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Alec - La Bande du King Canute - Eddie Campbell - çà et là

Par François Peneaud le 25 janvier 2007                      Lien  
L'autobiographie en BD, genre épuisé ? Le britannique Eddie Campbell démontre le contraire, et avec quel brio. Plongée dans les années 80 par petites touches impressionnistes avec le premier tome de la série Alec.

Il arrive souvent que de deux collaborateurs, l’un éclipse l’autre. Il en est ainsi allé de Eddie Campbell et Alan Moore, respectivement dessinateur et scénariste du graphic novel From Hell, débuté en 1989 et terminé seulement dix ans plus tard. Pourtant, Campbell avait déjà commencé à développer une œuvre personnelle suivant deux grands axes.
Du côté pure fiction, nous trouvons Deadface/Bacchus, une série érudite et diablement amusante, présentant le dieu du vin, vieilli, dans un vingtième siècle qui l’a oublié. Débutée en 1987, elle se poursuivit sporadiquement (et chez trois éditeurs !) jusqu’en 2001, sous forme de comics et de collections. Tout cela est malheureusement inédit chez nous.
Alec, sa série autobiographique débutée en 1981 et qui connut également plusieurs éditeurs, voit aujourd’hui un début de traduction chez çà et là avec La Bande du King Canute, le premier des quatre volumes de la série.

Alec - La Bande du King Canute - Eddie Campbell - çà et là

Cet album couvre un moment de la vie d’un Eddie Campbell vingtenaire, alors qu’il était employé comme ouvrier dans une aciérie de la fin des années 70. Raconté sous forme de courtes histoires, le quotidien de Campbell est fait de travail répétitif, de soirées dans les pubs (en particulier au King Canute, un pub paumé dans la nature, qui prend des allures de Camelot pour chevaliers fatigués après une journée à trimballer des plaques d’acier), de rencontres féminines, et d’amitié avec Danny Grey, un de ses collègues, un personnage haut en couleur, à première vue l’opposé de l’ex-étudiant réservé et cultivé qu’était Campbell - ou plutôt, qu’était Alec MacGarry, l’alter ego de l’auteur, un moi semi-fictionnel qu’il utilisa jusqu’au début des années 2000.

L’un des talents de Campbell réside dans le léger recul employé dans la narration de cette geste de l’ordinaire. Mélangeant ironie et affection pour le large ensemble de personnages qu’il décrit, Campbell semble avec son utilisation poussée d’une voix-off réaliser un documentaire sur une étrange tribu aux mœurs fascinantes, une tribu dont, bien sûr, il fait entièrement partie.

Danny et Alec

La narration graphique est volontairement minimaliste. Le découpage suit quasi-exclusivement un gaufrier de 3 fois 3 cases, mais l’alternance de textes surplombant nombre de cases (la susmentionnée voix-off) et de cases en dialogues directs rend la lecture fluide et tout sauf ennuyeuse. Les cadrages sont eux aussi très réguliers, le passage occasionnel de l’habituel plan américain à des gros plans sur les visages frappant le lecteur, d’autant plus que, grâce à une "caméra" penchée ou décalée (voir la couverture, très représentative), Campbell pousse à focaliser le regard d’une façon singulière.
Le dessin a notablement évolué au fil de la série (les histoires de ce volume ont été réalisées entre 1981 et 1987), mais le tout est cohérent : Campbell n’hésite pas à utiliser un mélange de style presque photographique et de raccourcis graphiques assez osés, ce qui rend ses pages charmantes dans leur équilibre entre raideur et maladresses d’un côté, et vitalité et souci du détail juste de l’autre.

Ce souci du détail juste se retrouve dans les portraits de personnages peuplant l’album, dans les dialogues qui ne sacrifient pas au bon mot, et qui pourtant fleurent bon la vie telle qu’elle est. Campbell rend ses amis et fréquentations attachants par la façon dont il dépeint leurs excentricités et leur humanité.

Avec cette Bande du King Canute, Eddie Campbell met enfin un pied en France en tant qu’auteur complet. Espérons que ce n’est que le début d’une reconnaissance tardive mais méritée d’un des auteurs anglo-saxons les plus uniques.

(par François Peneaud)

Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.

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