On l’a vu venir lors de la dernière conférence de presse annonçant le programme du 40e Festival d’Angoulême : alors que les années précédentes les présentations se faisaient avec force orchestre et flonflons, cette année-ci, la présentation était bien sobre, en raison d’une désaffection des sponsors (entre-temps Cultura a succédé à la FNAC), d’un ambiance économique morose, mais aussi d’un style de management de la part de l’entreprise Neuvième Art +, piloté par le triumvirat Franck Bondoux (délégué général), Benoit Mouchart (directeur artistique) et Marie-Noëlle Bas (responsable de la communication) qui fait de plus en plus l’unanimité contre lui.
Un exemple est encore donné aujourd’hui avec la modification drastique du mode d’élection du Grand Prix de la Ville d’Angoulême. Jusqu’ici, c’était une Académie des Grands Prix qui appelait un grand auteur, français ou étranger, à rejoindre ses rangs. Le Grand Prix de la Ville d’Angoulême était "coopté" par ses pairs, ce qui donnait une certaine classe au nouvel élu qui devenait automatiquement le Président et le représentant du Festival pour l’année suivante. Cela ne s’est pas fait forcément sans heurts. Ainsi, Morris claqua la porte lors de l’élection de Philippe Vuillemin en 1995.
Un nouveau mode de scrutin
Aujourd’hui, un mystérieux "comité électoral du Grand Prix d’Angoulême" propose une liste de "candidats" de 16 noms (voir illustration ci-contre) parmi lesquels figurent, fait nouveau, trois scénaristes (Alan Moore, Pierre Christin et Jean Van Hamme) et une forte présence internationale puisqu’on y trouve, outre Marjane Satrapi d’origine iranienne et Willem, d’origine néerlandaise, un Suisse : Cosey, trois Japonais (Jirô Taniguchi, Katsuhiro Otomo, Akira Toryiama), deux Anglais (Posy Simmonds, Alan Moore), un Américain (Chris Ware), deux Belges (Jean Van Hamme & Hermann) et un Italien (Lorenzo Mattotti). La France est représentée par Pierre Christin, Nicolas de Crécy, Manu Larcenet et Joann Sfar. On est d’ailleurs étonné de la présence de ce dernier, déjà récipiendaire d’un Grand Prix en 2004.
Pourquoi ces "candidats"-là (ont-ils posé leur candidature, si oui, sur quelle base ?), désignés par quel comité, sur quels critères ? On en ignore tout. Les conditions de l’élection n’ont pas été rendues publiques.
Les électeurs, en revanche, seront les auteurs. mais pas n’importe lesquels : ils doivent être accrédités par le Festival (ce qui laisse une marge discrétionnaire à celui-ci), être présents à Angoulême pendant le Festival et, à certaines heures d’ouverture, ils doivent venir munis de leurs papiers d’identité ou une œuvre autobiographique où il doit s’être suffisamment "bien dessiné" pour qu’on le reconnaisse... afin de pouvoir voter.
On sait que l’Académie n’était pas un modèle parfait, ses membres cooptant souvent l’élu dans le cercle de leurs connaissances, ce qui donnait d’année en année un "effet de génération", mais cela ne l’a pas empêché de faire des choix surprenants comme celui de Crumb en 1999, de Wolinski en 2005, de Trondheim en 2006, de Munoz en 2007, de Blutch en 2009, ou de Spiegelman en 2011.
Ces choix étaient peut-être contestables mais, sur la distance, ils avaient une certaine gueule. L’autre reproche qu’on pouvait lui faire -et cela venait parfois de membres de l’académie elle-même, comme Trondheim, c’est que la plupart de ses membres les plus âgés n’étaient plus au fait de la production récente. Il revenait peut-être aux membres plus jeunes de les aider à se remettre à la page...
On imagine que c’est surtout la volonté de contrôle, plusieurs fois exprimée par le puissant directeur artistique Benoit Mouchart, et le coût que constituait l’invitation obligatoire de tous les anciens Grands Prix pour constituer le quorum annuel de son élection, qui sont à l’origine de cette réforme.
Mais elle pose de nombreuses questions d’abord quant à son application, ensuite quant au destin de l’Académie dont les membres sont désormais devenus inutiles. Cette mesure sonne en tout cas comme un désaveu à leur encontre.
Ce "Grand Prix" est également annoncé à moins d’un mois du Festival, alors que la profession n’est pas informée (les auteurs "accrédités" ont-il été prévenus de leur qualité d’électeur ? Rien n’est moins sûr) mais, entre la mise en place des urnes et la gestion de l’élection (le règlement de l’élection ne figure nulle part de façon évidente et lisible), on imagine le souk.
Appel d’offre
Le caractère brutal et discrétionnaire de cette nouvelle mesure illustre bien la "méthode 9e Art+" dont les comportements sont de plus en plus sujets à caution. On connaissait la guéguerre permanente livrée par 9e Art+ à la Cité de la BD (et réciproquement) qui s’est conclue par un pacte de non-agression à défaut d’une entente.
On découvre en revanche dans Sud Ouest les relations exécrables entre Neuvième Art +, l’organisateur de l’événement, et son commanditaire, l’Association du Festival international de la Bande Dessinée. On sait que les deux parties ont signé un accord pour 10 ans qui court jusqu’en 2017, un accord conclu sans appel d’offre sur un délai qui a valu déjà une avalanche de critiques.
Signé dans la panique de la mise à pied de l’ancien directeur du Festival Jean-Marc Thévenet, cet accord contesté s’apprête à être dénoncé par le président de l’Association du Festival, Gérard Balinziala : "Nous dénoncerons le contrat avant cette échéance [2017], dit Balinziala, ce qui n’empêchera pas Neuvième Art + de poursuivre l’organisation du festival jusqu’au terme de l’accord. Il faut que nous le dénoncions d’ici juillet 2015. Sinon, il serait renouvelé par tacite reconduction. Dans la foulée, nous devrons mettre en place les bases d’une consultation."
En clair, le président de l’Association entérine le reproche concernant un contrat fait sans appel d’offres. Il précise même, désavouant en cela Frank Bondoux qui avait toujours prétendu que cet appel d’offre n’était pas nécessaire : " Je vous rappelle qu’à l’époque de la création de la SARL, nous avions quand même quelques soucis (procédure de licenciement de l’ancien directeur Jean-Marc Thévenet, NDLR). Les cofinanceurs publics n’avaient pas le même poids qu’aujourd’hui. Depuis, ils se sont organisés autour de conventions triennales. Et leur financement représente plus de 50 % du budget du festival. Un poids qui nous oblige à respecter le code des marchés publics."
Deuxième information donnée par cet entretien, ce sont les mauvaises relations entre Neuvième Art + et son commanditaire. Elles seraient "quasi inexistantes". "On se sent quantité négligeable" dit-il, soulignant le fait étonnant que l’Association n’a aucune influence sur l’organisation du Festival, "parce que Neuvième Art + ne le souhaite pas" : " Cette année par exemple, pour fêter les 50 ans de la BD algérienne aux ateliers Magelis, il a fallu faire le forcing, en dépit du fait que le maire d’Angoulême a fait le déplacement jusqu’à Alger, qu’il s’était engagé moralement vis-à-vis de nos amis algériens, que des liens se sont tissés avec eux. Il était du devoir d’Angoulême de les accueillir."
Si l’on comprend bien, la 40e édition du Festival est plutôt proche de l’explosion que du feu d’artifice.
(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))
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Festival d’Angoulême, du 31 janvier au 3 février 2013
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