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Al Williamson et Victor de la Fuente : deux traditions du dessin réaliste dans la BD

Par Didier Pasamonik (L’Agence BD) le 9 juillet 2010                      Lien  
Al Williamson, né en 1931, est décédé le 12 juin ; Victor de la Fuente, né en 1927, est mort le 7 juillet. Outre l’affliction qu’elle nous occasionne, la disparition de ces deux talents permet, par un hasard de calendrier, de mettre en parallèle deux artistes dont la carrière a été entièrement consacrée au dessin réaliste.
Al Williamson et Victor de la Fuente : deux traditions du dessin réaliste dans la BD
Victor de la Fuente
Photo : DR

Le lien n’est pas factice : « Mon dessinateur favori est Victor de la Fuente, que je porte au même niveau que Harold Foster. » [1] aurait déclaré un jour Al Williamson à propos du dessinateur espagnol de quelques années son aîné. [2]

Victor de la Fuente, quitte l’Espagne pour le Chili à l’âge de dix ans. Sa carrière sera donc marquée par l’exil. Il débute auprès d’un autre dessinateur espagnol, Lopez Rubio. Il y apprend l’illustration, la bande dessinée, la publicité. Un passage à Buenos Aires décide de sa vocation pour la bande dessinée. Sa signature apparaît dans de nombreux magazines, au Chili et ailleurs. Il quitte bientôt l’Amérique du Sud pour créer une agence de publicité aux États-Unis, activité qu’il partage notamment avec une production graphique régulière pour Dell Publishing.

Victor de la Fuente : Sunday
(c) Fleetway

Sa science du noir et blanc, en même temps que son amitié avec l’école de Buenos Aires (les frères Oesterheld, Breccia, Pratt…), l’amènent à travailler pour l’Angleterre, en particulier pour la Fleetway, l’opulent éditeur de la revue Schoolfriend dont le tirage, dans ces années-là, avoisine le million d’exemplaires vendus par semaine, ainsi que pour son rival D.C. Thomson dont la revue Commando est alors extrêmement populaire. [3]

Une production gigantesque

Grâce notamment à Victor Mora, célèbre auteur du Captain Trueno ayant dû fuir l’Espagne à cause de son activité communiste, il se tourne vers la France. Avec Mora, il publie Sunday, une série d’abord publiée dans Pistes sauvages puis dans France Soir, avant de sortir en albums chez Hachette. De la Fuente publie à nouveau en Espagne mais l’essentiel de sa carrière se passe désormais en France avec des séries comme Haxtur, Mathaï-Dor, Amargo . Mais c’est surtout sa contribution à L’Histoire de France en bande dessinée chez Larousse qu’il doit sa notoriété dans notre pays.

Victor de la Fuente : Haggarth, une série parue dans (A Suivre)
(c) La Fuente, Casterman.

Ce « producteur » qui a souvent choisi la voie commerciale, acceptant les travaux de commande (dont une biographie de Charles De Gaulle…) était néanmoins un grand artiste et l’équipe d’ (A Suivre) ne s’y est pas trompée qui l’invite dès le lancement à une série aux planches magnifiques : Haggarth. A la fin de sa carrière, il travaille pour les plus grands : Jean-Michel Charlier (Les Gringos), Victor Mora (Les Anges d’acier), François Corteggiani (Francis Falko), Patrick Cothias (Josué de Nazareth), ou Jodorowsky (Aliot)… On lui doit aussi une importante contribution sur le Tex Willer des éditions Bonelli.

Son dessin, davantage décoratif que la veine réaliste américaine attachée à l’expression et à l’efficacité, a influencé bon nombre d’artistes qui l’ont suivi comme Esteban Maroto, Carlos Gimenez ou encore les débuts de William Vance.

Une des dernières grandes figures de l’âge classique

Al Williamson
Photo : DR

Alors que Victor de la Fuente est un chef de file de la bande dessinée espagnole, on peut dire que Al Williamson s’inscrit davantage dans la trace de ses aînés. Admirateur du grand Alex Raymond dont le Flash Gordon (1934) est un sommet du dessin réaliste américain, Williamson suit les cours de Burne Hogarth, le très pompier dessinateur de Tarzan, sur les bancs duquel il se lie d’amitié avec Wallace Wood. Ses débuts dans les E.C. Comics, ces fascicules dédiés à l’horreur, alors dirigés par Feldstein, le classent parmi les dessinateurs réalistes les plus puissants de sa génération. On lui demande de reprendre le Flash Gordon, puis L’agent secret X9, ce qui sonne comme une consécration.

Flash Gordon repris par Al Williamson
(c) UFS

Les décennies suivantes le verront illustrer Star Wars, Daredevil, Spider-Man, Spider-Girl. Avec quelques-uns de ses amis proches, comme Frank Frazetta, il influence toute une jeune génération qu’il soutient le plus souvent, des gens comme Bernie Wrighston ou Mike Kaluta. Son dessin léché, classique, s’inscrit dans la tradition d’Alex Raymond, sans la trahir, mais sans non plus la transcender.

Superman vu par Al Williamson
(c) DC Comics

(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))

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Code EAN :

En médaillon : Gouache de Al Williamson (extrait).

[1Le créateur de Prince Valiant.

[2In La Nueva Espana : El mas grande dijubante de comics espanol par Faustino Gonzalz Arbesu, , 4 juillet 2010.

[3cf The Warren Companion, par Jon B. Cooke et David A. Roach (dir.), TwoMorrows Publishing, Dec. 2004.

 
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6 Messages :
  • Accesoirement, tous les deux auteurs Williamson et De la Fuente, ont vu publieés quelques unes de ses histoires chez Warren Publishing au même periode ( fin des anées 60)dans les journaux de horreur Eerie et Creepy ; j’imagine que ces deux grands du réalisme graphique étaient bien au courant de ses travaills respectifs...
    Grandissime, De la Fuente, grandissime...

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  • Dans cette page de Superman Williamson, n’ assure que l’ encrage sur dessins de Curt SWAN

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    • Répondu par Alex le 10 juillet 2010 à  22:23 :

      Bien vu ! On peut se demander aussi d’où vient le choix de l’illustration de l’article -une pub pour le tristement célèbre "Union Carbide". Culte ! Mais il y avait peut-être mieux pour rendre hommage... encore que, il me semble déceler un certain bémol également dans la chronique de Mr Pasamonik (cf : Son dessin léché, classique, s’inscrit dans la tradition d’Alex Raymond, sans la trahir, mais sans non plus la transcender).

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  • Un beau parallèle entre deux géants du dessin réaliste d’une qualité immense mais que tout oppose malgré des techniques et moyens communs-les éclairages marqués, les trames les textures-.Ici,c’est deux écoles de pensée qui se présentent à nous.

    Al Williamson c’est la beauté ,la finesse(de trait),la sensibilité,une élégance rare.Mais c’est aussi la puissance la force la vie dans un rendu (photo)réaliste dans les ombres ( très présentes)et les textures mais avec une certaine retenue d’ensemble dans la lignée de l’école Foster/Raymond et d’une certaine peinture de la fin du 19ième siècle et des illustrateurs américains du début du 20ième.Al Williamson vous prend par la main.

    Victor De La Fuente lui vous prend aux tripes.Avec une facilité déconcertanteil nous sert : un dessin ultra expressif ,puissant ,identifiable entre tous, à la composition parfaite et au silhouettage bien personnel.Par contre,là où Williamson encre avec finesse,De La Fuente utilise un trait lourd gras qui en impose et pour tout dire donne un noir et blanc sublime.
    Ce qui rapproche ces deux géant en revanche ,c’est qu’il est une hérésie de les publier en couleur:TOUT LEUR ART (celui de la BD)EN EST RECOUVERT ET AMOINDRI. Deux écoles,deux styles mais un égal bonheur pour le lecteur.

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    • Répondu par la plume occulte le 14 juillet 2010 à  17:52 :

      J’aurai pu dire aussi que De La Fuente c’est la stylisation extrême l’appropriation de la réalité "régurgitée" à sa sauce et Williamson la réel rendu au plus près de ce qu’il est visuellement.Deux manière de voir donc.

      Il est curieux de constater que la somptueuse école de la BD espagnole des années 70/80 dont De La Fuente était paradoxalement une des figures de proue était un mélange fort des deux.On avait là des dessinateurs exceptionnels, maîtres du noir et blanc comme de la couleur, qui ont illuminés les publications de l’éditeur Warren spécialisé dans l’horreur la SF le thriller la fantasy etc...

      On peut citer :Auraléon ,Fernando Fernandez (voir son Zora et les Hibernautes) , l’étonnant Léo Duranona ,Léopold Sanchez ,José Ortiz, Vicente Alcazar, Luis Bermejo ,Ramon Torrens ,et bien sûr le mythique José "pépé" Gonzalez co-créateur de la voluptueuse Vampirella.Le style de cette école espagnole se distinguait surtout par une utilisation particulière de la plume,des aplats noirs virtuoses et un côté"graphique "très particulier -De La fuente était en cela très espagnol mais avec sa manière propre-. Ces dessinateurs avaient comme autre particularité de pouvoir tout dessiner.Ils nous manquent et je vois dans cet article une occasion de leur rendre hommage ainsi qu’à l’école espagnole dont on parle trop peu.Il est regrettable que toute une BD-pas culturellement correcte-soit ostracisée par les médias et les donneurs de prix...

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