Une légende vivante aux airs de mage, tel il se présente à nous. La couverture, illustrée par le talentueux Frank Quitely, le montre en barbu ténébreux, sur le modèle de l’autoportrait de Léonard de Vinci. Les photos de José Villarubia lui rendent un aspect plus gothique, les bagouses lui envahissant les phalanges, et une allure quasi-christique. La plupart des portraits que font de lui les dessinateurs insistent sur cette image de Merlin pétri de spiritualité, entouré d’arbres séphirotiques, tout droit sorti d’un Camelot situé à cent kilomètres de Londres au centre de l’Angleterre, où serait détenu, protégé par mille et uns sortilèges, le Saint-Graal du scénario.
En réalité, Moore est un franc-tireur, un "anarchiste" comme le dit si bien Michael Moorcock dans la préface, en rupture avec cette génération de scénaristes de comics, naguère fourbue et stérile, aujourd’hui inféodée à Hollywood, qui doivent se réunir une fois par mois pour décider de la continuité de leur univers, alors que lui en avait déconstruit le mythe pour le projeter dans de nouvelles perspectives dans lesquelles les créateurs d’aujourd’hui s’engouffrent sans vergogne.
Au fil des chapitres qui suivent la bibliographie de l’auteur, nous découvrons son enfance, marquée par un environnement pauvre (ses parents sont issus de la classe ouvrière), l’aliénation et l’exclusion (il est exclu du lycée pour trafic de LSD), le fanzinat devenant, pour cet autodidacte, son université, à une époque où la bande dessinée anglaise était moribonde, laminée par les super-héros américains.
Là se forgent ses premières amitiés, ses premières alliances, ses premières convictions. Les premiers malentendus aussi. "Le roi secret de Northampton" ne s’oppose pas à la bande dessinée américaine, au contraire, il s’en nourrit (à ce titre, la lecture des Fantastic Four de Kirby est fondatrice), mais en même temps que les grands romanciers populaires et autres facteurs de mythologies, et l’océan qui le sépare de la super-puissance américaine lui donne peut-être la distance qui lui permet d’inscrire la geste super-héroïque dans la pensée et dans l’Histoire de son temps, en clair de le faire entrer dans l’âge moderne.
Moorcock affirme encore que, dans l’histoire des comics, il y a un "avant" et un "après’ Alan Moore. Jean-Pierre Dionnet, rencontrant les journalistes il y a quelques jours, ne dit pas autre chose : "À partir des créations de Charlton créées par Steve Ditko qu’il utilise pour Watchmen, Moore a réussi à faire ce que j’appellerais le tombeau du super-héros classique. Il a prouvé qu’une diversification de personnages, une multiplication d’actions, pouvait être lisible et tolérable. Et ceci, plus encore dans V For Vendetta. Quand on voit que les insurgés portent le masque de V For Vendetta, c’est un grande victoire pour la bande dessinée ! Il y a un moment magique dans l’histoire du comic-book, je l’ai vécu comme lecteur, c’est le moment post-moderne. Il y a eu d’abord Steranko, puis Neal Adams. C’était un mouvement esthétique et graphique mais aussi social. Steranko qui est une intelligence supérieure, avait arrêté en pensant qu’il avait tout dit. Alan Moore le détrompa."
Après le chapitre racontant sa jeunesse, le livre est judicieusement découpé par ouvrage dans l’ordre chronologique. Ainsi, nous découvrons la genèse de ses œuvres marquantes. On est frappé de découvrir un scénariste qui est d’abord dessinateur, proposant des scripts fouillés, bavards, bardés de croquis. Le génie, c’est avant tout du travail.
Le livre brosse le portrait d’un homme qui a su garder sa simplicité enfantine alors que le succès aurait pu lui faire perdre la tête. Gary Spencer Millidge ne dissimule pas ses démêlés avec DC Comics, son passage chez Image et Wildstorm qu’il a vécu comme une "vengeance enfantine" puis son retour au bercail avec America’s Best Comics et enfin les coups de gueules successifs de Moore sur les adaptations de ses œuvres sur grand écran.
À la fin de l’ouvrage, nous découvrons un Moore touche à tout, versé dans la poésie, la musique, tous les arts en fait, qu’ils soient conventionnels ou mystiques, l’art se voulant magie. L’ouvrage est fourni avec un album du groupe musical d’Alan Moore, histoire de donner à découvrir une autre facette inattendue de son talent.
Ce livre s’adresse à tout le monde, que l’on soit mordu de l’auteur ou simple néophyte, pour découvrir le créateur de Watchmen, de From Hell ou The Ligue of Extraordinary Gentlemen sans oublier les plus expérimentales comme Lost Girls. Un must have pour tout lecteur de comics ou simplement les amoureux de beaux livres.
(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))
(par Antoine Boudet)
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