En 1947, le tandem légendaire formé de Simon et Kirby lançait Young Romance, le premier comic book sentimental. Inspirés par les romans à l’eau de rose, magazines féminins (confession magazines) et autres pulps, ils allaient combler un vide important en ciblant le marché féminin (autant les jeunes filles que les femmes plus âgées). L’industrie des comics de super-héros était alors caractérisée par une période de stagnation et la plupart des publications de l’époque (comics d’action et autres Mickeys) étaient presque exclusivement lues par les garçons (exception faite d’Archie, créé par Bob Montana en 1939, qui visait les ados des deux sexes).
Young Romance connaît alors un succès instantané : le premier numéro, tiré à environ 350 000 exemplaires, s’épuise immédiatement. En cette période d’après-guerre, un tel exploit est inespéré. Le deuxième numéro, tiré à un million d’exemplaires, s’envole lui aussi. La mode des comics sentimentaux est alors lancée !
En 1949, Crestwood, l’éditeur de Young Romance, lance un deuxième titre intitulé Young Love, qui remporte lui aussi un succès foudroyant. Young Love sera suivi par une véritable explosion de publications : en 1949, pas moins de 118 titres de love comics différents verront le jour (il n’y en avait auparavant qu’une douzaine). C’est le véritable âge d’or des comics sentimentaux. Durant les années 1950, pas moins d’un comic book sur quatre appartient alors à ce genre. Ainsi, les titres se suivent et se ressemblent : Lovers’ Lane, Brides Romances, Love Lessons, First Love, Boy Meets Girl, True Love Confessions, My Love Secret, My Love Story, My Secret Romance, etc.
La formule mise de l’avant par Young Romance et reproduite par ses compétiteurs est simple : chaque comics contient trois ou quatre histoires d’amour résolues en quelque pages, ainsi que différentes rubriques (courrier sentimental des lecteurs, tests de personnalité, etc.), le tout pour 10 cents.
Dès les années 1960, toutefois, les love comics connaissent un déclin inévitable. En cette période de contre-culture et de révolution sexuelle, les récits sentimentaux ne correspondent plus aux valeurs de la jeunesse et reflètent mal les différents bouleversements sociaux de l’époque. Les titres les plus populaires, autrefois tirés à un million, parviennent difficilement à vendre 150 000 exemplaires. Le genre meurt officiellement en 1977 avec la parution du dernier numéro de Young Love. Young Romance s’était éteint deux ans plus tôt, en 1975.
Une fascinante anthologie
Avec Agonizing Love, Michael Barson présente une anthologie entièrement consacrée aux comics sentimentaux des années 1947-1957, période qui correspond à l’âge d’or du genre. Les récits choisis – des reproductions de type fac-similés – proviennent de la collection personnelle de l’auteur, estimée à environ 5500 exemplaires. Fait amusant, Barson y reproduit également plusieurs illustrations de couvertures (qui, de son propre avis, sont parfois meilleures que les récits eux-mêmes), ainsi que différents extraits de rubriques. Pour accompagner notre lecture, l’auteur présente même une suggestion de trame sonore, composée des plus grands succès américains des années 1950-1955.
Agonizing Love est divisée en cinq grandes sections thématiques. La première est réservée aux couples de papier qui ont l’impression de filer le bonheur parfait : fiançailles, mariages, lunes de miel et heureux événements y ont la part belle. La deuxième section aborde plutôt les histoires de jalousie et de trahison. Viennent ensuite les intrigues marquées par le désespoir, les regrets et les occasions manquées. La quatrième section, réservée aux difficultés conjugales et aux relations empoisonnées, met en vedette plusieurs belles-mères manipulatrices et envahissantes. Enfin, la dernière section porte sur les conflits de classes sociales, principales causes des amours contrariées.
Pour les lecteurs contemporains, l’anthologie constitue d’abord et avant tout un objet de curiosité. Ces comics sentimentaux nous plongent dans une autre époque où l’on présentait le mariage comme unique source bonheur d’une jeune fille. À cet égard, les sujets de tests de personnalité (« Êtes-vous prête pour le mariage ? », « Serez-vous une mariée ou bien une vieille fille ? ») sont particulièrement révélateurs. De même, si l’on peut difficilement souscrire à ces récits d’amour – il est impossible d’aborder la chose sans y poser un regard amusé – l’anthologie procure tout de même un véritable plaisir de lecture.
Si le contenu graphique du recueil est excellent (Agonizing Love est publié dans la collection de Harper Collins consacrée aux beaux-livres), la portion savante de l’œuvre pourrait être plus soutenue. En effet, le florilège pourrait contenir davantage de mises en contexte, de présentations historiques ou de commentaires de la part de Barson, qui adopte un ton plutôt relâché. Ainsi, nulle mention n’est faite de l’entrée en vigueur du Comics Code Authority en 1954, ni de l’impact que celui-ci aurait pu avoir sur les love comics.
Toutefois, Agonizing Love conserve le mérite de nous faire redécouvrir un genre méconnu qui n’a pourtant pas manqué de marquer toute une génération ni d’inspirer toute une branche du Pop Art, de nombreux sujets ayant été immortalisés par Roy Lichtenstein dans ses tableaux.
Agonizing Love : The Golden Era of Romance Comics est une publication de Harper Design. L’anthologie (reliure souple) fait 208 pages. Son prix est abordable : 32,99$ CAD (29,99$ USD). L’œuvre est distribuée en Europe en version originale anglaise.
(par Marianne St-Jacques)
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