Fabrice Neaud se distingue par l’ampleur du travail autobiographique et d’introspection poursuivi depuis 1994 dans les quatre volumes de son Journal. Le tome 3, en rupture de stock depuis 2008, ressort prochainement (17 février), dans une nouvelle édition augmentée de 58 pages, publiée par Ego comme X, maison d’édition dont il a contribué à la fondation. Malgré l’avertissement de son éditeur, Loïc Néhou, avant d’entamer cette démarche, la radicalité que l’auteur-narrateur y met à dévoiler sans fard sa vie, celle de son entourage ou son homosexualité assumée, malgré un mâle être à tendance masochiste, lui vaut des difficultés relationnelles à Angoulême. Même si sa ville d’adoption n’est pas citée nommément, mais reconnaissable dans son œuvre. D’où l’intérêt qu’il y présente lors de ce festival 2010 une exposition, dont le dessinateur assurait lui-même le commissariat, susceptible de mieux faire connaître d’autres palettes de son talent.
Chez Fabrice Neaud, textes et couleurs aussi méritent l’attention
Sur deux niveaux, elle proposait de se familiariser avec des aspects plus divers de sa production. Si son Journal y est quand même valorisé, il s’agit notamment, avec raison, d’y célébrer ses trouvailles graphiques. Ses envolées surréalistes d’une séquence marquante de son tome 3 étant par ailleurs mises en exergue dans l’exposition Cent pour cent du Musée de la bande dessinée (Cité internationale de la Bande Dessinée et de l’Image).
Où l’une de ses planches est judicieusement placée en parallèle avec une autre, produite en hommage, par le mangaka Hideji Oda, auteur du remarquable Dispersion (Casterman/Sakka).
Plus loin à l’étage inférieur de l’exposition, une section compartimentée et dotée de rideaux, annoncée par un panneau avertisseur au titre plein d’humour, dévoile des œuvres au contenu sexuellement plus explicite.
Mais, davantage que leur aspect porno gay, leur choix étant sans doute en partie destiné à effaroucher le pudibond, retenons les dialogues savoureux qui les accompagnent parfois ou la qualité de certaines planches en couleurs.
Celles-ci incitant à penser que leur créateur, davantage connu pour son travail en noir et blanc à la plume, devrait persévérer en la matière.
Tandis que, entre autres, un nouveau projet en cours, Les Transhumains, qui s’inscrit dans un contexte de réchauffement climatique autour des années 2030-2050, nous fait découvrir un Fabrice Neaud semblant vouloir s’évader du carcan de l’autobiographie. Sa science-fiction, graphiquement parlant, ferait même songer à… Katsuhiro Otomo ou à Enrico Marini, en partie son émule européen ! Toutefois, l’examen approfondi des planches ou l’inclusion de repentirs laisse apparaître de relatives déficiences dans le dessin. Comme ces visages de femmes aux traits parfois caricaturaux et pas toujours bien reconnaissables d’une case à l’autre sans des artifices, physiques ou vestimentaires, destinés à mieux les typifier.
Souriez, vous êtes peut-être filmés ! …
L’étage est pour une bonne part consacré aux obsessions de l’artiste. L’une d’entre elles se révèle photographique et dessinée, relative à son entichement pour les cathédrales gothiques, éléments primordiaux de sa cité idéale, Urstaadt. Sa reconstitution procède de carnets, visibles au niveau inférieur.
Que l’on adhère ou pas à cette passion virtuelle pour les grands édifices à la Ludwig II, un dispositif particulier, installé dans un recoin stratégique, retient l’attention. Une caméra, inquisitrice ou pas (est-elle branchée ?), est braquée sur le visiteur, inclus dans son champ scrutateur à son corps défendant. Ce dernier est ainsi contraint, l’espace d’un instant, de partager la réflexion, voire le fardeau, d’un Fabrice Neaud obnubilé par son entreprise autobiographique et les complications qu’elle engendre du point de vue du droit à l’image et de ses limites…
(par Florian Rubis)
Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.
En médaillon : Fabrice Neaud (autoportrait, détail d’une bande dessinée de l’exposition) © Fabrice Neaud.
Exposition Fabrice Neaud.
Hôtel Saint-Simon, Angoulême, du 28 au 31 janvier 2010.
Fabrice Neaud, Journal T3, nouvelle édition revue et augmentée de 58 pages, publiée par Ego comme X, le 17 février 2010.
Participez à la discussion