multiples aventures avant d’être arrêté et emprisonné. Dans Chevaliers au clair de lune (1860-1863), il fait défigurer Rocambole. A posteriori, il demande à ses lecteurs de ne pas prendre en compte ce récit, qui n’est pas le fruit d’aventures du véritable Rocambole [9]. Après son évasion du bagne, ce dernier aurait repris ses envois de manière régulière, et l’auteur put alors nourrir un nouveau roman nommé La résurrection de Rocambole (1865-1866). Pierre Alexis de Ponson du Terrail ne serait donc qu’un biographe avec des talents de conteur. Une technique reprise, parmi d’autres, par Maurice Leblanc pour son personnage d’Arsène Lupin.

Couverture du premier fascicule d’une réédition du cycle romanesque de Rocambole, publiée en 219 livraisons aux Éditions Rouff, 1908-1910. Illustration de Louis Bombled.

On retrouve le même principe dans La brigade chimérique de Serge Lehman, Fabrice Colin (scénaristes), Gess (dessinateur) et Céline Bessonneau (coloriste). Publiée en six tomes, de petit format, entre 2009 et 2010, cette Bande dessinée est le est le pendant français de La ligue des gentlemen extraordinaires. Dans cet univers radiumpunk où les récits s’inscrivent dans la période de l’entre-deux-guerres (1919-1939), les super-héros ou surhommes européens sont nombreux à avoir leur biographe officiel. Le Nyctalope, protecteur de la France, s’émeut, lui, de ne pas parvenir à se dégoter un biographe talentueux afin de lui assurer une postérité digne de ses hauts faits. Ironie scénaristique, et clin d’œil à la réalité historique : le personnage très populaire du Nyctalope, au début du XXème siècle, tombe en effet progressivement dans l’oubli, tout comme l’auteur qui l’a inventé, Jean de la Hire (1878-1956), collaborationniste patenté sous Vichy, qui n’échappa que partiellement à l’épuration intellectuelle d’après-guerre.

Illustration de la Brigade Chimérique, de Serge Lehman, Fabrice Colin, Gess et Céline Bessonneau
© Éditions Atalante

L’univers partagé ou la Guerre des mondes

Le concept d’univers partagé est évident pour les lecteurs de comics de DC et Marvel, comme pour les lecteurs de Jules Verne (Les Voyages extraordinaires) [10], d’Émile Zola (la saga des Rougon-Macquart) ou d’Honoré de Balzac (La Comédie humaine). Le genre feuilletonnesque du XIXème siècle, que l’on retrouve dans la bande dessinée, s’y prête. En revanche, Jean de la Hire, dont nous reparlerons, prend en considération des événements survenus dans des récits littéraires d’autres auteurs pour son univers, celui du proto-super-héros qu’est le Nyctalope. Une démarche peu courante pour l’époque. Ainsi, l’invasion des martiens relatée dans La Guerre des mondes d’H.G. Wells (1898) a bien eu lieu. Une démarche identique à celle d’Alan Moore qui intègre cet événement fondateur dans l’imaginaire de la science-fiction à son univers de La ligue des gentlemen extraordinaires.

Illustration d’un tripode dans l’édition belge de 1906 signée Henrique Alvim Corrêa

Des temps super-héroïques dans la philosophie et la littérature : Le gentilhomme justicier, un surhomme nietzschéen ?

Afin que puisse naître dans les esprits le concept de surhomme, encore faut-il le théoriser. Au XXème siècle, la notion de surhomme est perçue comme étant issue de la philosophie nietzschéenne, notamment exprimée dans Ainsi parlait Zarathoustra (1883). Cette interprétation est le fruit de la lecture nazie de l’œuvre du philosophe allemand, Friedrich Nietzche (1844-1900), validée par la sœur de celui-ci, qui fut mariée à un antisémite et adhéra aux thèses nationales-socialistes. Les nazis fondent pour partie leur racisme et la race aryenne sur le concept de l’Übermensch (que l’on peut traduire par « surhumain »), faisant de l’un le synonyme de l’autre. De ce fait, une fois la Seconde Guerre mondiale terminée, ce point de la philosophie nietzschéenne en vient à être disqualifiée. Que signifie réellement le concept de surhumain dans lequel de nombreux analystes ont perçu les racines du genre super-héroïque, Friedrich Nietzsche étant souvent grimé en Superman sur internet ?

L’Übermensch est l’aboutissement d’un parcours nihiliste (rejet de la morale dominante). Afin de bien comprendre la pensée du philosophe allemand, il est important d’avoir l’esprit que son analyse porte sur un monde où dominent deux états d’esprit : l’esprit chrétien et la philosophie kantienne. Tous deux reposent sur un arrière-monde idéal (paradis, monde des idées) et régissent la morale des êtres humains qui, selon Nietzsche, détournent de l’expérience sensible [11].

Parodie de Friedrich Nietzsche grimé en Superman par Mathiole

Les trois métamorphoses de l’esprit donnent naissance à l’Übermensch

La première étape de ce parcours consiste à réaliser qu’un monde supérieur n’existe pas. Le paradis se révèle être un mensonge consolatoire, comme la chose en soi kantienne [12]. Par conséquent, il n’existe pas de salut, ni d’univers idéal dans lequel la morale édictée fonctionnerait de manière infaillible. Si bien que si la morale ne peut être appliquée dans le monde réel, le problème ne réside pas dans le monde lui-même. L’erreur est d’avoir voulu concevoir une morale fondée sur un monde idéal qui ne peut exister. La conclusion logique est alors de considérer que c’est la morale le problème. Au chapitre « Les trois métamorphoses » d’Ainsi parlait Zarathoustra, ce processus d’éveil désigne l’étape du chameau lors de laquelle l’humain porte tout le poids d’un monde qu’il en vient à haïr.

Là, intervient le concept de l’ « éternel retour » - concept nietzschéen sujet à de nombreuses interprétations au sein même du monde philosophique, tout comme le reste de la théorie nihiliste – qui consiste à vivre une expérience de pensée. Celle-ci invite à imaginer que notre vécu reviendrait en boucle, chaque expérience à l’identique, souffrances comme bonheurs. Pourrait-on le supporter ? Deux réponses sont possibles qui, dans le meilleur des cas, se succèdent. La première consiste en un nouveau rejet. Dans ce cas, on rejette la totalité du monde, estimant que s’exposer au reste du genre humain revient à souffrir plus que tout autre chose. On limite donc notre expérience du monde sensible. Une telle démarche peut conduire au suicide. Dans cette démarche nietzschéenne de métamorphose de l’esprit, on évoque alors la figure du Lion. Elle s’isole dans le désert, où elle retrouve une forme de satisfaction à contrôler l’espace où elle vit.

Adaptation d’"Ainsi parlait Zarathoustra" de Friedrich Nietzsche en manga
© Éditions Soleil Manga

La seconde consiste à pouvoir répondre par l’affirmative à chaque instant de notre existence, illustrant par là notre désir viscéral de vivre, quitte à revivre le pire de manière cyclique. Là est le préalable à la surhumanité, à savoir le dépassement de soi - chacun avec sa singularité - en acceptant d’aimer la vie dans tous ses aspects. Dernière des métamorphoses de l’esprit, celle de l’enfant. Après avoir tout rejeté, on décide de tout accepter mais selon nos propres règles, tel un enfant qui se crée un univers dans lequel il s’amuse avec ses jouets.

Les règles auxquelles le surhomme consent résultent des forces rivales qui dessinent un monde en constante mutation. On nomme cela « la volonté de puissance » [13]. Celle-ci est une force à la fois créatrice et destructrice qui ne cesse d’être en quête de dépassement de soi dans un monde où les rapports de force sont donc déterminants. Cette volonté de puissance n’induit pas nécessairement qu’on s’adonne à des actes horribles et de domination envers le genre humain. Le surhumain s’extirpe du manichéisme judéo-chrétien (amoralisme) afin de construire une éthique nouvelle.

Ainsi parlait Zarathoustra est une parodie d’évangile qui décrit le processus par lequel peut naître le surhomme, débarrassé des oripeaux de la morale chrétienne ou kantienne. Un homme supérieur qui sait à la fois exercer un contrôle sur son existence tout en acceptant une part d’élan imprévisible. Cet Übermensch n’est donc pas un super-héros, ce dernier évoluant dans un monde dominé par la dualité chrétienne du bien et du mal - super-héros contre super-vilain -, un principe rejeté par Nietzsche, tout en étant un agent conservateur qui défend le système en place. Au contraire, le surhomme se confronte aux rapports de force qui régissent un monde en constante adaptation [14].

Enfin, même si la manière de conter le super-héros a rapidement évolué, originellement, Superman incarne une invincibilité et une absence de souffrance allant à l’encontre de la pensée nietzschéenne d’une vie alliant aussi bien souffrance que bonheur pour aboutir à un dépassement de soi.

Mais alors, si ce n’est pas Nietzsche qui est à l’origine du concept de surhomme au sens de super-héros, qui en est l’auteur ? Pour le découvrir, empruntons les chemins qui mènent à Rome.

Portrait d’Antonio Gramsci, vers 30 ans, au début des années 1920.

Le surhomme dumasien, du fascisme au super-héros, généalogie du genre super-héroïque par Antonio Gramsci

Antonio Gramsci (1891-1937) est un philosophe italien, théoricien politique majeur du XXème siècle et co-fondateur du parti communiste italien dont il a assuré la direction entre 1924 et 1926. Intellectuel communiste, il est emprisonné par le régime mussolinien de 1926 à sa mort. Durant ces années d’enfermement, il va mener de nombreuses réflexions consignées dans les Cahiers de prison [15]. Parmi les nombreux sujets abordés, il examine de manière obsessionnelle le rôle de la littérature romantique et populaire française dans l’émergence de la figure du surhomme fasciste. Il y exprime d’emblée l’idée selon laquelle ceux qui ont imaginé le surhomme comme création de la philosophie nietzschéenne se trompent et méconnaissent l’œuvre du philosophe allemand. Bien au contraire, la philosophie du surhomme et son projet sont exprimés dans le roman-feuilleton français du milieu du XIXe siècle, notamment la littérature d’Alexandre Dumas [16].

Que reproche Antonio Gramsci à ce mouvement littéraire français qu’il qualifie de « bas romantisme » ? De manière caricaturale, le romantisme se caractérise par la prédominance de la sensibilité, de l’expression des émotions et de la mise en scène de l’imaginaire. En cela, ces caractéristiques s’opposent à la raison des Lumières et à la morale comme soubassement de la compréhension du monde. Dès 1918, Gramsci étudie le roman-feuilleton car celui-ci serait doté d’une véritable fonction sociale. Dans un article intitulé Grido del popolo, il l’analyse comme « un facteur puissant dans la formation de la mentalité et de la morale populaire ».

La Chouette punit Fleur-de-Marie en lui arrachant une dent - Illustration de Les mystères de Paris d’Eugène Sue. Le machiavélisme et la violence perverse de la Chouette en ferait un excellent super-vilain. Avis aux auteurs !

Or, selon l’analyse marxiste de Gramsci, le genre du roman-feuilleton a une fonction narcotique sur le peuple. Celui-ci devient attentiste face aux souffrances et inégalités qu’il subit. Elles ne peuvent être alors résolues que par un individu héroïsé, un surhomme, un révolutionnaire à petits pieds, paradoxalement typiquement bourgeois. En effet, la fonction du roman-feuilleton serait d’extraire les classes populaires du réel afin de les détourner de leur envie de se battre pour leurs droits, de ce que l’on qualifierait aujourd’hui d’agentivité, c’est-à-dire de leur capacité d’agir par eux-mêmes. On les plonge dans des rêveries inutiles et on délègue à un surhomme la charge d’agir à leur place. Victor Hugo se voit donc reprocher, à travers sa littérature, ses prises de positions favorables aux classes populaires contre les injustices des classes dirigeantes. Gramsci n’y perçoit qu’une rhétorique bourgeoise à l’analyse superficielle et aux conséquences contre-productives pour le peuple qu’il prétend défendre.

Dans Les Mystères de Paris d’Eugène Sue, « la lutte des classes est vue sous l’angle de la tendresse et du bon cœur » [17]. En d’autres termes, Eugène Sue met en scène le riche baron Rodolphe qui, prenant enfin conscience de la misère du peuple parisien, fait preuve de bonté et de cœur dans l’espoir de résorber la plaie ouverte de l’inégalité socio-économique et des injustices systémiques. A cet égard, Karl Marx, théoricien du communisme, philosophe et économiste, qui lisait Eugène Sue, voyait dans le prince Rodolphe « une figure de justicier vengeant le petit peuple parisien, un justicier certes héroïque mais pervers, à la toute-puissance sadique » [18] . Cette toute puissance exprime ici les frustrations et les complexes des classes populaires qui ruminent leurs idées de vengeance et de châtiment vis-à-vis de ceux qu’ils estiment coupables de leurs malheurs. Le peuple se pense alors incapable de se défendre et/ou de se venger lui-même. Le surhomme a donc une fonction tout à la fois de narcotique et cathartique pour les classes populaires. En somme, le surhomme, ce révolutionnaire romantique, apparaît comme l’antithèse du révolutionnaire communiste. A l’individualité héroïsée s’oppose la masse du prolétariat.

Madame Bovary incarne l’héroïne au départ dépourvue d’agentivité, détournée du réel par les romans à la Eugène Sue.
Flaubert disséquant Madame Bovary, caricature d’Achille Lemot parue dans La Parodie (décembre 1869)

Monte-Cristo et le prince Rodolphe, les surhommes modèles du romantisme fasciste ?

Le manifeste du surhumain se trouve dans plusieurs passages du Comte de Monte-Cristo relevés par Umberto Eco (1932-2016), sémiologue et écrivain italien, dans De superman au surhomme. Dans l’extrait suivant, on croirait entendre un Zarathoustra avant la lettre : « Je suis le roi de la création : je me plais dans un endroit j’y reste ; je m’ennuie je pars ; je suis libre comme l’oiseau, j’ai des ailes comme lui ; […] Puis j’ai ma justice à moi […] Ah ! Si vous aviez goûté de ma vie, vous n’en voudriez plus d’autre, et vous ne rentreriez jamais dans le monde, à moins que vous n’eussiez quelque grand projet à y accomplir ! » [19]. Cependant, Edmond Dantès ne rompt pas avec Dieu. Il conteste à plusieurs reprises le pouvoir des lois, mais il s’imagine comme un prophète, porteur d’une quête divine. Au chapitre 48, au détour d’un dialogue entre Monte-Cristo et le magistrat Villefort, le premier confesse sa philosophie de la supériorité du vengeur-justicier au second : des « hommes que Dieu a mis au-dessus des titulaires, des ministres et des rois, en leur donnant une mission à poursuivre au lieu d’une place à remplir. […] Je suis un de ces êtres exceptionnels, oui, monsieur, et je crois que, jusqu’à ce jour, aucun homme ne s’est trouvé dans une position semblable à la mienne ».

Dans ses écrits, Antonio Gramsci évoque différentes figures fascistes comme Mario Gioda, fondateur des Faisceaux italiens de combat, qu’il surnomme « l’ami de Vautrin », ou Vincezo Morello, sénateur fasciste affublé du surnom de « Rastignac » (qui n’est pas un surhomme) [20]. Dans Gioda ou du Romantisme, Antonio Gramsci n’épargne ni fascistes, ni anarchistes, tous épris de romantisme français qui, il est vrai, connait un succès considérable en termes d’influences et de ventes au-delà des Alpes : « Mario Gioda, Massimo Rocca sont devenus anarchistes en lisant les luttes de Jean Valjean contre Javert, […] ont renforcé leur conception dans les romans d’Eugène Sue […] une imagination débridée, un frisson de fureurs héroïques, une agitation psychologique, qui n’ont d’autre contenu idéal que les sentiments diffusés par les romans-feuilletons du romantisme français de Quarante-huit : les anarchistes pensaient la révolution comme un chapitre des Misérables […], les fascistes veulent faire les « princes Rodolphe » du bon peuple italien. La conjoncture historique a permis que ce romantisme devienne « classe dirigeante », que toute l’Italie devienne un roman-feuilleton ».

Dantès sur son rocher après s’être échappé de prison. Il a passé 14 années en prison. Illustration de Paul Gavarni pour Monte Cristo d’Alexandre Dumas (1846).

Ce romantisme révolutionnaire et l’héroïsation du chef sont deux éléments prégnant du roman-feuilleton français comme du fascisme. Le prince Rodolphe sauve et venge à travers lui le peuple parisien. Il le guide dans ses aspirations et appose un baume sur les besoins du prolétariat [21]. En réalité, il le dépossède de ses moyens d’action et le contraint à végéter dans sa misère [22]. Une fois encore, ces surhommes de papier, avatar d’un sentimentalisme hypnotique, résolvent des situations sans pour autant transformer ou renverser le système qui produit ces souffrances, que pourtant ils dénoncent. En cela, le surhomme romantique et le super-héros américain partagent un point commun essentiel, sur lequel nous reviendrons, qui est d’être les gardiens du système dominant.

Vue panoramique de l’intérieur du Panthéon français

Du culte du grand homme au culte du surhomme : Du Panthéon français à Thomas Carlyle.

Certes, les civilisations humaines ont toujours été traversées par le culte des grands hommes, mais il existe en France un je-ne-sais-quoi obsessionnel pour la figure du commandeur de la Nation. Au crépuscule du XVIIIème siècle, dans la fureur des combats pour les droits naturels des hommes, en pleine Révolution, alors qu’est instituée une première séparation de l’Église et de l’État, les révolutionnaires proposent ni plus ni moins que de remplacer les saints chrétiens par des saints laïcs. Le Panthéon est né. Panthéon ? Un terme issu du grec ancien qui désigne l’ensemble des dieux d’un culte donné.

A posteriori, peut-on considérer comme étonnant que le surhomme français ait connu un tel développement au pays de « l’homme providentiel », de Napoléon à Charles de Gaulle ? Aux grandes hommes la patrie reconnaissante dit-on. Au XIXème siècle, ce lieu de sainteté laïque a pu imprégner l’esprit français d’une idée forte. Parmi nous existent des hommes et des femmes d’une telle puissance, d’une telle volonté, capables d’accomplissements tels qu’ils méritent de susciter l’admiration de la Nation, des figures à imiter qui reposent en un lieu unique où les Français pourront venir leur rendre hommage. Ceux censés incarner de manière idéale la Nation et sa modernité se voient dotés d’une sacralité jusqu’ici accordée au roi et à l’Église.

Napoléon Bonaparte représenté comme le Christ lors de la Résurrection par Jazet, d’après un tableau d’Horace Vernet.

Le Royaume-Uni, autre terre de naissance du surhomme, n’est pas en reste, bien que davantage dominé par la figure du souverain, représentant de Dieu sur Terre. Cela n’empêche cependant pas Thomas Carlyle, historien de la Révolution française, d’exposer sa théorie du grand homme dans son essai de 1841 intitulé Les Héros. Le culte des héros et l’héroïque dans l’histoire [23]. Pour lui, « L’histoire universelle, l’histoire de ce que l’homme a accompli en ce monde, c’est au fond l’histoire des Grands Hommes qui ont travaillé ici-bas ». Sa vision est cependant plus restreinte que la vision française qui est prête à donner l’apothéose à nombre des siens, là où Thomas Carlyle en recense à peine une dizaine dans l’histoire de l’humanité (Odin, Shakespeare, Dante, Cromwell,Napoléon…). L’auteur anglais estime que le grand homme, ou héros dans son vocabulaire, est ni plus ni moins qu’à l’origine d’une civilisation. Mais avant d’être bâtisseur, celui-ci détruit, tel Jésus, Muhammad ou Luther qui détruisent les idoles et remettent en cause l’ordre établi. Face à ces héros, l’humain érige un culte et exprime « une soumission brûlante, sans bornes, pour une très noble et une divine forme humaine ». En somme, le culte du surhomme.

La dimension cultuelle de la théorie du grand homme chez Carlyle fait du héros « un prophète romantique, une espèce de mage ou de voyant aux pouvoirs surnaturels qui se distingue du commun des hommes du fait qu’il communie avec les strates supérieures de l’invisible et ce, au profit du plus grand nombre » [24]. L’obsession du bien, que l’on retrouve davantage chez le super-héros que le surhomme, anime la quête du héros.

Le super-héroïsme imprègne l’air que respirent les contemporains du XIXème siècle. La notion de surhumain est partout. Dans la théorie politique, dans la littérature et la philosophie. On la trouve également dans les foires populaires et les fêtes foraines. On y croise des sources d’inspiration essentielles pour les super-héros américains : l’homme fort, l’homme-poisson, la femme volante et les monstres. Le surhomme est partout, au coin de la rue.

À suivre…

(par Romain GARNIER)

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Code EAN : 9782253942092

« Tout donnait à penser qu’il allait faire une carrière extrêmement brillante. Mais l’homme avait une hérédité chargée, qui faisait de lui une sorte de monstre, avec des instincts criminels d’autant plus redoutables qu’ils étaient servis par une intelligence exceptionnelle » (description de James Moriarty dans Le dernier problème d’Arthur Conan Doyle)

Pour ceux qui s’intéresseraient à Sherlock Holmes, nous vous conseillons vivement deux bandes dessinées. La première s’intitule Holmes de Cécil (dessinatrice et coloriste) et Luc Brunschwig (scénariste). Une série complète en 5 tomes aux éditions Futuropolis (2006-2019). La seconde se nomme Dans la tête de Sherlock Holmes de Cyril Liéron (scénariste) et Benoit Dahan (dessinateur et coloriste), une série complète en deux tomes (2019-2021).

Sincères remerciements à Éric Potel, professeur de philosophie, journaliste à RCF et membre de l’ACBD (Association des critiques et journalistes de bande dessinée), Issam Salhi, formé à l’université en philosophie et cinéma, grand lecteur du 9ème art et de littérature devant l’éternel, ainsi que Hippolyte Arzillier, formé en philosophie et secrétaire d’ActuaBD, pour leurs éclairages sur le concept de l’Übermensch et le nihilisme chez Friedrich Nietzsche, ainsi que leurs précieuses relectures. Merci également à Valentin Potier, professeur d’histoire-géographie, pour ses retours toujours pertinents.

- L’image utilisée en ouverture de l’article est une affiche inspirée par Le Comte de Monte-Cristo aux accents minimalistes. Celle-ci est une création de WolfandRocket, imprimerie d’art, typographie et tirages minimalistes, disponible en vente.

[1Différentes objections peuvent être opposées à cette histoire. La première est de savoir comment il fut possible pour Antoine Allut de connaître les détails des années de prison de M. Picaud. D’autant qu’en ce XIXème siècle spiritiste, il aurait affirmé les connaître grâce au fantôme du père Torri. Autrement, peut-être les a-t-il obtenus de M. Picaud lui-même. Ensuite, ces archives ne sont plus consultables, ayant été brûlées lors de la Commune de Paris (1871). Enfin, l’ouvrage de Jacques Peuchet n’a été publié que huit ans après sa mort par Léon de Lamothe-Langon, célèbre pour ses mystifications historiques. Il n’est donc pas impossible que l’histoire de M. Picaud ait été romancée à postériori. Il est à noter que l’ouvrage est librement consultable sur Gallica.

[2Titre historique donné au roi de la cour des Miracles. Cette cour désignait des espaces de non-droit dans plusieurs quartiers parisiens où évoluaient malfrats, mendiants et autres rebuts de la société. Une dizaine de cours des Miracles existait à Paris. L’une d’elle est évoquée par Victor Hugo dans Notre-Dame de Paris. Si le sujet vous intéresse, lisez l’excellente bande dessinée dénommée La cour des miracles de Stéphane Piatzszek (scénario), Julien Maffre (dessin) et Laure Durandelle (couleurs). Une série complète en trois tomes, le premier étant sorti en 2017. Le sujet se retrouve aussi intelligemment traité dans la série steampunk Hauteville House, à travers le tome 9 intitulé Le tombeau de l’Abbé Frollo.

[3Si ce personnage et ses méthodes d’enquête vous intéressent, une série de bandes dessinées, divertissante et fidèle à l’esprit des Mémoires de l’ancien bagnard, a été créée par Richard D. Nolane (scénario) et Sinisa Banovic (dessin) avec Matteo Vattani aux couleurs. Cette série s’intitule Vidocq. Le premier tome, qui a pour titre Le suicidé de Notre-Dame, est paru en 2015 aux éditions Soleil. A ce jour, la série ne compte que trois tomes, le dernier ayant été publié en 2019.

[4M. Lecoq est un inspecteur de police fortement inspiré par Vidocq, apparu la première fois dans l’Affaire Lerouge d’Émile Gaboriau (1866). Ce héros a influencé Arthur Conan Doyle pour créer son personnage de Sherlock Holmes, également grandement influencé par Auguste Dupin, héros d’Edgar Allan Poe. Ces trois héros participent de la fondation de la littérature policière.

[5Victor Hugo et le roman philosophique : du drame dans les faits au drame dans les idées de Myriam Roman.

[6Première partie « Fantine », livre cinquième « la descente », chapitre VI « Le père Fauchelevent », p.200, édition Pocket.

[7L’arrestation de Vautrin et son entrée dans la police a lieu dans Splendeur et misères des courtisanes (1847). À noter que comme la Comédie humaine est inachevée, Honoré de Balzac n’a pas pu détailler sa carrière dans la police.

[8Nom français de ce qu’Alan Moore désigne comme étant les gentlemen extraordinaires.

[9Cette démarche est promise à une belle postérité. Elle est au fondement d’un nombre incalculable de récits de comics. Les imaginary tales (récit imaginant une évolution souvent radicale pour le héros au regard du canon scénaristique) et les untold tales (raconter une même histoire à travers un autre personnage afin d’explorer de nouveaux détails) permettent, le temps d’un court récit ou d’un arc narratif, de renouveler le traitement d’un personnage, de lui offrir d’autres perspectives, impossibles à imaginer en temps normal afin de respecter le canon scénaristique. What if, de Roy Thomas, est à cet égard un cas d’école.

[10En 1882, Jules Verne écrit une pièce de théâtre intitulée Voyage à travers l’impossible. Il y rassemble plusieurs des héros de ses romans, que ce soit le capitaine Nemo et son Nautilus (Vingt Mille Lieues sous les mers), le président du Gun-Club, Impey Barbicane (De la Terre à la Lune) ou le Docteur Ox (issu d’un recueil de nouvelles éponyme).

[11Cf. « Comment, pour finir, le monde vrai devint fable », dans Crépuscule des idoles, éditions Folio essais, pp. 30-31.

[12Afin de mener cette réflexion sur la prééminence accordée aux idéaux et à l’abstraction, il serait possible de mobiliser la philosophie platonicienne de la théorie des formes qui affirme l’existence d’une dualité entre d’une part le monde de l’expérience sensible - qui nous conduit à des intuitions erronées selon Platon - et de l’autre le monde des idées jugées immuables et universelles. Tant d’éléments qui vont à l’encontre de la philosophie nietzschéenne.

[13« Ce concept victorieux de la « force », grâce auquel nos physiciens ont créé Dieu et l’Univers, a besoin d’un complément ; il faut lui attribuer un vouloir interne que j’appellerai « la volonté de puissance », c’est-à-dire l’appétit insatiable de manifester la puissance. » (La volonté de puissance, livre II, tome I, de Friedrich Nietzsche, 1901).

[14Nous insisterons sur cette différence entre surhomme et super-héros en évoquant la distinction suivante : l’un est fait de puissance (une intensité), il s’agit du surhomme nietzschéen, tandis que le second existe par le pouvoir (ou super-pouvoir) - force qui se mesure au champ d’action qui est le sien. Le pouvoir s’exerce sur et au dépend des autres - Superman peine cependant parfois à se gouverner lui-même -, alors que la puissance se pense dans le rapport à soi-même - bien qu’elle puisse se construire par la rencontre et la lutte. Les finalités ne sont pas les mêmes.

[15L’essentiel des analyses que nous évoquerons ici concernant la naissance du surhomme dans le roman-feuilleton français du milieu du XIXe siècle proviennent de l’article « Surhomme », « bas romantisme », fascisme : Antonio Gramsci et le roman populaire français de Romain Descendre publié dans La France d’Antonio Gramsci, pp. 113-152, dirigé par Jean-Claude Zancarini et Romain Descendre.

[16« « Surhomme ». On le trouve dans le bas romantisme du roman-feuilleton : chez Dumas père – Comte de Monte-Cristo, Athos, Joseph Balsamo – par exemple. Eh bien : de nombreux soi-disant nietzschéens ne sont que des… dumasiens qui, plus tard, ont « justifié » par quelques rudiments nietzschéens l’état d’esprit qu’avait créé en eux la lecture du Comte de Monte-Cristo. » (Cahiers de prison d’Antonio Gramsci).

[17« “La volata” di D. Niccodemi », Avanti !, 24 avril 1919, dans « Surhomme », « bas romantisme », fascisme : Antonio Gramsci et le roman populaire français de Romain Descendre.

[18« Surhomme », « bas romantisme », fascisme : Antonio Gramsci et le roman populaire français » de Romain Descendre publié dans La France d’Antonio Gramsci , pp . 113-152, dirigé par Jean-Claude Zancarini et Romain Descendre.

[19Le Comte de Monte-Cristo, d’Alexandre Dumas et Auguste Maquet, chapitre 31, « Italie. Simbad le marin », page 289, édition omnibus.

[20Article le « Surhomme », « bas romantisme », fascisme : Antonio Gramsci et le roman populaire français de Romain Descendre publié dans La France d’Antonio Gramsci, pp.113-152, dirigé par Jean-Claude Zancarini et Romain Descendre.

[21Umberto Eco qualifie ce processus narratif de « consolatoire » dans De superman au surhomme (1993). Le surhomme console immédiatement par son action salvatrice, là où la solution politique nécessiterait un temps et une complexité incompatibles avec l’esprit romantique et la forme romanesque.

[22Dans De superman au surhomme, Umberto Eco analyse avec pertinence Madame Bovary de Gustave Flaubert sous l’angle de l’héroïne dépossédée de son agentivité. Elle est décrite comme une lectrice de romans à la Eugène Sue. Elle est passive, nourrie d’espoirs vains, animée par le rêve d’une vie romantique à l’instar des princesses de ses romans à l’eau de rose. L’objectif ? Rompre la monotonie de son existence, la détourner du réel.

[23Si nous avons fait le choix de porter notre attention sur la théorie de Thomas Carlyle, il est à noter que les réflexions du philosophe allemand Hegel, sur la théorie du grand homme, sont antérieures. Elles sont notamment développées dans Phénoménologie de l’esprit publié en 1807

[24Thomas Carlyle et le culte du Héros aux époques de paralysie spirituelle de François-Emmanuël Boucher (2024)

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