Vous avez publié en 2002, un fascicule reprenant la première partie d’une nouvelle aventure d’Harry, La Force de l’éclair. Depuis lors, plus aucune nouveauté : mis à part des rééditions d’œuvres anciennes et la publication de porte-folios édités par Several Pictures, votre label.
J’ai promis à mes lecteurs que je terminerais cette histoire. Il me restait une trentaine de pages à dessiner. En 2007, j’ai pris conscience que je ne clôturerais jamais cette aventure de Harry. J’en ai été assez malheureux. J’avais, par le passé, tenté de m’y atteler plusieurs fois, mais ce n’était pas viable ! J’ai donc opté pour une solution alternative : la publication d’une plaquette qui reprend les travaux que j’avais déjà réalisés. C’est à dire les crayonnés et le synopsis où je développe l’intrigue jusqu’à son terme.
Je voulais publier ce livret par honnêteté pour mes lecteurs. Le tirage n’est pas limité. J’ai conservé la maquette, et je peux le retirer s’il le faut. La visibilité de ce livret a été minimale. On peut l’obtenir via le site Internet qui est consacré à mon travail ou en écrivant chez Several Pictures…
Regrettez-vous d’abandonner votre personnage ?
Oui. Mais financièrement parlant, cette expérience n’était plus viable. Je devais consacrer l’équivalent de trois à cinq jours pour terminer une planche. Comme cela n’était pas mon gagne-pain, je travaillais sur cette histoire … la nuit.
Vous êtes reconnu pour une certaine méticulosité et un style plutôt académique. Avez-vous pensé à utiliser un graphisme plus relâché ?
Il m’était impossible de faire marche arrière après avoir réalisé la première partie de la Force de l’éclair. Dessiner cette série d’une manière plus spontanée ne correspond pas vraiment à ma perception de mon travail. Il fallait qu’une éventuelle suite reste convenable au point de vue du dessin. Et que je n’aie pas à en rougir. Le livret que j’ai édité contient des illustrations inédites qui permettent aux lecteurs de plonger plus facilement dans l’ambiance du récit…
Vous avez travaillé longtemps comme illustrateur pour un magazine anglais, Fortean Times.
Effectivement. Mais j’ai arrêté cette collaboration pour des raisons personnelles. À un moment, ils publiaient des publicités vantant l’utilisation de plans de cannabis. Cela me dérangeait. Heureusement, ils ont laissé tomber ces annonceurs au profit de publicités pour des jeux de rôle et des jeux électroniques. Tout cela était d’un mauvais goût absolu, et j’ai donc mis un terme à cette collaboration. Cela ne correspondait pas à mon éthique, à ma spiritualité et à mes goûts.
J’ai publié vingt-deux livres sous le label Several Pictures, dont deux qui reprenaient les illustrations réalisées pour Fortean Times.
Vingt-deux livres ! C’est conséquent.
Oui. Several Pictures a notamment réédité l’intégralité des aventures de Harry, ainsi que des porte-folios ou des albums reprenant des illustrations sous différentes formes. Le tirage dépendait du livre, mais oscillait entre 3 et 100 exemplaires, tous reliés à la main ! Mon dernier livre a le format d’un timbre-poste. Peut-être même plus petit... Je l’ai édité à 26 exemplaires. Il est signé et doté d’un ex-libris. On peut lire l’album à la loupe : les phylactères sont lisibles ! C’était un challenge. J’ai déposé tous mes livres à la Bibliothèque Royale de Belgique. Ils possèdent donc tous un dépôt légal.
Qu’est ce que cela vous apporte de publier des livres en si peu d’exemplaires ?
L’amusement ! Je vis aujourd’hui, grâce aux illustrations que me commandent des marchands. Mais bon, c’est de l’histoire ancienne maintenant. Depuis que je n’ai plus constamment des scénarios en tête, j’ai la tête plus tranquille pour aller prêcher [1]. J’essaie de consacrer un maximum de mon temps aux autres. C’était devenu un crève-cœur d’aller chez des personnes intéressées par mes paroles, tout en sachant que je n’aurais pas le temps de les suivre convenablement. Ce n’était pas honnête…
Vous n’avez pas de regret de vous couper de votre passion première ? La BD est devenue tellement riche qu’il y a forcément une place pour vous quelque part. Même si vous êtes contre la violence ou la représentation de scènes sexuelles.
C’est exact ! Mais je ne suis pas opposé à dessiner une jolie fille si le scénario le demande. Ceci dit, je pensais avoir plus de regret que cela. Mais, non ! Ce n’est pas par dégoût que j’ai quitté le métier. Ce n’était fondamentalement plus viable. J’ai vécu pendant huit ans en publiant mes propres livres. Je n’avais pas un salaire mirobolant, mais c’était convenable. À cela, s’ajoutait la réalisation d’illustrations inédites pour des particuliers ou la revente de planches…
Aujourd’hui, les libraires me demandent 60% de remise. C’est aberrant ! C’est autant que si je laissais une remise à un distributeur. Cela n’avait donc plus de sens de continuer. Mais je comprends les libraires. Leur métier est devenu difficile. Les grands éditeurs ne leur font aucun cadeau.
Comme je vous le disais précédemment, j’estime qu’il est préférable d’aller voir les gens. Notre monde va changer, et nous sommes à la fin du système dans lequel on vit. J’en suis persuadé. Quand la maison brûle, est-il bon de continuer à faire de la BD ? On peut se poser la question.
La source des idées s’est-elle tarie ?
De temps en temps, les idées me viennent encore. Je les note ou je crayonne parfois un petit synopsis vaguement découpé. Je prends encore toujours autant de plaisir à dessiner, à faire des croquis par milliers. Je ne peux pas m’en empêcher. Après m’être levé, chaque matin, je vais à ma table et je dessine pour le plaisir pendant une demi-heure.
Comme ce que je faisais ne s’insérait dans rien d’existant, que je sois publié ou non, cela n’a aucune importance ! Je ne me suis jamais fait d’illusion à ce sujet là…
Pourtant beaucoup d’amateurs apprécient votre travail…
Cela me touche profondément ! Mais la BD ne vaut pas le sacrifice que je ferais en lâchant le reste. J’ai l’impression, aujourd’hui d’être plus libre qu’auparavant ! J’ai plus de temps pour ma famille, pour aller prêcher, et je survis grâce aux illustrations que je réalise pour des privés. Un plaisir en remplace un autre…
Même plus d’illustrations ?
Ah ! Si je trouvais un éditeur de roman qui me proposait d’illustrer les couvertures et les dessins intérieurs de ses livres, je serais preneur ! Surtout si j’obtiens la garantie d’un travail constant. Mais on ne me le propose pas. Ou alors, ceux qui me le demandent sont des gens malhonnêtes. Beaucoup triturent les œuvres à l’ordinateur pour en sortir un résultat différent du souhait de l’auteur. Je remarque qu’aujourd’hui, il y a moins de respect pour le beau dessin. C’est terrible ! Avec la technologie, on devrait pouvoir reproduire une illustration à une qualité quasiment équivalente à l’original. Mais, non, la plupart des éditeurs, des imprimeurs et des graphistes n’y font pas attention. Et puis, de nos jours, le monde de l’édition manque d’âme. Tout le monde utilise les mêmes lettrages, la même mise en page, les mêmes tics et trucs…
On m’a proposé d’éditer mes livres en intégrales. Mais lorsque j’ai vu les pré-maquettes, j’ai décliné cette offre. J’ai peut être une vision surannée des choses. Mais je sais ce que je veux. Rien de tel que le travail à la main. L’ordinateur n’a rien apporté pour la création, pour le graphisme… Il me semble être plus une béquille qu’autre chose.
Les auteurs qui s’aident de l’outil informatique parlent souvent d’un gain de temps.
Mais cela n’a aucun sens ! Pourquoi aller vite quand on doit réaliser un travail artistique ? Cela me rend malade de savoir que des auteurs sont obligés de réaliser des albums en trois ou quatre mois. Ceux-là me disent : « On n’a pas le choix. On doit bien gagner notre vie. Il faut donc que l’on trouve des moyens pour aller plus vite ! ». Je sais que certains auteurs, au Japon notamment, utilisent des décors virtuels pour y faire balader leurs personnages. C’est aberrant, que nous, Européens, nous nous y mettions aussi…
La BD doit être d’une qualité nettement supérieure à ce qu’il se fait actuellement. Très peu de bandes dessinées sont réalisées par des auteurs qui ont une capacité, ou qui utilisent leur talent en se donnant totalement à leur œuvre. En plus, la plupart des BD des auteurs, qui sont obligés d’aligner les planches et de réaliser trois ou quatre albums par an, ne se vendent même pas !
On vous sent pessimiste.
Je ne veux pas faire ce métier dans ces conditions. J’ai été heureux d’avoir consacré de nombreuses années à la BD, même si cela m’a coûté très cher ! Mais non, je ne voudrais plus l’exercer, même avec un contrat extraordinaire. Je ne veux pas faire de la bande dessinée comme on la conçoit aujourd’hui. Jamais !
Je suis assez malheureux car je constate qu’il y a beaucoup d’albums qui sont dessinés de manière relâchée. Le graphisme ne tient pas dans de nombreux livres. Je suis triste que les lecteurs soient obligés de lire ce genre de chose. J’espère qu’ils vont se reprendre…
Pour retrouver l’académisme ?
Oui. Il faut absolument que les auteurs de bande dessinée de type réaliste recommencent à dessiner correctement, en respectant des codes précis et rigoureux. Beaucoup optent pour la facilité, au lieu de respecter les anatomies, les perspectives, etc. Ces dessinateurs ne prennent pas le temps d’exploiter leur capacité, et donc leur style devient de plus en plus relâché. J’ai remarqué cette dérive chez d’excellents dessinateurs qui ont pignon sur rue. Ils se disent sans doute : « Si cela marche, pourquoi continuer à travailler durement ? ». Je ne vous donnerai pas de noms, je n’ai pas envie de les froisser…
Des jeunes auteurs viennent-ilsvous voir pour bénéficier de vos conseils ?
Cela devient de plus en plus rare ! Lorsque je rencontre des dessinateurs, nous parlons du métier. Je considère que mon dessin a fait son temps et n’intéresse plus que certains auteurs qui ont de la nostalgie pour cette forme d’académisme. J’ai dû faire beaucoup de sacrifices pour arriver à avoir mon propre style graphique. Et cela n’a pas fonctionné ! La bande dessinée doit toucher une certaine masse, et pas cent personnes comme mon travail … Cela n’a aucun sens !
Il y a-t-il des auteurs que vous appréciez encore ?
Évidemment ! Cabanes ou Rossi font un travail remarquable. J’ai même été touché par le XIII de Jean Giraud. Cet homme reste intéressant et j’ai été épaté par la spontanéité de son trait Je me suis beaucoup amusé en regardant ses voitures (Rires). J’ai découvert Cuervos de Michel Durand (avec Richard Marazano, au scénario, éditions Glénat). Ce dessinateur m’a toujours bluffé ! Je ne comprends pas pourquoi un auteur tel que lui ne soit pas mieux récompensé à Angoulême. Son talent est éclatant et phénoménal.
Ce sont des auteurs qui ont un vrai respect pour le dessin. Je suis entouré, chez moi, de planches d’Alex Raymond (Flash Gordon), Raeburn Van Buren (Abbie an’ Slats), Frank Godwin (Connie) ou Paul Cuvelier (Corentin). C’est, pour moi, ce vers quoi la bande dessinée réaliste devrait toujours tendre !
(par Nicolas Anspach)
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Alec Séverin sur actuabd.com, c’est aussi :
“A Little Book in a Box” for Al Séverin (Mars 2005)
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Images (c) Alec Séverin - Several Pictures
Photo (c) Nicolas Anspach
[1] ndlr : Alec Severin est témoin de Jéhovah
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