Qui, à part les spécialistes, connait aujourd’hui l’existence de Charles Laborde ? Le dessinateur français, né à Buenos Aires en 1886, n’a pas laissé une empreinte déterminante dans les revues pour lesquelles il a abondamment collaboré. Le Rire, L’Assiette au beurre ou La Baïonnette regorgent des caricatures et dessins de presse de l’artiste formé à l’Académie Julian et aux Beaux-Arts de Paris. Mais sa production ne s’est pas particulièrement détachée de celle de ses collègues condamnés à gagner leur vie par ces « petits boulots », exclus qu’ils étaient de prestigieux travaux d’illustration à cause de leur style si peu académique. Après avoir utilisé divers pseudonymes, Charles décide d’angliciser son prénom en Chas, diminutif de Charley, inspiré par ses fréquents séjours en Angleterre.
Après la Première Guerre mondiale, la situation évolue. La bibliophilie prend de l’ampleur et on propose à certains de ces dessinateurs, dont Laborde, d’illustrer des romans contemporains. Les œuvres de ses amis Jean Giraudoux et Pierre Mac Orlan seront ainsi revisitées par l’artiste. Mais les tirages sont confidentiels, et les éditeurs ne sont toujours pas convaincus par son trait. À partir du milieu des années 1920, c’est la presse qui va lui permettre de réaliser son grand-œuvre en l’envoyant en reportage dans diverses capitales à travers le monde.
Paris (1926), Londres (1928), Berlin (1930), New York (1932), Moscou (1935) et Madrid (1936) accueillent Laborde, carnet de croquis et crayon à la main. Il arpente les rues, visite certains endroits, et croque sur le vif les passants. De retour après ces balades dans le pied-à-terre qui lui sert d’atelier, il pioche les personnages, reconstitue les lieux et délivre un documentaire dessiné de tout premier plan. C’est une trentaine d’originaux de cette période que l’exposition présente et qui sont intéressants à bien des égards.
Au niveau artistique, ces vues urbaines où fourmille une foule grouillante, trépidante, sont fascinantes par leur composition à la fois chargée et très lisible. L’expressivité des visages, dont on comprend qu’ils ne sont pas inventés, forcent à s’attarder sur le moindre détail, criant de vérité. Les touches de couleurs s’éloignent quelque peu du réalisme pour distiller des ambiances et servir également la lisibilité. D’un point de vue sociologique, les reportages de Chas Laborde donnent un éclairage saisissant de la vie quotidienne de ces capitales dont la frénésie s’incarne sur le papier. La photographie de ces populations s’attarde aussi bien sur la bonne société que sur les classes populaires, alternant ainsi les ambiances.
Une diversité d’ambiances accentuée par la variété des capitales visitées. L’intérêt documentaire des reportages de Laborde n’en est que plus grand. L’insouciance parisienne, londonienne et newyorkaise, les derniers feux de la République de Weimar et la montée du nazisme, le Moscou de Staline, Madrid au déclenchement de la guerre d’Espagne sont autant de facettes d’une période en ébullition. Comme le souligne Emmanuel Pollaud-Dullian (co-commissaire de l’exposition) dans l’ouvrage qu’il lui a consacré en 2010, Chas Laborde montre par ses dessins le passage des années folles aux années sombres.
Il se hisse ainsi au niveau de son ami Gus Bofa, qui le convia au Salon de l’Araignée (deux sujets pour lesquels Emmanuel Pollaud-Dulian, grand spécialiste de la question, publia l’année dernière de remarquables ouvrages). À noter pour conclure que l’exposition Chas Laborde est abritée dans l’envoûtant atelier de Cézanne, qui y travailla les quatre dernières années de sa vie. En plus des 12 autres expositions gratuites visibles encore plusieurs semaines dans le centre-ville d’Aix en Provence, voilà une belle raison d’aller faire un tour aux Rencontres du 9e art.
(par Thierry Lemaire)
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Exposition Chas Laborde
Atelier Cézanne, 9 avenue Paul Cézanne, 13090 Aix en Provence
Jusqu’au 27 avril
Entrée libre
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