D’abord, une remarque au sujet de la phrase "comprenant bien que DC possède les droits des anciens héros de Charlton"…
Les personnages de Watchmen sont des créations originales inspirées des héros Charlton, dont DC a bel et bien les droits, et ne se prive pas pour les exploiter depuis plus de vingt ans. Il y a eu, ou il y a encore des comic books avec Captain Atom (inspiration du Dr Manhattan), Blue Beetle (inspiration de Nite Owl), the Question (inspiration de Rohrschach)…
Il n’y a donc pas de réel rapport entre la volonté de DC de relancer ce qu’elle perçoit comme une licence (et non pas comme une œuvre) et une autre licence qu’elle exploite déjà depuis longtemps.
D’autre part, nul n’est besoin d’être "conservateur" pour estimer que donner une "suite" ou une "pré-suite" à une œuvre contre la volonté de son créateur (Alan Moore) n’est, à tout le moins, pas faire preuve de beaucoup de respect vis-à-vis de lui. Pas besoin non plus de considérer que l’œuvre est "parfaite". Ce n’est d’ailleurs même pas une question de point de vue. Elle l’est, effectivement, de la même manière que n’importe quelle œuvre menée à bien par ses créateurs au plus près de ce qu’ils avaient conçu au départ est parfaite. La "pré-suite" de "Watchmen" ne fera pas partie de "Watchmen", ce sera un appendice, une variation, un apocryphe, tout ce qu’on voudra mais en aucun cas quelque chose qui modifierait, enrichirait, voire amoindrirait "Watchmen". Alors quel intérêt ?
Imaginez que moi ou n’importe qui d’autre décide de reprendre les personnages de "Guerre et Paix", ou de "Madame Bovary", et de leur inventer des aventures qui se situeraient avant l’histoire principale, ou dans les intervalles laissés libres par l’intrigue. Cela paraîtrait sans doute prétentieux et un peu vain. À quoi bon prétendre compléter ou développer une œuvre qui se suffit à elle-même et n’a certainement pas besoin de moi pour exister ?
La différence, pour "Watchmen", c’est que l’œuvre n’est pas dans le domaine public et que sa maison d’édition possède, outre le droit de l’éditer, celui d’en exploiter les personnages sous d’autres formes sans demander l’avis de personne, à commencer par leurs créateurs. Un peu comme si l’éditeur de la "Recherche du Temps perdu" avait eu le droit de lancer des spin-offs mettant en vedette Albertine, Odette Swann ou le Baron de Charlus. Tiens, voilà une idée ! Raconter le premier amour du Baron de Charlus ! On appellerait ça "Un Amour de Charlus" et on demanderait à un écrivain à la mode de l’écrire.
Un peu ridicule, non ? Comme si "la Recherche" avait besoin de ce genre de stratagème pour relancer ses ventes, pour que de nouveaux lecteurs viennent, encore et toujours, la découvrir. Le fait que DC ne considère pas "Watchmen" comme ce genre d’œuvre est regrettable. Ce n’est pas là l’attitude d’un éditeur, qui exploite et développe un catalogue d’œuvres développées par des auteurs, c’est celle d’un exploitant de licence, qui exploite des "properties". Actuellement, DC met toute son énergie dans la perpétuation de licences souvent très anciennes (Superman, Batman…) mais délaisse complètement tout ce qui pourrait ressembler à des œuvres d’auteur.