Le visage des responsables du Festival avait du mal à afficher un sourire. Ils avaient prévu le lancement de leur manifestation dans un lieu prestigieux : Le Louvre. Après le Musée de l’Homme et l’Olympia, c’est dans ce temple chargé d’histoire que le Festival présentait le détail de sa nouvelle édition.
Hélas, le « show » s’est trouvé quelque peu perturbé par la grève des monuments et institutions muséales de l’État qui avait lieu précisément de jour-là. [1]. Devant l’entrée de la Pyramide du Louvre par où arrivaient les journalistes, un groupe de syndicalistes tenait un piquet et avait manifestement envie d’en découdre avec des services de sécurité débordés. Toute la conférence de presse s’est déroulée dans cette clameur. La révolution grondait aux portes du Palais…
Le différend entre le Festival et les Institutions angoumoisines n’est pas éteint, loin de là. Tout est réglé pour cette édition, certes, (à 15.000 euros près), surtout suite à l’intervention du maire et du préfet de la région auprès des collectivités locales et de l’état, mais ils ont bougé sous la pression du scandale suscité par les organisateurs du Festival annonçant sa suppression, nous dit-on.
Ce n’est évidemment pas de nature à rendre sereine une négociation qui devrait redémarrer en février prochain (le contrat entre la ville et le festival échoirait en janvier). Pour l’heure, les parties invectivent et menacent.
Lors de la présentation à la presse, on a pu assister à une intervention de M.Denis Olivennes, le directeur du Nouvel Observateur que les organisateurs n’avaient pas présenté à la salle et dont bon nombre de personnes se demandaient à quel titre il intervenait. Les lecteurs d’ActuaBD savent qu’il est, depuis juillet 2009, le délégué général de l’association du Festival, nommé là précisément en raison de la négociation qui s’annonce difficile. Car, principales sources financières du Festival (plus de 1,5 millions d’euros sur un peu plus de 3 millions) les institutions régionales (Mairie, région, département, collectivités locales), considèrent que l’événement leur échappe globalement et veulent rétablir l’équilibre, notamment en ce qui concerne la gestion de ces sommes.
Comment ne seraient-ils pas offusqués par les propos de M. Denis Olivennes lors de la présentation à la presse qui énonce, droit dans les yeux, à l’adjoint à la culture du Maire d’Angoulême, M. Gérard Desaphy cette injonction comminatoire : « Si je peux vous aider à faire prendre conscience [du soutien et de la défense du Festival] à ceux qui n’en ont pas conscience, je vous aiderai ! » ? Du côté du Festival, on se plaint d’une guérilla sans fin dans « la presse locale » contre le festival qui justifierait cette escalade.
Bref, dans la perspective des régionales où certains voient dans cette polémique la main de Nicolas Sarkozy et de son instrument, le ministre de la culture M. Frédéric Mitterrand, contre une place socialiste où règne Ségolène Royal, on ne voit pas comment la crise ne pourrait pas perdurer. Il est certain que le feuilleton continuera l’année prochaine.
Dans la ligne des éditions précédentes
Dans la programmation du Festival, de révolution, il n’est point question. Que du contraire, on a eu l’impression d’un joli rétropédalage vers des choix moins élitistes et des parti-pris apparemment moins complaisants.
Si le spectacle vivant (les concerts de dessins, etc.) reste l’un des fers de lance du Festival, Benoit Mouchart revendiquant l’originalité de ces représentations qui présentent des « séquences d’images », contrairement aux spectacles dessinés d’un Vaughn Bodé par exemple, c’est d’abord parce que ses programmateurs veulent créer des « instants collectifs » dans lesquels la BD est célébrée.
La ligne du Festival reste, nous dit le directeur artistique, la mise en avant des « démarches d’auteurs, dans tous les domaines, du divertissement à l’avant-garde ». Le seul but du festival, martèle-t-il, est de « faire grandir la bande dessinée », trop longtemps cantonnée dans son statut de littérature pour la jeunesse.
On nous annonce pour la première fois une « cérémonie d’ouverture » à laquelle nous aurons l’occasion de voir, si les astres hollywoodiens nous sont favorables, les premières images du Tintin de Spielberg.
Innovation intéressante qui permettrait peut-être de compenser l’absence des « exclus » de la sélection : des albums « hors compétition » seront présentés au public. Là aussi, l’influence du festival du film à Cannes reste patente : on cherche à instituer des évènements parallèles, à l’exemple de la sélection « un autre regard » où avait été présenté le film de Riad Sattouf, « Les beaux gosses . »
Enfin une Web-TV, visible sur les sites FNAC et SNCF, rendrait compte du festival en temps réel.
Les prix seront légèrement reliftés (voir notre entretien avec Benoit Mouchart) avec un recul annoncé vers un retour au système des catégories : « Nous préférons réformer plutôt que de persister dans l’erreur », nous dit-il. Peut-être les réserves que nous émettions au sujet de la nomenclature des prix lancés en 2008 ont-elles porté leurs fruits…
Expositions
Les expositions sont l’autre moment fort du Festival.
À tout seigneur, tout honneur, Blutch sera exposé, mais l’auteur a préféré montrer son « work in progress » plutôt que des planches finies « qui ne sont pas faites pour être exposées ».
Concession à la BD « grand public » ? Le personnage de Turk & De Groot, Léonard le génie fera l’objet d’une exposition « ludique et familiale ».
La traditionnelle exposition « Jeunes Talents » fête ses 10 ans en exposant les travaux des lauréats de ce concours très populaire organisé par la Caisse d’Epargne et dont le dépôt des candidatures était limité cette année au 13 novembre 2009.
La Bande Dessinée russe est à l’honneur cette année. Pilotée par Dmitry Iakovlev que nous avions rencontré vous vous en novembre 2008. Le créateur du festival de BD de Saint-Pétersbourg présentera à la Maison du Papier huit auteurs russes de la nouvelle génération.
Sous l’impulsion de Blutch, les dessinateurs d’humour seront mis à l’honneur. Le dessinateur Frédéric Poincelet s’emploiera à mettre en perspective les filiations de Luyas Williams et de Chris Ware ou encore de Charles Huard avec Blutch.
Les Tuniques bleues et leurs auteurs Raoul Cauvin & Willy Lambill feront l’objet d’un hommage sur la place qui fait face à l’Hôtel de Ville, là où Boule & Bill et Les Schtroumpfs résidaient les années précédentes.
Le « Manga Building » (anciennement Espace Franquin) accueillera une exposition One Piece avec comme morceau de bravoure une île au trésor en volume parsemée d’objets emblématiques. Ne rêvons pas : ici, pas d’originaux sur les murs, que des fac-similés.
L’exposition sans doute la plus importante sera sans conteste celle du Musée de la bande dessinée, l’exposition Cent pour Cent dont notre collaborateur Thierry Lemaire vous a déjà longuement parlé précédemment.
Le Musée des Beaux-Arts accueillera L’Expo Louvre où les visiteurs retrouveront les travaux exposés au Louvre et dont nous vous avions déjà parlé précédemment.
Une exposition Fabrice Neaud prendra place dans l’Hôtel Saint-Simon. L’auteur du Journal (quatre volumes chez Ego comme X), lors de la présentation à la presse, disait « y réfléchir encore » (apparemment, il venait de découvrir qu’il en serait le commissaire) et évoquait « des photos noir et blanc de façades gothiques » qui côtoieraient ses travaux.
C’est Blutch qui a voulu l’ exposition Bye-bye de Fabio Viscogliosi : ! (Ma Vie de garçon, au Seuil, Au Cœur du monde chez L’Association), prélude à un recueil de 400 pages à paraître à L’Association en 2010 : Da Capo.
On ne devra pas rater l’exposition-happening des Belges de chez Frémok, Olivier Deprez, Vincent Fortemps, Dominique Goblet et Thierry Van Hasselt, avec la complicité du dessinateur italien Gipi, Match de catch à Vielsam. Il s’agit en effet d’un magnifique projet réalisé avec des artistes handicapés (Adolpha Avril, Richard Bawin, Jean-Jacques Oost, Rémy Pierlot et Dominique Théate) dans lequel ces 10 artistes se sont engagés avec cœur. Cela donne d’étonnantes images que l’on retrouve dans l’ouvrage publié par Frémok.
Plein d’autres expositions auront lieu, « in » et « off » festival.
Concerts et performances
Les « instants collectifs » sont de retour avec les « Concerts de dessin ». C’est Zep qui en a scénarisé le principe cette année. Blutch fera son spectacle crayons en main sur la musique de Irène et Francis Jacob. On notera que le Pass du Festival (entre 6 et 30 euros, selon le nombre de jours et l’âge) ne donnera pas accès à ces évènements spécifiques qui coûteront à chaque fois 8 euros supplémentaires.
Idem pour la « performance » de Bilal, Cinémonstre , un remix documentaire visuel des trois premiers films de Bilal qui prendra place au théâtre d’Angoulême avec Bilal sur scène qui interviendra graphiquement sur le film : il faudra vous acquitter de 18 euros supplémentaires.
La conférence Schuiten/Peeters a également lieu au théâtre. Elle explorera avec les auteurs les arcanes de leurs Cités obscures. A la différence des précédentes, cette prestation est gratuite et, pour cela peut-être, mais pas seulement, elle devrait remplir la salle de 700 places.
La jeunesse a son « pôle »
C’est l’une des conséquences du déménagement du Musée de la BD : la bâtiment Castro laissera la place à un Pôle Jeunesse « en dur » qui lui sera entièrement dédié. Rencontres junior et jeunesse y auront lieu.
Le Pavillon Jeunes Talents, en revanche, reste en ville avec ses dizaines d’animations et expositions patronnées par la Caisse d’Epargne, la Région Poitou-Charentes, Magelis et le Haut Commissariat à la jeunesse.
Rencontres internationales
Des grands auteurs sont annoncés, parmi lesquels : Joe Sacco, Ivan Brunetti, Dash Dash Shaw, David Heatley, Kevin O’Neill et Alan Martin. On annonce aussi le Japonais Seiichi Hayashi et les Français Bilal, Floc’h & Rivière.
On ne saurait détailler ici tous les éléments de la manifestation (nous y reviendrons de toutes façons) mais retenez que la SNCF offre une réduction de 35% et de 50% le jeudi. Pour les hôtels, prenez de l’avance car tout est blindé ou alors apprêtez-vous à louer une voiture pour crècher à l’extérieur de la ville.
Vous pourrez peut-être trouver une chambre chez l’habitant en prenant contact avec L’Office du tourisme (Tel : + 33 (0) 5 45 95 55 55 – Site Internet).
(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))
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Festival d’Angoulême du 28 au 31 janvier 2010.
Lire aussi : Benoit Mouchart : « J’aimerais que la bande dessinée et Angoulême soient fédérateurs. »
Lire aussi : Angoulême 2010 : Une sélection consensuelle pétrie de contradictions
[1] Pour protester contre la perspective de suppressions d’emplois, le Centre Pompidou (fermé depuis le 23 novembre), Le Musée d’Orsay, Versailles, le Musée Rodin, les Archives nationales, l’Arc de Triomphe, la Conciergerie, les châteaux d’Azay-le-Rideau, la Cité de Carcassonne, mais aussi Le Louvre étaient ces derniers jours fermés au public.
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