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Ange (2/2) : « Nous commençons un second cycle dans La Geste des Chevaliers dragons »

Par Charles-Louis Detournay le 2 décembre 2014                      Lien  
Après avoir abordé le retour d’une de leurs premières séries, "Nemesis", les scénaristes Ange reviennent sur le déroulement d’une des sagas les plus particulières du9e art : "La Geste des Chevaliers Dragons", diptyque-pilier de cet univers, ébauche d’une chronologie, développement de personnages phares, etc.

Ange (2/2) : « Nous commençons un second cycle dans La Geste des Chevaliers dragons »Vous venez de livrer une étape importante de La Geste des Chevaliers-Dragons, avec le diptyque consacrée à La Guerre avec les Sardes, un épisode-pivot dans votre univers, évoqué très tôt dans les premiers albums. Pourquoi ne faire paraître ce récit que maintenant ? Vous désiriez trouver le bon dessinateur pour le réaliser ou avez-vous voulu glisser auparavant toute une série d’éléments dans les précédents albums (présentations des personnages-phares de Louis et Amarelle, des sœurs Matriarche et Impératrice, etc.) ?

Pour toutes ces raisons à la fois. D’abord, la maestria de Vax sur le tome 13 de La Geste des Chevaliers Dragon (Salmyre) nous fait prendre conscience qu’il était le dessinateur rêvé pour un album à grand spectacle, avec une guerre totale, une invasion barbare, une chute de civilisation version Heroic Fantasy. Puis, pour donner toute la place à cette histoire, nous sommes passés d’un album à deux - il a fallu le temps de prévoir ce diptyque dans le planning des uns et des autres, etc. Ce qui nous a permis en effet de le "préparer" dans les albums précédents, de placer les personnages principaux, d’exposer leur enfance dans les tomes 10 et 11, leurs motivations, leurs espoirs... Ce qui rend, j’espère, l’histoire plus forte quand ils se rencontrent et s’opposent tous dans les circonstances dramatiques des tomes 17 et 18.

Les combats n’épargent personne
(La Geste T17 : La Guerre des Sardes 1/2)

Le lecteur va comprendre à la lecture du diptyque qu’il y a certains bouleversements au sein de l’ordre des Chevaliers-Dragons.

La Geste des Chevaliers Dragons tome 17 et 18 (le diptyque) est l’histoire la plus "récente" dans la chronologie des Chevaliers Dragons : pour être plus clair, pour l’instant, tous les autres albums de la série se passent avant. Nous n’avons donc rien caché dans les albums précédents, puisque les évènements du diptyque n’étaient pas encore arrivés. Ou, pour être encore plus clair, c’est la première fois dans l’histoire du monde de la Geste que l’Ordre des Chevaliers Dragons se scinde, qu’il va y avoir deux organisations parallèles et rivales, deux Ordres de Chevaliers Dragons. Ce qui va permettre aux scénaristes ravis que nous sommes de raconter des tas de nouvelles histoires sans ce cadre !

Même si vous ne jouez pas le jeu des astérisques renvoyant aux albums précédents, on ressent tout de même la place prépondérante que prend ce diptyque, que cela soit pour des albums précédemment politiques, ou des récits différents comme celui de La Déesse ou de Brisken. Peut-on dire que vous clôturez d’une certaine façon un cycle de La Geste et que la suite va s’orienter légèrement différemment.

Peut-être. Disons plutôt que nous commençons un nouveau cycle de la Geste avec ce diptyque, nous ouvrons une deuxième boîte à histoires située dans le même univers.

L’Impératrice apprend le drame qui se joue à Arsalam
(La Geste T18 : La Guerre des Sardes 2/2)

Pour rappel aux lecteurs, vous ne délivrez pas les récits de La Geste dans un ordre chronologique, mais bien par touches successives, que ce soit par le fait de votre seule volonté ou en fonction de l’avancement des dessinateurs. Avec du recul, quels sont selon vous les avantages et inconvénients de ce système ?

Des mêmes scénaristes, l’intégrale de "Marie des dragons" vient de paraître en librairie

Avantages : une plus grande liberté pour les gentils scénaristes. Pouvoir faire des histoires dans le passé, dans le futur, des récits parallèles, pouvoir reprendre des personnages secondaires, leur donner une origine et des motivations plus complexes, tout cela peut enrichir les épisodes qui ont déjà été écrits et publiés rien qu’en proposant les mêmes personnages dans les tomes suivants !

Nous ne sommes pas prisonniers d’une époque : si nous avions suivi l’ordre chronologique, une fois arrivés à La Guerre des Sardes, par exemple, il est impossible de "s’amuser" à faire un album préhistorique ou narrant la naissance de l’Empire de Messara.

Inconvénients : aucun. À part pour les rares lecteurs qui râlent parce qu’ils n’ont pas la chronologie, mais elle est à présent disponible à la fin des albums !

Ensuite, on essaye de concevoir les albums de façon à ce que les nouveaux arrivants puissent prendre le train en route. Ce sont des one-shots (en principe), c’est de la Fantasy. Ceux qui veulent se plonger dans l’univers y trouvent leur compte, ceux qui se contentent de nager à la surface aussi.

Une fois de plus, certaines séquences de votre récit sont enchevêtrées, comme dans votre dernier Nemesis. On pense notamment à la conclusion du diptyque de La Guerre des Sardes.

C’est tout simplement une manière de faire passer beaucoup d’informations et d’action dans le cadre parfois un peu serré de 46 pages ! Mais c’est également un outil de narration : les actions ou les émotions du flash-back résonnent avec la scène présentée pour la rendre plus touchante, plus puissante, ou pour lui donner une signification différente de ce qu’elle aurait été si elle était présentée seule. Bref, c’est de la technique. Mais ça ne date pas d’aujourd’hui, ça fait longtemps qu’on utilise des « outils » techniques dans nos séries. Parfois, ça se voit, parfois, ça se voit moins. Ça doit venir de l’influence des comics sur notre travail.

La bataille décisive de La Guerre des Sardes approche...
(La Geste T18 : La Guerre des Sardes 2/2)

Après les deux albums de La Guerre des Sardes, vous venez de publier il y a quelques jours un nouvel album de votre Geste : L’Antidote. On retrouve dans ce 19e tome des héroïnes que l’on a déjà découvertes dans les récits précédents, notamment dans les premiers albums de la série.

Cela faisait longtemps que l’on voulait refaire un album avec Akanah et Eleanor. Elles sont dans nos têtes depuis plus de dix ans, depuis le début de la série. Avant même de reprendre la série chez Soleil [1], nous savions qu’on réutiliserait la petite fille qui apparaît pour certains de façon anecdotique dans le premier tome.

Nous savons beaucoup de choses sur nos personnages, nous savons quel est leur « arc » dans l’histoire de la Geste, nous savons d’où ils viennent et quel est leur destin, mais parfois, d’autres histoires ont la priorité. Le moment était enfin venu de passer à nouveau du temps avec elles.

Classe et décontraction pour les héroïnes de "L’Antidote"

Pensez-vous que la majorité de vos lecteurs font le lien entre vos albums et les personnages répartis sur plusieurs tomes, ou cela n’a-t-il que peu d’incidence dans la façon générale d’appréhender la Geste ?

En fait, nous essayons autant que faire se peut des albums qui soient réellement indépendants (à l’exception du diptyque de La Guerre des Sardes pour des raisons évidentes). Les lecteurs assidus de la Geste y gagneront toujours quelque chose de plus que ceux qui picorent un album de temps en temps parce qu’ils préfèrent tel ou tel dessinateur ou tel thème, ou parce qu’ils ne trouvent pas tous les albums chez leur libraire préféré.

L’expérience de lecture est conçue à la base pour un lecteur qui n’a pas tout lu ou, à la limite, qui n’a lu que le premier tome d’Alberto. L’intro du tome 19 suffit parfaitement à comprendre le caractère des deux Chevaliers. Les lecteurs qui ont lu le tome 2 se diront peut-être : « Chic, les deux cinglées reviennent ».

La plus grande difficulté est que la « gestuelle » des personnages soit cohérente, avec un dessinateur différent. Même si la « voix » est la même, c’est le plus gros écueil quand une série est reprise par un autre dessinateur. Parfois, il faut plusieurs tomes pour que le personnage se fasse à sa nouvelle main (la reprise de Spirou par Fournier est un bon exemple). Dans le cas de La Geste, le dessinateur doit donner vie à un personnage qui a déjà un passé quelque part. Ce n’est pour lui qu’un enfant adoptif et, qui plus est, de passage. Mais nous savions que Patrick Boutin pourrait parfaitement traduire la légèreté d’Akanah et d’Eleanor. Dans ses mains, elles sont élégantes, fines, on les verrait plus sur un podium de défilé que dans un champ de bataille. Et c’est exactement ce qu’il nous fallait.

Vous avez d’ailleurs répondu aux lecteurs en manque de repère ?

Oui, nous avons inséré une chronologie dans les albums, sur les pages de garde arrières, afin que les lecteurs puissent facilement se repérer. Il n’y a pas de dates proprement dites, mais cela permet de placer les évènements les uns par rapport aux autres.

Une chronologie se retrouve maintenant en fin de chaque album

Ce récit de L’Antidote évoque la part de futilité qui peut habiter les jeunes Chevaliers Dragons. Vouliez-vous montrer que le caractère dont la plupart d’entre elles sont dotées, s’est forgé au contact d’événements relativement pénibles ?

La troisième intégrale de La Geste en petit format est également en librairie

Il faut se souvenir de ce qu’ont vécu Akanah et Eléanor : l’une a tué son petit frère à coups de pierre et l’autre a failli se faire violer par son oncle avant de le voir se faire couper en deux par un dragon. Elles ont ensuite subi une éducation et un entraînement comme celui que l’on décrit dans le tome 11. Elles étaient novices du Chevalier Oris, vétéran de la bataille de Brisken, et même si elles ne la prenaient pas au sérieux, on sait que qu’Oris est une légende parmi les Chevaliers Dragons. Cela suffirait largement à faire fondre un fusible à la plupart des personnages.

L’univers de La Geste est régi par la sélection naturelle et les règlements sont édictés pour de bonnes raisons : parce que ce monde est dangereux. Dans toutes les pratiques à risque, il y a un moment où on se sent sûr de soi et où on se dit : « ça n’arrive qu’aux autres ». C’est le moment où la statistique d’accidents est la plus importante. Dans le monde de La Geste, ce n’est pas le palier de décompression de plongée qui est dangereux, mais un Dragon. Il est très probable qu’Akanah et Eléanor ne sont pas les seules à ne pas respecter les règlements à la lettre, mais les autres ne survivent pas assez longtemps pour qu’on puisse raconter leurs aventures.

Akanah et Eleanor ont ce petit quelque chose en plus qui leur permet de garder cette légèreté. Elles sont tout simplement meilleures que les autres et si elles étaient sérieuses, il est probable qu’elles deviendraient elles-aussi des légendes. Mais comme nous savons ce qui leur arrive, rien ne dit que ce n’est pas le cas, n’est-ce pas...

Vous abordez doucement la magie et le lien entre l’apparition des Dragons et des phénomènes comme les bateaux volants. Allez-vous approfondir le sujet par petites touches, ou comptez-vous juste emmener les lecteurs vers Le Collège Invisible ?

La magie de l’univers de la Geste apparait dès les premières pages du premier tome. La grande scène de la chute d’eau qui, s’il n’y avait pas de magie, rendrait sourds tous les habitants de la Cité, de même que les bateaux volants apparaissent dans le tome 2.

Ce que les prêtres d’Aman maitrisent, c’est une magie faiblarde, probablement une rémanence de l’effet des Dragons. Seules les Sœurs de la Vengeance manipulent une magie digne de ce nom, mais elle n’est utilisée qu’à des fins de destruction massive, les Sœurs y compris, et donc plutôt avec parcimonie. Mais il y aura toujours des petits malins qui essayeront d’invoquer une magie plus puissante et qui finiront sûrement dans un joli feu d’artifice. La plupart du temps, cela se produit hors champ…
Et même s’il y a une passerelle d’univers entre La Geste des Chevaliers Dragons et Le Collège Invisible, (via le tome 5 du Collège pour ceux qui n’ont pas tout lu), ce n’est pas le même monde, ni même la même réalité.

Mais la matriarche ne le voit du même oeil (La Geste T19)

Quel avenir pour la Geste ?

Tant que notre gentil éditeur ne nous débranche pas la prise, la série continue. Pour les prochains tomes, nous avons, dans le désordre le plus certain : un tome hivernal avec Alexe, un tome maritime avec Christian Paty, un tome d’après La Guerre des Sardes avec Looky et très probablement un tome avec Ronan Toulhoat. Mais avec deux tomes par an, on est obligé de s’y prendre un peu à l’avance.

(par Charles-Louis Detournay)

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Lire la première partie de cette interview : « Les lecteurs n’ont plus envie qu’on leur serve une histoire dont ils liront la fin dans cinq ans… »

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Mais aussi une autre intégrale des mêmes scénaristes, qui vient de paraître et [nous conseillons ardemment : Marie des Dragons chez Amazon ou à la FNAC

Concernant La Geste des Chevaliers dragons), lire des précédentes interviews d’Ange :
-  « L’origine de "La Geste des Chevaliers Dragons" remonte aux femmes »
-  « Sans leurs sentiments et leurs souffrances, les personnages seraient en carton-pâte. » (Janvier 2012)
-  « Marie des Dragons n’a rien à voir avec la Geste » (Novembre 2009)

Ainsi qu’un article général présentant la Geste : Entre Ange et Ténèbres, Soleil continue de privilégier l’Héroïc-Fantasy.

[1NdR : La Geste des Chevaliers dragons a débuté chez Vents d’Ouest.

 
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