Cette année, les festivaliers qui passaient devant l’Espace Franquin n’y ont plus vu les mots "Manga Building". Depuis 2008, sous la direction de Julien Bastide et Nathalie Bougon, ce bâtiment était devenu le quartier général de tous les fans purs et durs de mangas, venus pour les expositions, conférences, et projections. Les mangavores y gagnaient un lieu consacré à leur passion, mais également un isolement du reste du Festival.
Le retour de Gaston
Pour cette 38ème édition, le coordinateur aux baguettes est Erwan Le Verger : "Le Manga Building a permis depuis trois ans un focus sur le manga, mais il était aussi en train de le ghettoïser. Le manga, c’est de la bande dessinée avant tout. Le mettre à part du festival, c’est quelque part admettre que ce n’était pas de la bande dessinée. Il nous fallait donc légitimer ce style, qui pèse quand même 40% des ventes du secteur."
Mais quid des fans ? Ce changement de statut ne va-t-il pas se faire au détriment des principaux intéressés ? "La migration de l’espace manga de la bulle New York vers l’Espace Franquin, puis enfin dans la bulle des éditeurs classiques du Champ de Mars, témoigne que cet espace a atteint une maturité", poursuit Erwan Le Verger. "Mais cela implique aussi certains choix, des gens se sentent automatiquement lésés. Le public des fans s’y retrouvent moins, mais c’est volontaire". Afin d’éviter les mauvaises surprises, la communication du Festival avait déjà averti de ce changement les fans de mangas sur son site Internet, il n’y a donc pas eu de lynchage au kaméhaméha.
Des éditeurs absents
Durant ces quatre jours, les fans des séries Naruto (Kana), Gantz (Tonkam) ou Tsubasa Reservoir Chronicles (Pika) ont fait les beaux jours de leur libraires préférés car il était impossible de croiser ces éditeurs sous les bulles : ils n’avaient tout simplement pas de stand. Était-ce de leur part une décision économique ou politique ?
Sébastien Agogué, attaché de presse de Tonkam : "C’est un peu des deux. Ce n’est pas la première année que nous ne venons pas. Se rendre à un festival a un coût, demande une organisation. La décision est pesée à chaque fois. Le seul rendez-vous récurrent est Japan Expo. Des fois nous faisons d’autres festivals – comme Angoulême – de temps à autres, nous testons parfois le Salon du Livre, pour voir si le public de ces festivals a suffisamment évolué vers le manga".
Patrick Abry, responsable de Xiao Pan (éditeur d’auteurs chinois comme Benjamin ou Ji Di), nous confirme la rentabilité de Japan Expo : "Économiquement, pour deux fois moins cher, je vends deux fois plus de bandes dessinées chinoises à Paris Manga ou à Japan Expo Marseille".
Si les éditeurs spécialisés ne viennent pas pour toucher un nouveau public, il est donc préférable de privilégier d’autres manifestations. Sébastien Agogué toujours : "Même si le public du Festival d’Angoulême est intéressé par le manga, il ne vient pas au FIBD pour acheter des livres sur place. Il ne s’agit pas d’un salon manga et, en l’absence d’auteurs sur notre stand, peut être que la mise en avant n’est pas suffisante pour justifier notre déplacement. Même si cela nous permet de mettre en avant des titres différents, de faire de la pédagogie par rapport à Japan Expo. On peut mettre en avant "L’Histoire des 3 Adolf" ou "Amer Béton" à Angoulême, toucher plus facilement les parents qui accompagnent leurs enfants. Ceux qui viennent à Japan Expo savent déjà ce qu’ils veulent".
Le public d’Angoulême est-il donc définitivement hermétique à la bande dessinée japonaise ? Erwan Le Verger pense qu’il ne demande qu’à être éduqué : "Les éditeurs ne savent pas traiter le manga en fonction du public franco-belge".
Dans ce cas, comment intéresser les férus de Spirou ? Un éclairage sur des auteurs étrangers ? Jusqu’à présent, le Manga Building était un peu “à part” par rapport au centre-ville piéton. Était-ce justement ce traitement de “seconde zone” qui freinait les éditeurs à inviter des auteurs étrangers ? Sébastien Agogué : "Nous aurions préféré pouvoir monter une expo sur le parvis de l’église si nous faisions venir un auteur, bien sûr (rires). Plus sérieusement, c’est vrai que l’Espace Franquin est moins accessible et donc a une portée moindre que d’autres espaces. Mais il y avait une volonté du Festival de créer un pôle manga avec d’autres activités pour que cela vaille le coup de s’y déplacer (conférences, projections). Est-ce que c’est suffisant ? On aurait toujours voulu plus, bien sûr. Mais ce n’est pas franchement cela qui nous freinait, plutôt le coût économique important pour faire venir un auteur japonais, ce qui induisait de s’y prendre très en avance pour avoir un partenariat pour financer la venue d’un dessinateur Japonais. C’est plus par manque d’opportunité que nous n’avons plus fait venir d’auteur depuis 2001".
Angoulême n’est pas Japan Expo
Erwan Le Verger nous explique que l’abandon du Manga Building pour un espace à l’intérieur des bulles participe à cette volonté de venir à la rencontre d’un public de profanes : "On ne peut pas demander aux gens d’être curieux ET de se déplacer". À la charge de l’organisation de se mettre à la portée des festivaliers : "Je ne veux pas faire Japan Expo, ils le font déjà très bien. Les deux festivals n’ont pas la même vocation, Japan Expo est destiné aux fans et se veut le plus exhaustif possible, tandis que le FIBD assume sa vocation de découverte" poursuit le coordinateur.
L’Underground exposé
À travers l’exposition "Manga Underground : points de vue de femmes", le coordinateur de l’espace manga a voulu "une exposition féministe. Riyoko Ikeda, à travers son manga « La rose de Versailles » (« Lady Oscar » en français, NDLR), a lancé le genre Shojo (manga pour les femmes), qui était un manifeste féministe. Le message est que les hommes et les femmes ont la même force de caractère, cela prône la réduction des différences. Par exemple, le travail d’Akino Kondō parle des menstruations avec sensibilité, et Junko Mizuno, en dessinant un homme au bout de la serpillère que passe le personnage féminin, est assez explicite aussi."
L’aspect brut de décoffrage de l’installation ne refroidit-il pas non plus un visiteur découvrant cet univers ? "J’ai travaillé sur la scénographie dans l’esprit de créer une expérience. À travers les gélatines et les lampes, j’ai privilégié un côté underground".
Mangasie a-t-il convaincu ?
Quelques détails ne nous ont pas échappés. Lorsque nous demandons des explications à Erwan Le Verger sur l’absence de macaron "pour public averti" à l’entrée de l’exposition "Manga underground : points de vue de femmes" en raison de la crudité de certaines planches de Kahori Onozucca (gros plans de têtons, un sexe en érection), il nous fait remarquer la présence du dit macaron derrière nous, mais nous avoue ensuite dans un sourire l’avoir ajouté le matin même pour ne pas choquer les officiels en visite l’après-midi. "Il y a aussi des images de Cixi nue dans l’exposition sur Troy, et personne ne va crier. J’ai quand même placé les planches les plus crues en hauteur, pour éviter que les plus jeunes ne tombent dessus, et croyez-moi, j’ai sélectionné les plus softs de l’auteur."
Continuons de chipoter, la cohérence de l’exposition pâtit du fait que certaines planches sont en français, d’autres en japonais, et en comparaison des précédentes expositions au Manga Building (les yokaïs de Shigeru Mizuki, Clamp, ou les fac simile d’originaux de Hiroshi Hirata et de la série Lady Snowblood), celle de cette année et ses reproductions de planches ne procurent pas la même claque. Et même si l’espace consacré aux bandes dessinées asiatiques (car on peut aussi y trouver des albums taïwanais, hong-kongais, et chinois) se retrouve parmi les éditeurs franco-belges, son entrée aux murs noirs n’invite pas forcément le visiteur à y tenter une incursion. Patrick Abry nous le confirme : "Cette année, cet espace Mangasie est mal fichu, tout le monde passe devant mais personne ne s’y arrête".
Il n’y avait pas que cela dans l’espace Mangasie, on pouvait aussi y voir des démonstrations de dessins, des conférences et des interviews. Mais il faudra certainement attendre le retour de certains poids lourds de l’édition du manga pour obtenir un lieu capable de titiller les amateurs de grooms ou de tuniques bleues...
(par Xavier Mouton-Dubosc)
(par Thomas Berthelon)
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La plupart des ces auteures sont publiées dans la revue "Ax", née des cendres de la revue "Garo" (1964-2002), et éditée en France par le Lézard Noir.
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