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2016, année Lucky Luke

Par Didier Pasamonik (L’Agence BD) Pascal AGGABI le 28 décembre 2015                      Lien  
En 2016, Lucky Luke sera septuagénaire. C'est en 1946, en effet, que paraît pour la première fois dans "Spirou" le cow boy solitaire inventé par Morris, porté à maturité par René Goscinny, aujourd'hui dessiné par Achdé et animé par bien d'autres scénaristes depuis la disparition de Goscinny en 1977. Une année de grands changements puisque le dessinateur Jul en assurera le scénario à l'automne, deux Lucky "vu par..." s'ajouteront à la collection, appuyés par une nouvelle série de dessins animés sur M6 et un documentaire sur Morris sur Arte à la fin 2016. Jamais Morris n'a été aussi "lucky".

Quoi, vous ne le saviez pas ? Lucky Luke fêtera ses 70 ans en 2016 et il est plus fringuant que jamais ; songez-y quand de bon matin vous accusez l’âge en vous extrayant péniblement de votre lit si douillet, perclus de douleurs multiples et lancinantes. En attendant, le sémillant cow-boy continue de tirer plus vite que son ombre et poursuit sa tonitruante chevauchée sur le fil de l’actualité qui a du mal à suivre sa cadence endiablée.

2016, année Lucky Luke
Lucky fête ses 70 printemps en 2016
(c) Morris / Lucky Comics

Il est vrai que ce personnage-phare de la BD franco-belge, ce dinosaure en Stetson, méritait un feu d’artifice de circonstance. Ça tombe bien puisque Lucky Comics, filiale de Dargaud-Lombard, compte faire de cet anniversaire un grand événement. Avec, dès janvier, pour le Festival International de la BD 2016, une exposition consacrée au personnage à la Cité de la Bande-Dessinée d’Angoulême, qui contiendra pas moins de 145 originaux de Morris.

’Art de Morris par Stéphane Beaujean et Jean-Pierre Mercier [Dir.]. Ed. Dargaud.

Mais aussi un somptueux Artbook consacré à L’Art de Morris et la réédition dans un bel écrin de l’album Phil Defer, sorti en 1956, ouvrage dont les originaux ont bénéficié d’une nouvelle numérisation.

Nous vous parlerons de l’exposition angoumoisine peu avant son ouverture, quand nous l’aurons visitée le 19 janvier prochain. En attendant, l’Artbook (par Stéphane Beaujean et Jean-Pierre Mercier [dir.], Dargaud) qui lui sert de catalogue peut faire office de viatique et, il faut bien le dire, nous sommes d’emblée séduits car pour la première fois, toute l’iconographie de l’ouvrage est basée sur les originaux numérisés du maître.

Ce n’est pas un mince exploit car, comme pour l’exposition angoumoisine, nous verrons ces originaux pour la première fois. De son vivant, Morris ne laissait jamais sortir ses originaux. ils étaient cadenassés dans un coffre ! Les voir là, parfaitement numérisés, agrandis à l’envi permet de jouir pleinement de cet "art" (le titre de l’ouvrage n’est pas usurpé et rappelons-nous que les vocables de "9e Art" et même de "Musée de la BD" ont été popularisés par Morris lui-même dans Spirou, dès 1964) qui révèle un grand styliste, conscient de sa technique et de ses effets et qui prend pleinement sa dimension lors de la rencontre du créateur de Lucky Luke avec René Goscinny. Nous y reviendrons.

Un dessin extrait de Billy The Kid
(c) Morris/Goscinny / Lucky Comics

Un dessin magnifié

Cet Artbook recèle bien des surprises. D’abord un avant-propos de Jean-Christophe Menu qui, on doit le réaffirmer ici, car d’aucuns pensent qu’il déteste la BD commerciale, est un grand admirateur de l’école belge et de Morris en particulier. "L’énigme Lucky Luke" est le titre de son texte. Une énigme pour un auteur qui pense la "sphère de la bande dessinée" en dehors de toute perception économique et davantage en termes esthétiques et formels. [1]. Une énigme qui restera pour lui un mystère car sa lecture de la carrière de Morris est entachée d’erreurs, notamment les raisons qui justifient le passage du broché au cartonné pour la collection Lucky Luke, ou encore ses considérations complètement erronées sur la technique de la couleur chez Morris.

Sublimes originaux.
(c) Morris / Lucky Comics
Une planche de Calimity Jane
(c) Morris/Goscinny / Lucky Comics

Autrement plus pertinent est le texte de Philippe Capart, "De Félix le chat à Lucky Luke" qui met bien en parallèle le travail de Morris avec le dessin animé, ou les autres contributions comme celles qui mettent le cow-boy solitaire dans la perspective du western hollywoodien ou encore l’analyse remarquable du "Mouvement arrêté" chez Morris.

Phil Defer, par Morris
(c) Morris / Lucky Comics

On est moins convaincus en revanche par l’affirmation qu’ "il n’y a pas d’école de Marcinelle". Outre le fait que le vocable a été forgé, sans doute sur le mode ironique, par ceux-là mêmes qui en étaient issus (probablement Yvan Delporte, il faudrait vérifier), il n’est pas nécessaire qu’il y ait un studio, ou une salle de classe, pour qu’il y ait "un effet d’école". Une injonction esthétique (formelle, dans le système hergéen chez Tintin, ou cooptative chez Spirou) suffit. Le système Dupuis fonctionnait littéralement par compagnonnage, les formations se faisant soit dans les ateliers d’artiste (comme Giraud chez Jijé, Jidéhem ou Roba chez Franquin) soit dans les ateliers de Dupuis (on pense à Lambil faisant les lettrages flamands, à Vittorio Léonardo, chromiste dans les ateliers de Marcinelle).

Pour compléter cet Artbook, Dupuis propose une édition grand format en fac-similé des planches de l’album Phil Defer dont les premières planches ont été publiée dans Le Moustique en 1954 (Spirou n’ayant pu les publier car jugées trop violentes). Un tirage de 3000 exemplaires qui sortira en librairie juste avant l’exposition d’Angoulême, le 22 janvier 2016.

Une planche magnifique de Phil Defer

Hommages

Dans le même esprit que la collection "Spirou par..." qui nous avait valu l’heureuse surprise de révéler le talentueux Émile Bravo au grand public, Lucky Comics a décidé de confier le cow-boy à d’autres talents. Une façon de rendre hommage tout en désenclavant le personnage de Lucky Luke des canons trop rigides du sacro-saint "respect de l’œuvre" que d’aucuns critiques qui se sentent eux-mêmes comme des "dinosaures", comme Thierry Groensteen s’attachent à défendre coûte que coûte.

Ainsi est-ce le cas pour Matthieu Bonhomme, grand fan de Morris et de Lucky Luke héros de son enfance, qui donnera, en avril 2016, sa version du cow-boy solitaire. Il en fait un freluquet dans un réalisme bien éloigné du schématisme morissien. C’est assez sublime, il faut bien le dire, et cela nous vaut quelques clins d’œil déconstructifs comme cette page où le dessinateur s’amuse à tuer le mythe, chose que Morris, en moderne avéré, avait déjà fait quelquefois avant lui.

Matthieu Bonhomme devant sa version de Lucky Luke
Photo Lucky Comics (c) Morris/Bonhomme / Lucky Comics
Lucky Luke par Matthieu Bonhomme
(c) Morris/Bonhomme / Lucky Comics

De même, on sourit d’avance à la version qu’en donnera Bouzard en juin 2016, qui s’amuse à interroger l’icône au travers de ses contradictions, parmi lesquelles son passé de fumeur et son célibat forcené.

Tout cela est sensé nous faire patienter jusqu’à l’arrivée du septième Lucky signé par Achdé avec cette fois au scénario le talentueux Jul à propos duquel nous écrivions il y a quelques semaines : "Un excellent choix. Rappelons que le nom de Jul circulait aussi sur la reprise du scénario d’Astérix, signe que nous avons là un auteur qui s’inscrirait dans la lignée goscinnienne, la meilleure de la saga inventée par Morris."

Pfou, quelle année !

L’hilarante version de Bouzard
(c) Morris/Bouzard / Lucky Comics
Documents
Crayonné de couverture de Morris pour "Hors la loi" L'hilarante version de Bouzard L'hilarante version de Bouzard L'hilarante version de Bouzard Lucky Luke par Matthieu Bonhomme Lucky Luke par Matthieu Bonhomme Lucky Luke par Matthieu Bonhomme Lucky Luke par Matthieu Bonhomme Etude de personnage par Morris Magnifique planche de Phil Defer le faucheux Un air de Jack Palance, dans Phil Defer le faucheux

(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))

(par Pascal AGGABI)

Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.

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Code EAN :

- Exposition L’Art de Morris
présentée du 28 janvier au 18 septembre 2016
Musée de la bande dessinée
quai de la Charente - Angoulême

- Le Site de l’exposition

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- Lucky Luke sur le site de Dargaud
- Le site officiel de Lucky Luke
- La page Facebook de Lucky

[1Il n’est pas le seul : enfants perdus de la sémiologie, Pierre Fresnault-Desruelles, Thierry Groensteen, et dans une moindre mesure Thierry Smolderen et Benoît Peeters, de tous ceux qui ressortent de cette production de "gnose angoumoisine", souvent jargonnante, sinon pédante (à ce titre, Harry Morgan atteint des sommets), ont une forte tendance à penser la bande dessinée en dehors de toute préoccupation véritablement historique, notamment éditoriale -à quand le premier article sur Georges Dargaud ?- , technique ou économique, alors que ces contextes ont fortement pesé sur les choix éditoriaux opérés par les différents acteurs du métier. Ils s’opposent au courant des "collectionneurs-entomologistes", très méprisée par les gnostiques angoumoisins, dans lesquels on pourrait classer notamment Gilles Ratier, Patrick Gaumer ou les époux Christelle et Bertrand Pissavy-Yvernault qui ont l’avantage d’apporter des faits objectifs et des documents nouveaux, parfois assortis d’analyses et de contextualisations pertinentes, ce qui les distingue du manque de rigueur de leurs prédécesseurs Moliterni et Filippini qui avaient pour eux d’être des pionniers dans leur domaine.

 
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9 Messages :
  • 2016, année Lucky Luke
    28 décembre 2015 13:00, par Philippe Capart

    Bonjour Didier,
    je ne comprends pas bien ton texte, mon article dans l’ouvrage n’évoque pas d’"école de Marcinelle". J’égratigne bien l’étiquette dans le N° de la Crypte Tonique sur Walthéry (http://www.lacryptetonique.com/spip.php?rubrique16). Je pense que les dénominations du type "les surréalistes", "les cubistes", "l’école de Bruxelles" etc. sont réductrices et masquent les spécificités de chaque démarche, de chaque auteur. Cela devient vite un concept fourre-tout et procède d’une récupération local, nationale ou politique de mouvements qui dépassent largement le lieu d’émission. Que des codes soient partagés entre-eux, c’est certain !
    Cordialement,
    Philippe Capart.

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    • Répondu par Didier Pasamonik (L’Agence BD) le 28 décembre 2015 à  13:54 :

      Je pense que les dénominations du type "les surréalistes", "les cubistes", "l’école de Bruxelles" etc. sont réductrices et masquent les spécificités de chaque démarche, de chaque auteur. Cela devient vite un concept fourre-tout et procède d’une récupération local, nationale ou politique de mouvements qui dépassent largement le lieu d’émission.

      Cher Philippe,

      Évidemment que l’on peut, et que l’on doit, remettre en cause les dénominations. Nous sommes dans un domaine où la théorie n’existe quasiment pas et ceux qui, aujourd’hui, s’autoproclament "théoriciens de la bande dessinée" s’avèrent, me semble-t-il, insuffisamment armés pour la bâtir. Je pense concrètement aux approximations de Thierry Groensteen sur la Ligne Claire (cf. Flous et nettetés de la Ligne Claire).

      Quant à la question des dénominations des écoles, elles sont commodes. "École de Marcinelle" est aussi flou que "Style Spirou" (on se souvient des moqueries de Goscinny, issu de "L’École de Neuilly" par rapport à "L’École de Bruxelles", concept forgé, selon Hergé, par Jacques Martin, dans laquelle il évoque une "école de Charleroi qui habitait le Bowery de New-York City).

      Évidemment qu’il faut les nuancer,ne fut-ce que parce que, déjà, dans Spirou les dessinateurs réalistes s’opposent aux dessinateurs humoristiques et que, d’un titre à l’autre, les transfuges brouillent un peu les cartes.

      Dans le Hors-Série de L’Express sur XIII, j’écrivais :

      "Dans l’historiographie de la bande dessinée belge, les commentateurs ont souvent agi par facilité, opposant le Journal Tintin et "l’École de Bruxelles", avec Hergé et Edgar P. Jacobs en chefs de file, à Spirou, organe d’une "École de Marcinelle" cornaquée par Jijé et Franquin. La Ligne Claire documentée et réaliste d’un côté, le style rond et les gros nez de l’autre... Simplification abusive : les premières planches de XIII furent publiées dans Spirou et la contribution de William Vance à l’hebdomadaire des 7 à 77 ans est aux antipodes de la Ligne claire."

      Mais cela ne veut pas dire qu’il n’y a pas d’effet d’école. Il y a réellement une parenté par exemple entre Franquin et Peyo ; entre Hubinon et Paape ; Entre Jijé et Hermann ; entre Jacobs et Jacques Martin...

      Une "théorie générale" reste à écrire. Historiens, à vos papiers. Mais cela, je l’ai déjà plusieurs fois exprimé avec constance dans nos colonnes ICI et .

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  • 2016, année Lucky Luke
    29 décembre 2015 11:36, par Gil

    Pas d’aventures inédites de LUCKY LUKE dans cet ouvrage de MORRIS sauf quelques cases de l’inachevé L.L contre L.L.
    Comme dans Spirou tout le monde peut dessiner du Lucky Luke maintenant avec le risque que le dessin paraisse trop beau ou trop moche par rapport à Morris et Achdé.

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    • Répondu par Didier Pasamonik (L’Agence BD) le 29 décembre 2015 à  13:01 :

      Pas d’aventures inédites de LUCKY LUKE dans cet ouvrage de MORRIS sauf quelques cases de l’inachevé L.L contre L.L.

      Vous parlez de quel ouvrage, car cet article en mentionne plusieurs.

      Comme dans Spirou tout le monde peut dessiner du Lucky Luke maintenant avec le risque que le dessin paraisse trop beau ou trop moche par rapport à Morris et Achdé.

      C’est aussi une façon de mettre la pression sur Achdé, il ne faut pas se leurrer...

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      • Répondu par Gil le 1er janvier 2016 à  11:26 :

        Le livre dont je parlais est l’art de Morris.
        Pour Achdé je trouve qu’il s’en sort très bien pour lucky Luke car il est très difficile de reprende une série qui appartenait à l’un des maîtres de la BD Franco-Belge.

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  • 2016, année Lucky Luke
    29 décembre 2015 23:49, par el rudo

    Lucky luke par bouzard ?
    Doit-on en rire ou en pleurer ?

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    • Répondu par Oncle Francois le 30 décembre 2015 à  10:02 :

      Bouzard est parfois rigolo, son traitement d’une icône comme Lucky Luke risque d’être décapante : évidemment, il ne va pas chercher à faire une copie conforme. Il faut aider les jeunes dessinateurs (qui n’ont pas encore de série bien vendeuse) à gagner leur vie en faisant de temps en temps un one-shot sur un personnage classique, connu à l’échelle mondiale ; cela permet de se payer de belles vacances, une nouvelle voiture, un nouvel ordi.

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  • 2016, année Lucky Luke
    3 janvier 2016 23:36, par RD

    Il me semble que ce que dit Menu sur le passage du broché au cartonné ou sur l’utilisation de la couleur n’est pas très éloigné de ce que disent les auteurs de l’ouvrage. Mais soit, pourriez-vous précisez en quoi il se trompe ?

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  • 2016, année Lucky Luke
    31 mars 2016 17:46, par Pascal Aggabi

    Le projet Lucky Luke Mort la Poussière album hommage au célèbre cow-boy qui tire plus vite que son ombre par Lewis Trondheim et Cyril Pedrosa annulé pour""mésentente avec Dargaud" dixit Trondheim :http://lewistrondheim.tumblr.com/post/142004551364/un-projet-de-lucky-luke-avec-pedrosa-ne-se-fera

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