Cette impression de chaos est déjà rendue par l’affiche que nous a concoctée la présidence bicéphale de Dupuy & Berberian : on y voit un Angoulême satellisé, quasi « explosé », tandis que nos auteurs s’en échappent enfermés (protégés) dans leur soucoupe volante. Nous sommes « ailleurs », loin la vulgarité du monde, Internet est d’ailleurs déconnecté. Franck Bondoux , le délégué général du Festival revient au contexte du « réel », à savoir « l’actualité du monde » en ces temps « compliqués et difficiles ». Le discours de notre taiseux délégué général, gestionnaire froid et adepte de la langue de bois, demande à être décodé par un quasi kremlinologue. Dans son discours d’ouverture de la conférence de presse, il évoque la nécessité pour le Festival « de s’adapter à l’économie réelle ».
Le message n’est pas pour le public, mais pour les sponsors dont le soutien financier, essentiel pour le festival, suscite de l’inquiétude. Des signes avant-coureurs se manifestent.
On annonce une baisse de fréquentation notable dans les festivals français de ces derniers jours.
Franck Bondoux déplore publiquement l’arrêt de la subvention du ministère de la Santé, de la Jeunesse, des Sports et de la Vie associative et appelle directement la ministre Roselyne Bachelot à revenir sur la décision de son administration. Or, la tendance globale de la réforme de l’état va dans le sens d’un désengagement de l’état en faveur des régions, lesquelles pour certaines d’entre elles n’ont plus les moyens. De grands évènements culturels français sont menacés pour cette raison. Le maire d’Angoulême et le Président de la Région ont beau afficher leur soutien en se manifestant par leur présence, la conjoncture politique n’est pas rassurante.
Enfin, le soutien de la Caisse d’Épargne, sponsor traditionnel du Festival depuis 25 ans, est potentiellement remis en cause par sa fusion annoncée avec la Banque populaire. Les cartes pourraient être rebattues et ceci est un sujet de préoccupation pour le délégué général.
Économie réelle
Si l’on sent bien que le partenariat de la SNCF restera sur les rails, qu’en sera-t-il de la FNAC si le marché du livre devait se retourner brusquement, subissant une baisse brutale de son activité ? Et des éditeurs qui, anticipant le repli des ventes, amenuiseraient la surface de leur stand et les invitations des auteurs afin de réduire les frais ? La réponse du délégué général est sans ambage : « Nous saurons adapter nos structures à l’économie réelle ». En clair : messieurs les sponsors, si vous réduisez votre participation, nous saurons réduire votre visibilité et les évènements qui y sont attachés ; ou bien, Messieurs les éditeurs, si vous réduisez votre surface, nous renoncerons à l’exposition qui met en avant votre personnage fétiche. Donnant, donnant, et même moins si les sponsors institutionnels sont aux abonnés absents.
« Le réel contemporain »
Dans ses commentaires, le directeur artistique du Festival, Benoit Mouchart, égrène des truismes du genre « la bande dessinée est une fenêtre ouverte sur le monde » ou « tout un chacun est déjà tombé amoureux »… pour justifier une programmation centrée sur une « bande dessinée de l’intime » dont, bien entendu, « la résonance est universelle », parce que « l’intime est toujours […] une tentative de déchiffrer le monde » Et d’aligner la liste des invités : Dan Clowes, Chris Ware, Adrian Tomine, Marjane Satrapi… qui ne sont « évidemment pas là par hasard » : « Tous, dans leurs œuvres questionnent, le réel et le présent » [1].
Nous on veut bien mais est-ce que la bande dessinée n’est pas aussi la grande aventure au bout du monde ou sur d’autres planètes soutenue par un souffle épique, ou une suite de gags sans grande conséquence ni autre message que celui de nous faire rire, tout simplement ? Flash Gordon, Michel Vaillant, Corto Maltese, Spirou, Les Passagers du vent, Largo Winch, Les Tuniques bleues, Le troisième testament, XIII, le Décalogue, RG ou Mickey ne nous semblent pas être exactement des « bandes dessinées de l’intime ». Sortiraient-elles alors du champ des oeuvres qu’Angoulême veut promouvoir ? Que Benoit Mouchart nous pardonne mais il semble qu’il y a là une équation qui n’est pas résolue.
Par conséquent, le programme de cette année ne fait pas dans la foudroyante innovation. On est comme dans un copier-coller de l’année précédente :
Des expositions, notamment autour des présidents Dupuy & Berberian : sur Lucien, le personnage de Frank Margerin, Shigeru Mizuki, le mangaka qui avait remporté le Prix du meilleur album à Angoulême il y a deux ans, une expo Winshluss, le créateur de Monsieur Ferraille, Ceci n’est pas de la BD flamande une exposition de la jeune création belge flamande, et une exposition sur L’Afrique du Sud dont les auteurs constituent, selon les organisateurs, « une révélation », une expo sur la bande dessinée coréenne indépendante Sai Comics et enfin, une autre sur la Fantasy (que nos organisateurs tiennent à distinguer nettement de l’Heroic Fantasy) intitulée Le théâtre des merveilles.
La jeunesse aura droit à une exposition « Boule & Bill face à l’Hôtel de Ville, à l’extérieur, sur un mode opératoire semblable à l’exposition Schtroumpfs de janvier, sans oublier l’exposition Jeunes Talents de la Caisse d’Épargne qui révèle chaque année de nouveaux auteurs.
Près de 80 rencontres sont prévues dont sur les thèmes de « l’autobiographie », sur le « traitement de l’intime » où l’on retrouvera Daniel Clowes, Adrian Tomine, James Kochalka, Posy Simmonds, Melinda Gebbie, ou Chris Ware. On notera la présence des auteurs sud-africains Karlien de Villiers, Joe Daly, Joe Dog et Conrad Botes, celle de Marjane Satrapi et, presque en contre-programmation, celle de Laurent Verron, actuel dessinateur de Boule & Bil .
Outre l’expo Mizuki précitée, le Manga Building sera animé par un accrochage de Hiroshi Hirata, un classique de la BD japonaise (L’âme du Kyudo chez Delcourt) lequel sera présent à Angoulême en costume traditionnel, par la présence de Murata Range initiateur de l’anthologie Robot chez Glénat qui animera une master-class, celle de la dessinatrice française Raf-Chan auteure de Debazer chez Ankama et enfin Junko Kawakami (It’s Your World chez Kana) qui nous gratifiera d’une performance publique.
La projection en avant-première du nouveau film de Hayao Miyazaki, Ponyo sur une falaise qui sera accompagnée par une petite exposition de croquis préparatoires du film, ainsi que d’autres projections.
Le Pavillon Jeunes Talents avec ses espaces formations, rencontres et ateliers animés par le concours révélations blogs, l’atelier ludique Wall Strip, l’exposition Nage libre de Sébastien Crisostome, le concours de strips franco-québecois, et un concert de jazz illustré à la palette graphique.
Des rencontres « juniors » et des ateliers dans le pôle jeunesse, notamment avec les auteurs de la sélection jeunesse.
La Caisse d’épargne sera encore présente avec son Prix Jeunes Talents et son concours de la BD scolaire qui a révélé tant de dessinateurs en herbe, son « gang des talents » qui met en avant six albums publiés dans l’année, et enfin des rencontres, notamment avec Jean Solé (Superdupont) qui préside le concours de la BD scolaire depuis tant d’années et qui est parrainé en 2009 par l’auteure Colonel Moutarde.
Les spectacles où l’on retrouve Les concerts de dessins qui continuent d’autant mieux qu’ils sont payants et que le Pass du Festival n’y donne pas droit, c’est « en plus ». Comme ils font, paraît-il, salle comble, c’est toujours ça en plus dans les recettes du Festival. On nous annonce Arthur H illustré par Christophe Blain, Rodolphe Burger illustré par Dupuy & Berberian, Arno illustré par Nix & Johan De Moor. Enfin les Impro BD sont de retour avec un match « France-Belgique ».
La sélection touchée par la surproduction
Dix Essentiels seront remis cette année choisis parmi les 56 (et non plus 50) ouvrages choisis par le jury de présélection.
Ils seront distingués par un Grand jury (Meilleur album, 5 essentiels et l’Essentiel révélation, l’Essentiel patrimoine), par le public (Prix Fnac-SNCF) et par un jury d’enfants de 9 à 14 ans (Essentiel Jeunesse).
Qu’en dire, sinon que notre opinion n’a pas changé depuis l’année dernière : « Il y a de fortes chances que la médiatisation de la sélection […] par l’intermédiaire de la FNAC et de la SNCF ne fasse qu’augmenter l’incompréhension et le malentendu. Des petits éditeurs vont être confrontés à des obligations de mise en place qui ne correspondront pas à la réalité de leurs ventes. Cette sélection –trop éclectique, trop longue- est une usine à retours. Outre qu’elle semble céder à une mode, elle est inadaptée aux réalités du marché… »
La sélection 2009, ceux qui l’aiment prendront le train et iront l’acheter à la FNAC. Quant aux autres…
1. Sélection officielle
3 déclinaisons, de Pierre Maurel (L’Employé du moi)
American elf, de James Kochalka (Ego comme X)
Les amis, de François Ayroles (l’Association)
The Autobiography Of A Mitroll, « Mum Is Dead », tome 1, de Bouzard (Dargaud)
Les Bidochon, tome 19, de Binet (Fluide Glacial)
Bigfoot, tome 3, de Nicolas Dumontheuil, adapté de Richard Brautigan (Futuropolis)
Bons mauvais grands et petits joueurs, de Anne Rouquette (Editions Lito)
Bottomless Belly Button, de Dash Shaw (Editions ça et là)
Cité 14, saison 1, de Gabus & Reutimann (Paquet)
De Gaulle à la plage, de Ferri (Poisson Pilote/Dargaud)
Esthétique et filatures, de Tanxxx & Lisa Mandel (Casterman)
Ferme 54, de Galit & Gilad Seliktar (Editions ça et là)
Filles perdues, de Moore & Gebbie (Delcourt)
La force des humbles, d’Irata (Delcourt)
Le goût du chlore, de Bastien Vivès (Casterman)
Le goût du paradis, de Nine Antico (Ego comme X)
Les gouttes de Dieu, tome 1, de Tadashi Agi & Shu Okimoto (Glénat)
La guerre d’Alan, tome 3, d’Emmanuel Guibert (l’Association)
Gus, tome 3, de Christophe Blain (Dargaud)
Harding was here, tome 1, de Midam & Adam (Soleil)
L’héritage du colonel, de Varela & Trillo (Delcourt)
La jeune fille et le nègre, de Judith Vanistendael (Acte Sud l’an 2)
Jonathan, « Elle », tome 14 de Cosey (Le Lombard)
Le livre des destins, « La Métamorphose », tome 2 de Le Tendre & Biancarelli (Soleil)
Lock Groove Comix n°1 de Jean-Christophe Menu (L’Association)
Loin d’être parfait, de Adrian Tomine (Delcourt)
Long John Silver, « Neptune », tome 2, de Dorison & Lauffray (Dargaud)
Lucien, « Toujours la banane », tome 9, de Frank Margerin (Fluide Glacial)
Lulu femme nue, premier livre, d’Étienne Davodeau (Futuropolis)
Le Marquis d’Anaon, « La chambre de Kheops », tome 5, de Bonhomme & Vehlmann (Dargaud)
Martha Jane Cannary, tome 1, de Blanchin & Perrissin (Futuropolis)
Marzi (1984-1987) : la Pologne vue par les yeux d’une enfant, de Savoia & Sowa (Dupuis)
Mattéo, de Jean-Pierre Gibrat (Futuropolis)
Max Fridman, tome 5 de Vittorio Giardino (Glénat)
Mon Frère nocturne, de Joanna Hellgren (Cambourakis)
Mon gras et moi, de Gally (Diantre)
Nage libre, de Sébastien Chrisostome (Sarbacane)
No comment, de Yvan Brun (Drugstore)
Oncle Gabby, de Tony Millionaire (Rackham)
Pauvres zhéros, de Baru, Pierre Pelot (Rivages/Casterman/Noir)
Le petit Christian, tome 2 de Blutch (L’Association)
Pinocchio, de Winshluss (Les requins marteaux)
Pluie du paradis, de Yu Lu (Casterman)
Le Roi des mouches, « L’Origine du monde », tome 2, de Mezzo & Pirus (Drugstore)
Salade de fluits, tome 2, de Mathieu Sapin (Les requins marteaux)
Séquelles, de Hugues Micol (Cornélius)
Shutter Island, de Christian De Metter & Dennis Lehane (Rivages/Casterman/Noir)
Spirou et Fantasio, « Le Journal d’un ingénu » , d’ ÉmilBravo (Dupuis)
Tamara Drewe, de Posy Simmonds (Denoël Graphic)
Tout seul, de Christophe Chabouté (Vents d’Ouest)
Trésor, de Lucie Durbiano (Gallimard)
Le tricheur, de Ruppert & Mulot (L’Association)
Undercurrent, de Toyoda (Kana)
Ushijima, tome 3, de Manabe (Kana)
Le voleur de visages, de Junji Ito (Tonkam)
Wanted, de Millar, Jones & Mounts (Delcourt)
Essentiel Jeunesse
Vingt albums jeunesse proposés à un jury d’enfants et d’adolescents âgés de 9 à 14 ans.
Anna et Froga T2, de Anouk Ricard (Sarbacane)
Le Château de l’aurore, de Osamu Tezuka (Cornélius)
Chronokids T2, de Zep, Stan & Vince (Glénat)
Doraemon, Le Chat venu du futur T8, de Fujiko.F.Fujio (Kana)
Les Enfants d’ailleurs T3, de Bannister & Nykko (Dupuis)
Ernest & Rebecca T1, de Bianco & Dalena (Le Lombard)
L’Envolée sauvage T2, de Arno Monin & Laurent Galandon (Bamboo)
La Fille du savant fou T3, de Mathieu Sapin (Delcourt)
Gully T1, de Dodier & Makyo (Dupuis)
Jacques le petit lézard géant, de Libon (Dupuis)
Ludo T7, de Pierre Bailly, Vincent Mathy & Denis Lapière (Dupuis)
Nana T18, de Ai Yazawa (Delcourt)
Le Petit Prince, de Joann Sfar (Gallimard)
La Rose écarlate T4, de Patricia Lyfoung (Delcourt)
Sardine de l’espace T7, de Emmanuel Guibert (Dargaud)
Seuls T3 de Bruno Gazzotti & Fabien Vehlmann (Dupuis)
Sillage T11, de Philippe Buchet & Jean David Morvan (Delcourt)
Titeuf T12, de Zep (Glénat)
Trolls de Troy T11, de Jean-Louis Mourier & Chistophe Arleston (Soleil)
Zblucops T5, de Bill & Gobi (Glénat)
Essentiel Patrimoine
Ce prix récompense le travail d’un éditeur qui fait vivre la mémoire de la bande dessinée.
Au bord de l’eau, de Mitsuteru Yokoyama (Delcourt)
Breakdowns, de Art Spiegelman (Casterman)
L’Enfer, de Yoshiro Tatsumi (Cornélius)
Johan et Pirlouit Intégrale tome 2, de Peyo (Dupuis)
Les Naufragés du temps, de Paul Gillon & Jean-Claude Forest (Glénat)
Opération Mort, de Shigeru Mizuki (Cornélius)
La Rivière empoisonnée, de Gilbert Hernandez (Delcourt)
Taxista, de Marti (Cornélius)
(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))
Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.
Plus d’infos sur le site du Festival d’Angoulême
[1] « La bande dessinée, un art de son siècle, un art dans son siècle ». Entretien avec Benoît Mouchart. Dossier de presse du 36ème Festival, oct. 2008.
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