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André Taymans : "Caroline Balwin contient mes sujets les plus personnels"

Par Charles-Louis Detournay le 8 mai 2010                      Lien  
Après trois ans d'absence, la plus américo-indienne des détectives est de retour. {Free Tibet}, sa nouvelle aventure, reprend des thématiques importantes aux yeux de son auteur : l'amitié, la défense des peuples opprimés, et la montagne !

Peut-on être héroïne de polar et à la fois profondément humaine ?

André Taymans répond avec passion à cette question depuis presque quinze ans. Son héroïne, Caroline Baldwin, tranche sur le détective tel qu’on le voyait : bien sûr, elle est franche, solide et volontaire, mais son aspect gracile et ses boucles d’oreilles en brochettes de fruits apporte beaucoup de fraîcheur à des intrigues pourtant résolument sombres.

La grande réussite de la série tient également sur les faiblesses de ce personnage : ses amours souvent rattrapées par le destin, sa contamination par le sida, sa plongée dans l’alcool et la solitude. Malgré tout, Caroline possède cet élan qui la conduit vers les autres, avec honnêteté et franchise, que cela soit des personnes ou des groupes exclus de la société.

C’est une nouvelle fois le cas dans cette quatorzième aventure : son amie Roxanne la prévient d’une mission commando médiatique pour interpeller le monde face au sort des Tibétains, mais un tueur s’est inclus dans le groupe dans l’idée de supprimer les militants un par un. Réel personnage à part entière, la montagne domine cet album, donnant un très bel aperçu de ses beautés ... et de ses pièges !

André Taymans : "Caroline Balwin contient mes sujets les plus personnels"
Les deux versions de l’album.

Comme le titre Free Tibet l’indique si bien, vous abordez le joug que la Chine impose à ce pays. Comment vous est venue cette idée ?

Ce n’est pas un fond de commerce en soi, car le Tibet a déjà été abordé dans la bande dessinée, en grande partie grâce à Cosey, dans Jonathan et le Bouddha d’azur. Sans être aussi engagé que lui, c’est un sujet qui me tient fort à cœur, j’ai d’ailleurs mon passeport tibétain. Je n’exprime pas en manifestant dans la rue, mais je voulais pouvoir aborder cela dans un album. Puis étant un passionné de montagnes et de l’ensemble de cette région, je prends beaucoup de plaisir à la dessiner.

Sans dévoiler l’intrigue de l’album, il est centré sur la flamme olympique portée par les chinois jusqu’au sommet de l’Everest.

Je désirais parler de la cause tibétaine, tout en restant dans le cadre de la série de Caroline Baldwin, c’est-à-dire un divertissement, tout en passant ‘subtilement’ un message. Depuis quelques temps, j’avais le contexte, mais il me manquait l’idée porteuse. Le passage de la flamme olympique pour les Jeux chinois et la détermination de certaines ONG m’ont apporté le canevas que je cherchais. Je suis également abonné à pas mal de revues de montagnes qui ont relayé cet épisode moins connu, à savoir cette montée de l’Everest. L’armée chinoise s’était surtout déployée avec ordre de tirer à vue sur quiconque tenterait troubler la cérémonie.

Une grande partie de l’intrigue se déroule dans la montagne. Une narration exigeante !

C’était la seconde volonté en réalisant cet album : aborder ce type de récit si particulier. En montagne, il n’y a effectivement que quelques canevas possibles : une équipe coincée en haut par une tempête, et qu’on tente de sauver ; ou alors un tueur au sein d’une expédition, et le héros qui veut rejoindre ce premier groupe pour limiter les dégâts. Je voulais donc reprendre cette seconde trame pour la confronter à l’univers de Caroline Baldwin, pimenté par le militantisme tibétain. C’est la manière de travailler qui me convient le mieux : regrouper diverses thématiques, secouer et livrer le résultat.

La montagne, une fois de plus superbemment mis en images par Taymans !

Vous revenez également sur le personnage de Roxanne, qu’on voyait déjà dans de précédentes aventures. Pas mal de lecteurs ignorent d’ailleurs qu’elle possède sa propre série ?

La première mouture du scénario était écrite pour un second tome de Roxanne, afin de relancer la série. Pour diverses raisons, je n’ai pas concrétisé, mais lorsque j’ai eu l’envie de me relancer dans Caroline Baldwin, il m’a paru opportun de reprendre cette base pour y incorporer de nouveaux éléments. On pense prochainement ressortir la Traque, premier tome des aventures de Roxanne.

Au sein du tirage spécial que vous proposez, on découvre en bonus une histoire complète de six pages mettant en scène Caroline dans un rallye au cœur du désert, mais aussi le début d’un récit avorté. Après une dizaine d’albums, il est plus difficile de trouver des ressorts d’intrigues pour son personnage ?

On change les couleurs, et c’est une nouvelle dimension qui apparaît.

J’ai l’occasion de dessiner pour des séries où je ne travaille pas seul, tel Lefranc par exemple. Pour mes séries personnelles, principalement Caroline Baldwin, je ne veux pas sortir un album parce qu’une année s’est écoulée et qu’il faut une nouveauté, mais je désire aborder des sujets qui me tiennent à cœur. Ce récit débuté dans l’album des crayonnées se déroulait au Liban et évoquait la problématique des attaques d’Israël sur Beyrouth, en représailles des tirs de roquettes lancées depuis la frontière. J’ai beaucoup d’amis qui habitent là-bas et que j’entends régulièrement. J’ai été frappé du manque de couverture des médias sur ce sujet, et révolté de l’erreur d’Israël de faire payer à Beyrouth les agissements du sud du Liban, presque deux peuples totalement différents. C’était effectivement une prise de position assez politique, et cela a un peu coincé chez Casterman, concernant le rôle attentiste de la France sur le sujet. C’est bien entendu le rôle de l’éditeur de veiller au canevas global de la série. Après divers remaniements, j’ai préféré abandonner le sujet plutôt que de l’édulcorer, et je me suis attelé à Ban Mãnis chez Flouzemaker. C’est en redessinant alors la montagne, Katmandou et toute cette région que j’apprécie particulièrement, que j’ai fait le lien entre Caroline Baldwin et le scénario que j’avais écrit pour Roxanne.

Vous avez des lignes de conduites assez claires. Cela se ressent avec Caroline et vos récits évoquant certains groupes opprimés. Dans les derniers tomes, elle s’engage auprès des autonomistes indiens, puis des Inuits, et ici les Tibétains …

Il y a aussi d’autres pistes moins visibles. Ainsi, dès l’élection de Georges W. Bush, j’ai décidé que Caroline ne mettrait plus les pieds aux Etats-Unis tant qu’il serait président. J’ai partiellement expliqué ce choix par un ressort scénaristique, mais ma volonté est toute autre. Maintenant qu’Obama siège à la Maison Blanche, Caroline revient aux USA, où débute cette nouvelle aventure. Cela passe sans doute au-dessus de la tête de la plupart des lecteurs, mais pour ma part, je veux maintenir une cohérence entre ce que j’écris et ce que je suis.

Ce tirage de crayonné comprend un CD deux titres centré sur Caroline Baldwin. Comment cette idée vous est-elle venue ?

A mes débuts, j’ai longuement hésité entre la musique et la bande dessinée. Ce n’est d’ailleurs pas la première fois que je voulais mêler les deux univers. Il y a quelques années, deux personnes sont venues me voir : un compositeur et l’acteur-chanteur Philippe Davilla, de Roméo & Juliette et Hair. Ils avaient écrit et déjà partiellement enregistré une comédie musicale, et me demandait de faire un album qui se déroulerait dans les coulisses. Pour des raisons de budget, la production du spectacle ne s’est pas faite, mais l’album était né : Absurdia. J’étais resté avec cette envie de mêler ces univers, et travaillant depuis longtemps avec Erwin Drèze qui joue dans un groupe (Feel the Noïzz), je leur ai proposé de composer une chanson sur Caroline, et en échange, de leur intégrer dans la bande dessinée. On les retrouve dans les deux pages du récit inachevé, mais j’ai également utilisé leurs têtes pour l’expédition de Free Tibet.

Vous auriez pu placer le CD dans le tirage normal de l’album ?

C’était ma première idée, j’ai été défendre le projet chez Casterman, mais ils n’ont pas été emballés. Etant de nature assez entêtée, je ne voulais pas rester sur un second échec : j’ai décidé de réaliser un tirage de tête avec Flouzemaker, dans lequel nous avons donc inséré ce bonus. Puis, cela s’est emballé car le batteur de Feel the Noïzz qui a écrit les paroles est devenu célèbre : c’est Christophe Bourdon, le fameux ‘Champion’ de l’émission de Nagui, Tout le monde veut prendre sa place. J’avais également déjà des contacts avec le groupe Sylvering, dont la chanteuse est l’animatrice d’une émission de RTL-TVI [1], et qui signe le premier titre du CD. Tout cela est devenu très médiatique car nous organisons une première tournée-dédicace dans les FNACs belges !

Pour revenir sur les crayonnés de ce tirage limité, on est parfois étonné de voir certains avant-plans, ou uniquement une tête qui est encrée. Une volonté de mettre un détail en avant ?

(rires !) C’est totalement improvisé. Souvent, je termine une planche vers deux ou trois heures du matin, et dans la foulée, j’oublie que je dois scanner les crayonnés, et je me mets à encrer consciencieusement, débutant par tel ou tel angle. Puis soudain, je me rappelle du tirage spécial et je scanne dans l’état car j’ai vite oublié l’idée de refaire le crayonné ! Je me rassure en me disant que cela donne du cachet à l’ensemble, tout en apportant une vision complémentaire de ma méthode de travail.

L’album de crayonné contient un récit encré de six pages, deux pages d’un projet d’album ainsi que le CD deux titres.

Pour conclure, vos futurs projets ?
Au début du mois de juin sort le prochain Lefranc, le Châtiment, scénarisé par Patrick Delperdange et que je co-dessine avec Erwin Drèze et Raphaël Schierer. Cela se déroule dans le milieu hollywoodien des années 1950. Je travaille également sur le premier des quatre tomes de la prochaine série multi-dessinateurs de JF & Maryse Charles : j’y aborde la découverte du tombeau de Toutankhamon. Sortie prévue en automne. Puis le prochain Sibylline arrivera à la fin de l’année : il reprendra les courts récits de Noël réalisés par Macherot, auquel je viendrais rajouter une histoire plus longue pour former un album complet. Et puis, j’ai déjà pas mal de pistes pour le prochain Caroline Baldwin, mais il faut que tout se mette en place …

(par Charles-Louis Detournay)

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Une tournée de dédicace-concert aura lieu dans les FNAC belge de Louvain-La-Neuve (8 mai 2010), de Bruxelles (15 mai 2010) et de Liège (29 mai 2010).
La chanson est écoutable sur ce site.
Visiter les blogs d’André Taymans et de Flouzemaker, ainsi que le site de Feel the Noïzz.

Lire notre chronique du précédent Caroline Baldwin, ainsi que nos autres interviews d’André Taymans :
- « Quand je dessine Sibylline, je le fais pour mes enfants »
- « C’était assez excitant de mettre ma plume au service de Macherot »
Toutes les images sont © André Taymans.
La photographie en médaillon est © CL Detournay

[1Principale télévision belge francophone.

 
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