Imaginez la stupéfaction de touristes japonais débarquant leur appareil photo à la main : Dans l’atelier de Cézanne, un énergumène peint devant eux une immense toile -aux mêmes dimensions que les Baigneuses...
C’est Herr Seele qui se confronte au peintre de la Montagne Sainte-Victoire, entre cafetière, pot à gingembre chinois qu’il emprunte à l’atelier de l’artiste, et une inévitable nature morte aux pommes. Le Flamand ne se contente pas de peindre d’ailleurs : parlant couramment cinq langues (néerlandais, français, anglais, allemand et italien), il commente ses choix, évoque les conseils de Pizarro à Cézanne, parle de la palette de couleurs du peintre. "Il associe le bleu et le vert, analyse-il, mais cela ne marche pas, c’est une harmonie impossible, il lui faut y ajouter du noir !..."
Quel rapport entre Cézanne et la BD, direz-vous ? Herr Seele a réponse à tout : "Il est, avec Caspar David Friedrich, un de ceux qui incarnent le tragique du paysage. Aujourd’hui, nous vivons ce sentiment tragique dans le monde de la BD. Jadis, la BD était dédiée à la jeunesse. Cette naïveté a disparu et Kamagurka et moi tentons de la retrouver dans notre Cow-Boy Henk. Dans ce tableau, j’essaie de rencontrer Cézanne, surtout dans ses influences -pas forcément perceptibles- issues de l’art gothique médiéval. La partie centrale de mon tableau est une sculpture en bas-relief basée sur le portrait du peintre aixois Achille Emperaire qui était bossu. J’ai sculpté cette partie dans du tilleul pour lui conférer un aspect gothique, très présent à mon avis chez Cézanne. Quand on y réfléchit, le gothique est un maniérisme quasi cubiste. Les cubistes s’en réclamaient, disaient qu’il était "le père du cubisme".
Il ajoute : "Le cubisme précurseur de Cézanne est influencé par les montagnes environnantes d’Aix. Quand on le compare au Monet de Giverny ou au Pizarro d’Auvers-sur-Oise, ou même aux peintres parisiens, leur approche était davantage lyrique, pourrait-on dire, plus romantique : ce sont des fleurs, des campagnes... Chez Cézanne, c’est plus minéral : ce sont des rochers, avec une vie plus rude, un soleil qui tape fort en été et un pays, au XIXe Siècle, plus isolé qu’aujourd’hui, juste avant que la Révolution industrielle n’arrive dans les campagnes. Dans une toile de Vincent Van Gogh, on voit, en détail dans un paysage, un train qui roule à Arles."
Le cours d’histoire continue. La couleur de Cézanne suit un cheminement particulier : "Il était un grand admirateur de Delacroix. Il a utilisé sa manière très sombre dans les portraits, un peu baroques, comme Velázquez. Il a reconnu la grandeur de Courbet qui défendait une certaine "laideur" dans ses sujets. Comme Millet, il voulait montrer les gens comme ils étaient. Ce réalisme l’a beaucoup impressionné, comme beaucoup de peintres de la fin du XIXe Siècle. "Les Joueurs de cartes" sont des gens très ordinaires, qui perdent leur temps à jouer, chose qui était mal acceptée dans la société bourgeoise de l’époque. Cela dit, Cézanne était plutôt conservateur, marqué par le catholicisme (sa sœur avait un directeur de conscience jésuite). Il s’est bagarré avec Pizarro qui était d’un tempérament plutôt anarchiste et socialiste. C’est pourquoi j’aborde Cézanne sur son côté gothique, religieux..."
On l’aura compris, avec Herr Seele, on a affaire à une personnalité hors-norme qui n’est pas seulement auteur de BD (il a dessiné plus de 3000 planches de BD) mais aussi à un plasticien doué capable de structurer son discours dans des explorations hardies et souvent inédites. C’est un peu ce propos qui est décrit dans le parcours concocté à Aix par Jean-Marie Derscheid et Serge Darpeix : les dessins d’Herr Seele voisinent avec une gravure authentique de Bruegel et une autre de Jérôme Bosch. On retrouve ses travaux de jeunesse élaborés dans un famille d’artistes (sa mère est un peintre reconnu en Flandre), ses travaux solo et ses collaborations, principalement avec Kamagurka autour de leur personnage fétiche, Cow Boy Henk.
Un espace immense où Herr Seele s’amuse, construisant là un Peep-Show (interdit aux moins de 18 ans, désolé, les mômes), customisant un piano (on sait qu’il est accordeur de piano et collectionneur de cet instrument dont il possède plus de 200 pièces, dont une signée Franz Liszt !) ou encore un parcours en tête de Cow-Boy Henk, coinçant des peintures d’inspiration baroque avec des foutages de gueule de l’histoire de l’art, un peu comme s’il se réappropriait un bien emprunté naguère par les grands courants de la peinture du XXe Siècle, du dadaïsme à l’art contemporain, et qui semble bien manquer aujourd’hui : l’humour.
(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))
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Programme détaillé sur BD-AIX.com
Photos : D. Pasamonik(L’Agence BD)
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