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Albert Uderzo : de Jean-Michel Charlier à René Goscinny

Par Didier Pasamonik (L’Agence BD) le 12 décembre 2017                      Lien  
La saison est, comme il se doit, très marquée par René Goscinny, grâce à deux expos, et par Astérix, grâce au nouvel album signé Ferri et Conrad. Mais il ne faut pas que ces deux réalités de la création d’Albert Uderzo estompent celui qui reste un des plus brillants dessinateurs de sa génération, moteur du «phénomène Astérix ». Heureusement, un troisième volume de l’Intégrale Uderzo (Hors Collection) vient le rappeler à propos.

« Je travaille avec d’excellents dessinateurs, disait René Goscinny, mais mon coéquipier, depuis des années et des années, c’est mon vieil ami Uderzo. J’aime bien Uderzo : c’est un copain, et il est capable de dessiner clairement et avec talent n’importe quoi, jusqu’à, et y compris, un combat de pieuvres dans de la gelée de groseilles. » [1]

Avec cela, tout est dit. Il faut voir la trentaine de planches originales d’Uderzo exposées en ce moment au Musée d’Art et d’Histoire du Judaïsme dans l’exposition « René Goscinny – Au-delà du rire  » pour en être convaincu : des planches d’Astérix, mais aussi de Luc Junior, de Jehan Pistolet, d’Oumpah-Pah… On peut même les comparer avec le Franquin de Modeste et Pompon de la même époque, également présentes dans l’exposition. On est immédiatement confondu par la propreté, la probité, la mâle assurance dans l’exécution. Il y a chez Uderzo une énergie du trait, une parfaite intelligence du jeu des personnages et une qualité inouïe dans la gestion des perspectives et des focales.

Astérix n’est pas le fait d’une rencontre fortuite entre deux génies, un « eurêka créatif » : c’est véritablement le produit d’une maturation pas si rapide –huit ans- qui, de leur première rencontre en 1951 dans le contexte d’une agence de presse belge installée à Paris, la World Press, à la création de Pilote en 1959, amène à la création de centaines de planches dont la qualité progresse quasiment de jour en jour.

Albert Uderzo : de Jean-Michel Charlier à René Goscinny
"Belloy - Le Baron maudit" de Jean-Michel Charlier et Albert Uderzo (1953-1954)
© Uderzo, Charlier - Hors Collection/Ed. Albert-René

Au commencement était… Jean-Michel Charlier

Et n’oublions pas le troisième larron de l’équipe : Jean-Michel Charlier. C’est lui qui, secrétaire de rédaction chez Georges Troisfontaines à la World, présente le jeune dessinateur-scénariste et bientôt seulement scénariste, à Albert Uderzo. Charlier avait compris, avant Morris finalement, que le nouveau venu avait des talents supérieurs aux siens dans le comique. La magnifique Intégrale Uderzo 1953-1955 (Tome 3) de Philippe Cauvin & Alain Duchêne (Ed. Hors Collection / Albert-René) vient conforter cette impression. Les planches de Belloy signées Uderzo et Charlier paraissant ces années-là dans le quotidien belge La Wallonie, pour la première fois réunies en intégrale chronologique ici, montrent un Uderzo déjà accompli, caractérisant à la perfection des personnages. Il en fait ce qu’il veut à l’exemple de ce cheval qui danse le Charleston ou de ces personnages bondissant dans les airs comme on en verra plus tard dans les aventures du Gaulois.
Charlier ne démérite pas non plus quand il fait dire au Père Hoc, devenu le seul maître du château : « Je lève mon verre à la santé qui m’est chère : LA MIENNE », ou encore, quand il écrit sur la même page, cette réplique : « Je cède à la force, mais ma vengeance sera TERRIBLE ! » (La Wallonie, 19 novembre 1953), que l’on retrouvera plus tard dans la bouche de l’ennemi des Schtroumpfs, Gargamel. La présence à ses côtés (et jusque dans son bain !) d’une biquette au doux nom de Barbara n’est pas sans rappeler non plus celle d’un certain… Pirlouit.

C’est Charlier qui révèle Uderzo, qui le dégrossit, et qui lui permet de s’exprimer aussi bien dans le registre humoristique que réaliste, notamment dans Pilote, avec Tanguy et Laverdure (1959).

Le trio de Pilote : Albert Uderzo, Jean-Michel Charlier et René Goscinny. Le scénariste belge est à l’origine de la rencontre entre les créateurs d’Astérix.
Photo DR

Charlier passe le relais à Goscinny

Mais Charlier sent bien qu’il est moins à l’aise dans l’humoristique que le jeune scénariste fraîchement arrivé de New York. Morris avait déjà repéré ses qualités de gagman en lisant le scénario que ce dernier avait fait pour un dessin animé que Jijé ne développera jamais. Et de fait, le scénario de René Goscinny pour Jehan Pistolet –qui est véritablement la matrice des futurs Oumpah-Pah et Astérix- s’appuie précisément sur la clarté du dessin d’Uderzo.

L’écriture de Charlier procède du feuilleton, du roman populaire à la Alexandre Dumas. Celle de Goscinny vient du cinéma de Laurel et Hardy et de Charlie Chaplin avec ses personnages singuliers et caractéristiques, compréhensibles au premier coup d’œil : un gros, un mince ; une silhouette avec un chapeau melon et une canne… et sa mécanique du gag de répétition.

"Luc Junior" par René Goscinny et Albert Uderzo (1954-1955)
© Uderzo, Goscinny - Hors Collection/Ed. Albert-René

La répartition des rôles est faite : à Goscinny, le Uderzo humoristique ; à Charlier, le Uderzo réaliste. Le trio peut accéder enfin aux premières places de l’histoire de la bande franco-belge.

(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))

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Code EAN : 9782258147164

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- "Goscinny au Musée d’Art et d’Histoire du Judaïsme."

[1 Pilote, n° 157, 25 octobre 1962 - Les Secrets d’Astérix… ou comment travaillent pour vous les deux copains de Pilote, Goscinny et Uderzo.

✏️ Albert Uderzo
 
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