Le lien n’est pas factice : « Mon dessinateur favori est Victor de la Fuente, que je porte au même niveau que Harold Foster. » [1] aurait déclaré un jour Al Williamson à propos du dessinateur espagnol de quelques années son aîné. [2]
Victor de la Fuente, quitte l’Espagne pour le Chili à l’âge de dix ans. Sa carrière sera donc marquée par l’exil. Il débute auprès d’un autre dessinateur espagnol, Lopez Rubio. Il y apprend l’illustration, la bande dessinée, la publicité. Un passage à Buenos Aires décide de sa vocation pour la bande dessinée. Sa signature apparaît dans de nombreux magazines, au Chili et ailleurs. Il quitte bientôt l’Amérique du Sud pour créer une agence de publicité aux États-Unis, activité qu’il partage notamment avec une production graphique régulière pour Dell Publishing.
Sa science du noir et blanc, en même temps que son amitié avec l’école de Buenos Aires (les frères Oesterheld, Breccia, Pratt…), l’amènent à travailler pour l’Angleterre, en particulier pour la Fleetway, l’opulent éditeur de la revue Schoolfriend dont le tirage, dans ces années-là, avoisine le million d’exemplaires vendus par semaine, ainsi que pour son rival D.C. Thomson dont la revue Commando est alors extrêmement populaire. [3]
Une production gigantesque
Grâce notamment à Victor Mora, célèbre auteur du Captain Trueno ayant dû fuir l’Espagne à cause de son activité communiste, il se tourne vers la France. Avec Mora, il publie Sunday, une série d’abord publiée dans Pistes sauvages puis dans France Soir, avant de sortir en albums chez Hachette. De la Fuente publie à nouveau en Espagne mais l’essentiel de sa carrière se passe désormais en France avec des séries comme Haxtur, Mathaï-Dor, Amargo . Mais c’est surtout sa contribution à L’Histoire de France en bande dessinée chez Larousse qu’il doit sa notoriété dans notre pays.
Ce « producteur » qui a souvent choisi la voie commerciale, acceptant les travaux de commande (dont une biographie de Charles De Gaulle…) était néanmoins un grand artiste et l’équipe d’ (A Suivre) ne s’y est pas trompée qui l’invite dès le lancement à une série aux planches magnifiques : Haggarth. A la fin de sa carrière, il travaille pour les plus grands : Jean-Michel Charlier (Les Gringos), Victor Mora (Les Anges d’acier), François Corteggiani (Francis Falko), Patrick Cothias (Josué de Nazareth), ou Jodorowsky (Aliot)… On lui doit aussi une importante contribution sur le Tex Willer des éditions Bonelli.
Son dessin, davantage décoratif que la veine réaliste américaine attachée à l’expression et à l’efficacité, a influencé bon nombre d’artistes qui l’ont suivi comme Esteban Maroto, Carlos Gimenez ou encore les débuts de William Vance.
Une des dernières grandes figures de l’âge classique
Alors que Victor de la Fuente est un chef de file de la bande dessinée espagnole, on peut dire que Al Williamson s’inscrit davantage dans la trace de ses aînés. Admirateur du grand Alex Raymond dont le Flash Gordon (1934) est un sommet du dessin réaliste américain, Williamson suit les cours de Burne Hogarth, le très pompier dessinateur de Tarzan, sur les bancs duquel il se lie d’amitié avec Wallace Wood. Ses débuts dans les E.C. Comics, ces fascicules dédiés à l’horreur, alors dirigés par Feldstein, le classent parmi les dessinateurs réalistes les plus puissants de sa génération. On lui demande de reprendre le Flash Gordon, puis L’agent secret X9, ce qui sonne comme une consécration.
Les décennies suivantes le verront illustrer Star Wars, Daredevil, Spider-Man, Spider-Girl. Avec quelques-uns de ses amis proches, comme Frank Frazetta, il influence toute une jeune génération qu’il soutient le plus souvent, des gens comme Bernie Wrighston ou Mike Kaluta. Son dessin léché, classique, s’inscrit dans la tradition d’Alex Raymond, sans la trahir, mais sans non plus la transcender.
(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))
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En médaillon : Gouache de Al Williamson (extrait).
[1] Le créateur de Prince Valiant.
[2] In La Nueva Espana : El mas grande dijubante de comics espanol par Faustino Gonzalz Arbesu, , 4 juillet 2010.
[3] cf The Warren Companion, par Jon B. Cooke et David A. Roach (dir.), TwoMorrows Publishing, Dec. 2004.
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