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Ana Miralles et Jean Dufaux terminent l’ensorcelante saga de Djinn

Par Christian MISSIA DIO le 24 décembre 2016                      Lien  
Durant 15 ans, Jean Dufaux et Ana Miralles nous ont fait voyager dans l'univers sensuel et mystique des harems. De la Turquie ottomane aux sources de la culture yoruba en Afrique de l'ouest, en passant par l'Inde, les deux auteurs nous ont fait rêver et frémir aussi au rythme des aventures de Jade et Kim Nelson.
Ana Miralles et Jean Dufaux terminent l'ensorcelante saga de Djinn
Djinn T13 : Kim Nelson
Jean Dufaux & Ana Miralles (c) Dargaud

La saga Djinn vient de se clôturer avec cet ultime album. Comment vous sentez-vous au moment de refermer ce cycle de votre vie ?

Ana Maralles : D’un côté, je me sens soulagé de refermer un cycle, une importante période de travail de ma vie. Il était important pour moi de refermer toutes les portes que nous avions ouvertes tout au long de la série et j’en suis très satisfaite. Je suis aussi très fière d’avoir participé à cette histoire, qui m’a permis de beaucoup apprendre durant toutes ces années.

Dufaux : En tant que scénariste, je vis en décalage parce que j’ai terminé le scénario il y a un an à peu près. Aujourd’hui, je me remémore notre rencontre et notre travail avec Ana. Il faut aussi se rendre compte que lorsque l’on travaille durant près de quinze ans, on commence à former un vrai couple artistique. On se dispute ; on se chamaille ; on se réconcilie ; on s’aime ; on se dit, « qu’est-ce qu’il veut dire », où va-t-il ? Mais c’est surtout une question de confiance entre les deux dès le départ dans un récit qui était plus difficile qu’il n’y paraissait au début.

Il y a beaucoup de jeux, de tiroirs que l’on ouvre, que l’on referme ou qui restent ouverts. Cela m’a toujours passionné dans ma vie et dans ma carrière. Il ne faut pas aussi perdre de vue qu’un dessinateur passe toute une année à travailler sur un album, alors que moi, en tant que scénariste, je n’y reste que quelques mois. Ana a été immergé totalement dans Djinn pendant treize ou quatorze ans. Ce sont des personnages qui vous accompagnent. Et même si la série se clôt, les personnages seront toujours là, ils seront toujours à côté de nous quelque part. Ce sont des personnages à qui nous avons donné vie, Ana le voit bien dans tous les travaux d’illustration qu’elle a réalisé en parallèle à la série. Ce n’est pas parce que l’on met le mot « fin » que tout est terminé.

Jean Dufaux
Crédit photo : Dargaud / Rita Scaglia

Djinn est rapidement devenu un classique de la BD. Un signe qui ne trompe pas, malgré la thématique du harem qui pourrait heurter la sensibilité des femmes, celles-ci sont généralement vos premiers lecteurs sur ce titre !?

Dufaux : Le fait qu’il y ait une femme au gouvernail n’est pas innocent non plus.

Miralles : Je crois que la qualité de ma relation a beaucoup joué sur mon investissement dans le projet. Nous nous sommes entendu dès le début et je pense que c’était la bonne rencontre et nous avons aussi trouvé chez Dargaud une équipe qui a su faire un bon travail pour mettre en valeur la série. Cette équipe s’est investie dans Djinn comme jamais je ne l’avais vu chez un autre éditeur et je pense que c’est aussi un élément déterminant. Cette équipe a aussi pris le temps de m’expliquer chaque rouage de la production et de la promotion de l’album. Ils m’ont présenté les commerciaux, ils m’ont montré comment se faisait la mise en place des livres dans les librairies, etc. Tout cela m’a beaucoup aidé à m’investir sur le long terme dans la série. Je pense que la réussite de cette série dépend de tout cela.

Ana Miralles et son époux le scénariste Emilio Ruiz
Crédit photo : Christian Missia Dio

Abordons maintenant l’intrigue de ce dernier album, si vous le voulez bien. Ce tome 13 s’intéresse au parcours qu’a Kim Nelson en Inde, et la relation qu’elle entretien avec Ebu Sarki. Celui-ci profitait tout au long de la série d’une autorité naturelle. Mais dans ce tome-ci, il devient carrément détestable. Kim et Ebu étaient alliés mais aujourd’hui, ils sont ennemis. Pourquoi un tel changement ?

Dufaux : Le comportement d’Ebu Sarki correspond tout simplement à la vie : lorsqu’ils sont réussis, les personnages fictionnels partagent avec nous les hauts et les bas d’une vie. Il y a des moments où nous serons des héros et d’autres où nous serons plus lâches, plus faibles, fragiles. Nous serons rongés par l’ambition ou nous ne serons tout simplement pas la hauteur d’une situation. Il y a énormément de personnages dans Djinn et Ebu Sarki n’est pas le seul à fluctuer.

Aucun personnage n’a une ligne droite, qui va d’un point à un autre. Dans ma vie, je ne vais pas d’un point à l’autre. Je rencontre des gens. Je tente des choses qui réussissent ou pas. Parfois je me trompe, parfois j’ai raison. Parfois je ne suis pas à la hauteur d’une situation A, mais je le serai peut-être dans une situation B. et je n’aime pas que les lecteurs entrent dans un certain confort avec les personnages. Celui-ci pourra évoluer positivement ou négativement. Il peut même mourir. C’est ma manière de traiter mes personnages et cela dure depuis 30 ans.

Lorsque j’ai découvert des séries telles que Game of Thrones, j’ai exactement retrouvé le même traitement des personnages. Ils peuvent être abjects dans une situation où ils peuvent aussi disparaître alors qu’ils étaient les chouchous du public. Nous avons à faire à un public adulte et qui aime retrouver des comportements qu’il retrouve dans la vie de tous les jours.

Extrait de Djinn T13 : Kim Nelson
La relation entre Kim Nelson et Ebu Sarki s’est dégradée au fur et à mesure des épisodes.
Jean Dufaux & Ana Miralles (c) Dargaud

Les personnages Yusuf/Ebu Sarki sont des eunuques, des hommes castrés afin de les utiliser comme garde du harem. Mais leur statut d’eunuque leur a aussi permis de devenir des hommes riches et puissants. Il y a là un parallèle intéressant entre la favorite et l’eunuque dans le monde du harem. N’auriez-vous pas envie de proposer un spin-off consacré aux eunuques ?

Dufaux : À mon grand âge, je ne vais plus m’engager dans beaucoup de nouvelles séries et je pense qu’Ana a aussi envie de se reposer.

Miralles  : Je prends votre question comme un compliment car cela me prouve que nous avions bien campé ces personnages, très solides. Je ne crois pas qu’un spin off serait nécessaire car nous avions dit ce qu’il y avait à dire sur eux. Par ailleurs, les scènes de leurs morts ont été très difficiles à dessiner pour moi car ce sont l’un des moments les plus forts de la série. Ce sont des scènes très romantiques à mes yeux.

Dufaux : Tu vois Ana, il est là le compliment. Nous avons suffisamment bien travaillé pour que nos personnages continuent à vivre encore d’autres histoires. C’est comme le harem, il y a mille choses à raconter. Nous avons ouvert certaines portes et laissé quelques autres, mais les lecteurs ont envie d’ouvrir ces portes là aussi. Comme les Mille et une nuits, comme Shéhérazade. Nous avons toujours fait très attention à ça. Nous pourrions prendre d’autres points de repère dans la galaxie Djinn et raconter d’autres histoires, mais je n’aime pas beaucoup les spin-off.

Djinn T13 : Kim Nelson
Jean Dufaux & Ana Miralles (c) Dargaud

Dans ce cas, pourquoi avez-vous laissé une fin ouverte ? On se dit que vous pourriez très bien remettre le couvert dans quelques années ?

Dufaux : C’est comme dans le livre du Comte de Monte-Cristo. À la fin, il repart vers un nouveau destin dans lequel il pourrait lui arriver mille aventures. Pour autant, est-ce qu’Alexandre Dumas a raconté la suite ? Non.

Miralles : Je pense que cette dernière planche raconte un nouveau cycle que l’on pourrait proposer mais nous préférons laisser cela à l’imagination fertile des lecteurs.

Djinn T13 : Kim Nelson
Jean Dufaux & Ana Miralles (c) Dargaud

Concernant vos autres projets, Ana Miralles, que devient la série Muraqqa’ ? Je me souviens qu’un tome 2 était annoncé il y a un an ou deux ans. Il y avait même une couverture qui circulait mais depuis, plus rien. Que devient cette série ?

Miralles : (Visiblement gênée) Non, non… C’était un mensonge. Le tome 2 existe mais l’album n’est pas fini. 12Bis a fait faillite durant l’élaboration de ce deuxième album et par chance, je n’avais pas encore signé de contrat. Rapidement, Glénat a racheté 12Bis et ils m’ont proposé de travailler avec eux. Mais j’ai refusé car j’ai eu une mauvaise expérience avec cet éditeur. Donc, tout est resté bloqué.

D’ailleurs, ce sont eux qui ont diffusé cette fausse couverture sur internet et répandu l’info que ce second album allait sortir, mais c’est faux ! Je n’ai pas encore fait la couverture de ce second album. Ils ont récupéré un de mes dessins sur cette série et en ont fait une couverture. C’est d’autant plus frustrant pour moi qu’ils n’ont jamais vu les planches de ce nouvel album !

Dufaux  : Mais, as-tu envie de raconter la suite de cette histoire ou pas ?

Miralles : À l’origine, je n’avais pas pensé Muraqqa’ comme une série. Nous nous étions dit, Emilio Ruiz et moi, que nous ferions deux ou trois albums. Mais actuellement, le projet est au point mort. Si nous reprenons Muraqqa’, ce sera de notre côté.

En tout cas, cela ne se fera pas chez Glénat... Êtes-vous catégorique ?

Miralles : Effectivement, cela ne sortira pas chez Glénat.

Voici la fausse couverture du T2 de Muraqqa’
Ana Miralles & Emilio Ruiz (c) 12Bis

Avez-vous d’autres projets en cours ?

Miralles : J’ai envie de terminer la série Waluk, l’histoire de l’ourson polaire. Il y a encore deux albums de prévu. À l’origine, cela devait être un gros album de 120 pages mais nous avons décidé de le scinder en deux car cette série est destinée à un publique jeunesse, et ce type de format convient mieux aux enfants. Nous avons terminé le premier livre et nous travaillerons sur le second l’an prochain.

Dufaux : Quant à moi, il y a la fin de Barracuda qui vient de sortir. Il s’agit du dernier tome. Il y a aussi le Vincent avec Martin Jamar qui est également sorti chez Dargaud.

À côté de cela, j’aborde tranquillement la troisième et dernière partie de ma carrière en explorant de nouveaux terrains : je viens de terminer un roman, j’ai été mis en contact avec le monde du cinéma et des séries. Sans oublier la suite de Murena qui arrive. Je travaille également autour d’une deuxième et dernière saison de Rapaces, toujours avec Enrico Marini, mais qui ne réalisera plus les dessin. Nous réfléchissons à qui pourrait prendre sa succession.

J’ai aussi une série chez Dupuis qui est intitulée The Dream et que je fais avec le dessinateur espagnol Guillem March. Je travaille également sur un Spirou. Et enfin, je scénarise actuellement un nouveau Blake & Mortimer. Il s’agira de la suite de L’Onde Septimus.

Avez-vous prévu une suite à Meutes ?

Dufaux : Les contrats sont signés pour poursuivre cette série, toujours avec Olivier Boiscommun chez Glénat. Mais pour vous dire la vérité, je viens de passer beaucoup de temps avec des producteurs français qui souhaiteraient proposer une adaptation en série TV. Chose assez rare ; j’ai écrit la trame de huit épisodes pour la télévision. C’est parti chez mon agent à Film Talents. Ça vient d’être signé et le producteur est en train de rassembler les fonds. Nous en sommes là, nous sommes à la pré-production pour la série TV Meutes.

Je travaille aussi sur un projet de film intitulé Lily et qui racontera l’histoire d’une jeune femme vampire dans Paris. Est-ce que cela aboutira, ou pas ? Je n’en sais rien mais je suis un peu comme Ana, je n’ai plus envie d’être bloqué par une série qui mettra 5 ans, 10 ans à se conclure. J’aimerais avoir plus de liberté. Ce sera nécessaire si nous voulons retravailler ensemble Ana et moi. Ça pourrait être sur un beau one-shot, un album dans l’univers de Djinn, tout est ouvert mais ce ne sera certainement pas sur une nouvelle série.

Miralles : Oui, je rejoins Jean sur ce point. Nous retravaillerons surement ensemble à l’avenir mais pas sur une série. Nous venons de conclure Djinn au bon moment. Cette série nous a beaucoup apporté et il y aurait encore beaucoup de choses à raconter sur cet univers mais c’est mieux de s’arrêter là. Surtout, je n’ai pas envie de ne faire que cela, je risquerais de tourner en rond et de m’auto-caricaturer. J’ai besoin de travailler sur d’autres projets pour continuer à faire mûrir mon style et mon imaginaire.

Illustrations issues du hors série n°3 "Le cœur de Djinn"
Jean Dufaux & Ana Miralles (c) Dargaud

Voir en ligne : Découvrez la série Djinn sur le site des éditions Dargaud

(par Christian MISSIA DIO)

Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.

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Code EAN : 9782505063537

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Librairie Multi BD :
122 Boulevard Anspach, 1000 Bruxelles
Heures d’ouverture : du lundi au samedi de 10h30 à 19h. Dimanche de 12h30 à 18h30.
Site internet : http://bulledor.blogspot.be/
Téléphone : +32 2 513 72 35

En médaillon : Hors série n°3 "Le cœur de Djinn"
Jean Dufaux & Ana Miralles (c) Dargaud

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Djinn Dargaud ✍ Jean Dufaux ✏️ Ana Miralles
 
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3 Messages :
  • Ana Miralles et Jean Dufaux terminent l’ensorcelante saga de Djinn
    24 décembre 2016 11:22, par simon brauman

    Je me demande souvent l’intérêt de ces interviews en forme de gonflettes de salle de gym, agrémentées le plus souvent d’un triste calendrier créatif, sans doute très rassurant pour les marchands et les clients.
    Ana Miralles (comme beaucoup d’autres) dessine bien, Jean Dufaux (le remplaçable) à un beau stylo, les bouquins sont bien fabriqués et après avoir vaporisés leurs ensorcelantes émotions , ils se rangent facilement sur une étagère Ikéa. En vente dans toutes les grandes surfaces, voyez notre folder des promotions.

    Répondre à ce message

    • Répondu par Maitre Capello le 24 décembre 2016 à  13:07 :

      Quand a est le verbe avoir conjugué il ne prend pas d’accent, monsieur le donneur de leçon.

      Répondre à ce message

      • Répondu par simon brauman le 24 décembre 2016 à  14:00 :

        Je prétendais donner mon avis pas un cours de français. En revanche votre remarque est juste et par conséquent elle me fait avancer, merci.
        Pour votre information, le i de Maître prend un accent circonflexe. Le constat est sans appel, vous êtes encore loin des compétences de Jacques Capelovici.
        Par contre vous avez peut-être son physique, dans ce cas et pour soulager votre existence sociale, demandez au Père Noël qu’il vous apporte une cagoule intégrale.

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