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Alberto Varanda : « "Petit Pierrot" me libère de l’obligation de la surenchère graphique »

Par Charles-Louis Detournay le 25 juillet 2014                      Lien  
Dessinateur, mais également sculpteur, illustrateur, peintre, photographe, Varanda multiplie les vecteurs créatifs. En partant de son "Petit Pierrot", il nous explique sa progression de ces dernières années, le travail sur "Elixirs", et sa future collaboration avec Vatine pour une adaptation d'un roman de Stefan Wull.

On a pu constater que vous aviez arrêté le blog du Petit Pierrot. Pour ne pas éventer les albums ?

Alberto Varanda : « "Petit Pierrot" me libère de l'obligation de la surenchère graphique »À la base, je ne publiais qu’en blog, mais le succès a entraîné la publication dans le livre. J’ai donc voulu réduire la voile, et j’ai commencé à ne publier qu’un dessin sur deux. Mais j’avais du mal à justifier ce choix : est-ce que les mauvaises idées devaient aller sur le blog ? Cela n’avait pas de sens...

Les précédents tomes du Petit Pierrot tendaient vers une évolution : la rencontre avec Émilie, et l’amour qui pourrait le couper de la rêverie ! Était-ce votre idée à la base ?

Mes albums ne contiennent pas qu’une évolution. Ce troisième tome revient également sur toute une série d’idées et de thèmes qui me tiennent à cœur, comme la Lune. Pour autant, ce sera le dernier Petit Pierrot qui traite de notre satellite, même si je ne m’empêche de continuer la série avec un autre point focal. Quant à ce tome 3 qui s’intitule Des Étoiles dans les yeux, la relation avec Émilie s’approfondit effectivement, ce qui a l’effet pernicieux de le rendre sourd à son meilleur ami, l’escargot.

L’amour n’a pas que des effets néfastes, car un réel échange se crée entre les deux enfants : ils se partagent chacun leur univers…

Oui, le Petit Pierrot veut révéler ses secrets à Émilie, même son imaginaire qui n’était perçu que par lui pour l’instant. La question à laquelle le tome 3 répond est : « Est-ce qu’Émilie va aussi faire découvrir son monde invisible aux autres ? » Il faudra aussi voir ce qu’Émilie voudra partager de son propre univers.

Vous évoquez l’imaginaire, mais Petit Pierrot tient également du rêve éveillé, non ?

Petit Pierrot octroie un passeport au lecteur pour lui permettre de rêver. C’est mon alter ego, avec un visage d’enfant. J’avais d’ailleurs une appréhension lors de la sortie du premier livre, car je craignais que le public le trouve simple, mais bête. Or, les lecteurs sont revenus vers moi avec un message différent, ce qui m’a encouragé dans cette voie.

Vous multipliez les saynètes dans ce tome 3, est-ce que vous avez trouvé le bon vecteur pour vos idées ?

Oui, je travaille toujours avec des pleines pages, mais mes histoires se déroulent naturellement sur trois à cinq planches. Sans vouloir augmenter le contenu, je peux alors prendre le temps de développer une idée, pour l’étaler, tout en profitant d’une double-page si nécessaire. Ma façon de travailler se situe entre la bande dessinée et l’illustration, avec donc une évolution certaine par rapport au premier tome. J’ai aussi fait évoluer mon cadrage : d’un plan fixe, j’ai fait tourner la caméra autour de mon personnage.

Concernant votre graphisme, on sent que vous tentez de réaliser le moins de traits possible, au contraire de ce que vous faites pour d’autres travaux, comme dans Élixirs ?

Petit Pierrot me libère de l’obligation de la surenchère graphique. Mon public apprécie l’aspect fouillé de mon dessin. Avec Petit Pierrot, je voulais me prouver que je pouvais travailler plus simplement. En réalité, je n’y parviens uniquement car c’est moi qui réalise la couleur, et que je sais comment je vais modeler et remplir chaque vide.

Des croquis de travail d’une planche du tome 3 d’Elixirs.
Tiré du sketchbook 3 paru chez Comix Buro
Une illustration de Varanda
Tiré du sketchbook 3 paru chez Comix Buro

Pourquoi alors ne pas réaliser les couleurs d’Élixirs ?

Je pense que je serais tout de même piégé par l’aspect illustratif. Coloriste et illustrateur sont deux métiers différents, et comme je fais beaucoup d’illustrations à côté de la bande dessinée, je ne pourrais pas modifier cette façon de travailler.

On ressent cette évolution tout de même dans la balade impressionniste que vous réalisez dans ce troisième tome de Petit Pierrot ?

Oui, dans cette série, je suis progressivement parvenu à laisser tomber les hachures, même pour faire du noir, afin de me reposer sur la couleur. J’ai effectivement détourné des tableaux de Monet, et j’ai travaillé également avec les taches des Impressionnistes. J’ai donc repris les Coquelicots, les Nymphéas, et le Pont de Giverny. La série était déjà une porte ouverte vers la littérature, avec son goût pour les livres et les mots, je voulais qu’il en soit de même pour la peinture. Je partage donc mes passions avec le lecteur.

Concernant vos peintures, on peut en retrouver un panaché dans le sketchbook paru chez Comix Buro. Parmi différentes illustrations, on va y retrouver d’ailleurs des personnages qui partagent une certaine familiarité graphique avec le Petit Pierrot sans être issu de son univers…

Dans le troisième sketchbook du Comix Buro, on retrouve une grande galerie de Littles, dans la veine du Petit Pierrot.

Il est possible que l’ensemble de mes divers travaux se rassemblent dans le futur, mais c’est vrai que c’est encore très compartimenté actuellement. À la base, je suis sculpteur et illustrateur, mais je fais aussi de la photographie. Je ne pourrais pas me contenter d’utiliser ces différents vecteurs uniquement pour le loisir, cela doit ressortir dans mon travail. Et c’est justement cette pluralité qu’on retrouve dans ces sketchbooks, principalement le dernier paru. J’ai besoin de vivre de ce que je réalise, même si c’est un tout petit peu. Si on me paie, cela signifie pour moi que mon investissement vaut le coup. C’est également parce que je me développe dans tant de voies, que je ne peux pas faire une bande dessinée par an.

Justement, concernant Élixirs, on retrouve une bonne symbiose entre votre goût pour une architecture poussée, et des personnages qui présentent plus de rondeur, comme vous pouvez les apprécier pour l’instant.

Paradoxalement, j’ai été très malheureux sur Élixirs depuis le tome 1. Je trouvais que mon dessin n’était pas au niveau, car je ne parvenais pas à mêler réalisme et comique. Cela s’est amélioré dans le tome 2, mais j’ai aussi épuré mon dessin car j’entendais régulièrement la critique que la coloriste ne trouvait pas la place pour faire son travail. Finalement, malgré beaucoup de bonne volonté, nous avons dû accepter le constat que cela ne fonctionnerait pas, et Nolwenn Lebreton a jeté l’éponge. Nous avons alors trouvé un autre coloriste, Jérôme Maffre, avec qui nous avons beaucoup discuté avant de commencer à travailler. Je lui ai expliqué qu’il devait oublier la fantaisie afin de mettre l’aventure en avant.

La seconde partie du dernier tome d’Élixirs comprend des couleurs plus sobres…

Oui, je voulais qu’on revienne aux fondamentaux, comme pour La Quête de l’Oiseau du Temps. Fini les nuances de violets dans le noir, ou la palette d’orangés. J’ai donc changé mon fusil d’épaule. Avant, je dessinais pour faire plaisir à la couleur, mais le retour n’était au niveau de mes attentes. J’ai donc oublié la couleur, pour réaliser un dessin qui me fasse plaisir avant tout. Et contrairement à mes craintes, Jérôme était ravi, car mes ombres lui donnaient les bonnes indications pour ses couleurs, avec le résultat que vous avez pu voir. Pour la première fois, je trouve que l’alchimie se crée vraiment entre l’histoire, la couleur et le dessin. Et j’en suis très content.

Nous avons également ressenti une réelle dimension portée par les personnages, alors qu’auparavant, ils étaient drossés par les événements, sans pouvoir révéler leur propre personnalité.

Le tome 3 est presque un huis-clos, dans sa longue première partie. Cela permet de se recentrer sur les héros, au cœur de la capitale. Esthétiquement, cette ville remplie de murs m’a beaucoup plu, et cela nous a obligé à également développer les relations entre les personnages, car il n’y a pas de longues marches à réaliser. Il est aussi possible que mon dessin plus réaliste ait emporté Christophe [Arleston] dans une direction différente, avec moins de déconne.

Etude de visages

Quel est alors le futur de cette série Élixirs ?


Nous allons la boucler en cinq albums, et je vais travailler sur le 4 et le 5 d’affilée, sans temps mort. Mais entretemps, je termine d’abord un one-shot de 70 planches pour Ankama et Les Univers de Stefan Wull, avec Vatine au scénario. Cela faisait longtemps qu’on voulait travailler ensemble, et je suis doublement content car ce récit adulte se déroulera dans une ambiance XVIIIe siècle, empreinte de gothisme et d’impressionnisme. Je suis ravi de travailler avec ces costumes, ces drapés, ces meubles, et ce clair-obscur qui se rapproche de la gravure. L’avantage avec Vatine, c’est que c’est également un dessinateur : il m’aide donc dans la mise en scène, tout en apportant une modélisation du cadre général en 3D. En lisant le livre, les images s’imposaient à moi sans effort. J’ai juste eu un peu de mal pour le début de l’album, assez SF. Heureusement, les vaisseaux sont un des points forts de Vatine : on se complète bien.

Et par la suite ? Allez-vous retourner vers d’autres séries ?

Non, ce style de projet est trop contraignant pour ma façon de travailler ; cela ne me convient pas, tout simplement. Je ne ferai plus que des one-shots, voire des diptyques au mieux. Ce qui m’intéresse avant tout, c’est la création d’un univers. Une fois qu’il est en place, j’ai tendance à m’ennuyer, alors je passe à autre chose.

Un mélange de gothique et de Littles
Tiré du sketchbook 3 paru chez Comix Buro

Est-ce que vous envisagez néanmoins de continuer de collaborer avec Arleston dans le futur ?

Une peinture, parmi d’autres travaux...
Tiré du sketchbook 3 paru chez Comix Buro

Oui, Christophe veut toujours travailler avec moi. On pourrait partir sur un univers que je lui décrirais, et qu’il mettrait en scène. Mais tout cela n’est qu’une ébauche car, entretemps, je dois finir le Wull, les deux Élixirs, j’ai deux années pour réaliser trente peintures pour Daniel Maghen, des sculptures à terminer également. Bref, de quoi voir venir...

(par Charles-Louis Detournay)

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Lire :
- les chroniques d’Elixirs tomes 2 et 3
- la chronique du premier Petit Pierrot
- la précédente interview d’Alberto Varanda : « J’ai beau aimer dessiner des dragons, je ne me cantonne pas à cela »

Visiter les blogs du Petit Pierrot et de le site de Varanda.

Photo : (c) CL Detournay

 
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