Cela s’est passé entre Moebius, alias Jean Giraud, dont la disparition a affecté beaucoup de nos lecteurs et de nos collaborateurs et Fabien Nury qui avec La Mort de Staline, la fin du cycle Il était une fois en France et sa version de XIII Mystery, a montré une fois de plus l’ampleur de son talent, mais finalement, c’est clairement Albert Uderzo qui est arrivé à la ligne d’arrivée comme "Personnalité de l’année BD 2012" en raison d’une décision-suprise à la portée hautement symbolique : celle de laisser le destin d’Astérix à d’autres créateurs.
C’est symbolique car Astérix est à lui seul un symbole. Sorti du rang des personnages de la revue Pilote créée en 1959 par des auteurs de BD en rupture avec les structures traditionnelles de leur époque (René Goscinny, Jean-Michel Charlier et Albert Uderzo), Astérix est très vite devenu un "phénomène" et l’est resté, sortant la bande dessinée du seul domaine de l’enfance où elle était cantonnée, modifiant profondément le statut des auteurs en leur ouvrant la voie de la médiatisation, constituant l’un des plus importants phénomènes éditoriaux de son temps, comme on n’en n’avait plus connu depuis le 19e Siècle : en terme de notoriété internationale, le rayonnement d’Astérix est comparable à celui d’un Jules Verne, initiant au même titre que Tintin, Les Schtroumpfs et Lucky Luke, un dialogue avec le cinéma qui n’est pas près de s’éteindre.
Le héros qui est mort deux fois
Ce personnage-là a failli "mourir" deux fois. Une première fois en 1977, au décès de René Goscinny. Georges Dargaud avait proclamé : "Goscinny est mort ; Astérix est mort", oubliant qu’Astérix était le fait de deux auteurs. Cette déclaration piqua Albert Uderzo au vif qui, non seulement créa sa propre maison d’édition pour éditer son personnage, accomplissant en cela un vœu de René Goscinny lui-même, mais en plus en perpétua les aventures trente-cinq ans supplémentaires, obtenant au passage de la justice qu’Astérix soit retiré à Dargaud.
La deuxième "mort" d’Astérix était scellée par Uderzo lui-même. À plusieurs reprises, notamment dans ses entretiens avec Numa Sadoul, Uderzo déclara qu’il allait suivre le même chemin qu’Hergé : après sa mort : personne ne reprendrait son personnage. Mais en 2012, coup de théâtre : peut-être en raison d’un conflit avec sa fille unique Sylvie, il décide d’assortir la vente des éditions Albert René à Hachette d’une "clause d’immortalité" et change d’avis : désormais le destin d’Astérix sera confié à de nouveaux créateurs. Le scénariste Jean-Yves Ferri et le dessinateur Didier Conrad assureront le prochain Astérix qui devrait paraître à l’automne 2013.
Symbolique
Cette cession est doublement symbolique. D’abord parce qu’elle est le symptôme d’une mutation propre à ces dernières années et qui est sans doute due à la multiplication des adaptations cinématographiques liées à la BD : de plus en plus, les héros de BD européens deviennent immortels, à l’instar des BD américaines. Les plus grands héros de la BD sont passés dans les mains d’auteurs successifs, parfois avec l’adoubement des créateurs d’origine : Lucky Luke, Blake & Mortimer, Boule & Bill, Les Schtroumpfs, Michel Vaillant, Alix, Le Marsupilami... Seuls Tintin et Gaston font finalement figure d’exception. Uderzo pensait dans un premier temps s’inscrire dans ce petit groupe d’irréductibles. Mais il a changé d’avis. Indépendamment du conflit avec son héritière, il a dû faire le constat que cette "succession" avait déjà largement eu lieu avec les adaptations audiovisuelles de ses œuvres, dont un nouvel avatar est sorti en 2012. Que, finalement, ces nouveaux développements n’enlevaient rien à l’œuvre originale, au contraire même : en cas d’échec, le "canon" restait de toute façon la référence.
L’autre symbole est dans l’approche. Uderzo aurait pu faire un studio, à la façon de Peyo, continuer à signer les œuvres, nul n’ignorant en effet que ces dernières années, il faisait appel à plusieurs collaborateurs. En mettant en avant la personnalité de ses successeurs, il respecte leur intégrité d’auteurs, restant en cela dans la philosophie qui l’avait conduit, en compagnie de Goscinny et Charlier, à créer le journal de Pilote et à soutenir les jeunes talents.
Chapeau, l’artiste.
(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))
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