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Angoulême 2015 - Fabien Nury 2/2 : « Non, le scénariste n’écrit pas ses bulles après que le dessinateur a fini sa planche... »

Par Charles-Louis Detournay le 29 janvier 2015                      Lien  
L'exposition consacrée au scénariste multi-primé permet non seulement de dévoiler les coulisses de son travail, mais aussi de saisir le dialogue qu'il entretient avec ses dessinateurs... De quoi réserver d'intéressantes surprises !

Il est assez rare qu’un scénariste fasse l’objet d’une exposition. En quarante-deux éditions du FIBD, vous êtes le cinquième après Goscinny, Charlier, Greg et Lob. Trouvez-vous que le monde de la bande dessinée gagnerait à porter un regard plus attentif sur les univers développés par les scénaristes ?

Angoulême 2015 - Fabien Nury 2/2 : « Non, le scénariste n'écrit pas ses bulles après que le dessinateur a fini sa planche... »Disons que, si cette exposition peut permettre à certaines personnes de réaliser que « non, le scénariste n’écrit pas ses bulles après que le dessinateur a fini sa planche », c’est déjà bien. Ce serait pourtant un beau métier de fainéant, « bulliste »…

Si certains grands scénaristes sont principalement associés à un genre de récit (le fantastique, l’humour, l’action, etc.), comment caractérisez-vous votre univers ?

Polar et Aventure, je crois. Quant à la dualité des personnages, elle m’apparaît comme une évidence, dans les deux genres que je viens de citer. Il y a une phrase d’Ellroy, à la fin du Grand Nulle Part, qui définit bien ce type de récit dont je rêve : « Des hommes dangereux, partis pour des terres inconnues »


Quelles sont les conséquences de cette reconnaissance : cette expo et les prix reçus, notamment le Prix Jacques Lob ? Plus de facilités pour placer un projet ?

Les avantages : je gagne bien ma vie, mes projets trouvent preneur et intéressent des dessinateurs talentueux. Les inconvénients : on me propose souvent de refaire ce que j’ai fait et qui a marché. J’essaye de me renouveler, de ne pas prolonger inutilement les séries qui ont eu du succès, de trouver le temps de me documenter sur de nouveaux univers, tout en faisant vivre les deux « héros » que j’estime naturellement récurrents : Silas Corey et Tyler Cross. Un détective et un gangster, encore le roman noir qui me rattrape…

À quels éléments êtes-vous attentif pour trouver le graphisme qui conviendra le mieux au ton d’un récit ? Car si on liste les dessinateurs avec qui vous avez collaborés (Alary, Vallée, Brunö, Guérineau, Merwan, Rossi, Bedouel, Henninot et bien d’autres), le moins que l’on puisse dire, c’est qu’ils disposent tous d’un style assez caractéristique !

Je ne suis pas du tout un technicien du dessin. En général, je fais confiance à mon ressenti, lors de la lecture des albums précédents de mes camarades. Et puis souvent, les personnalités ressortent dès les premières discussions, et on voit si on va bien s’entendre. En fait, je parle très peu dessin, avec les dessinateurs. Nos échanges tournent surtout autour de la narration, du découpage. Ou très en amont, du récit.

Les références de Fabien Nury

On dit souvent que les dialogues de bande dessinée sont caractéristiques du médium. Préférez-vous alterner des cases muettes et des cases d’échanges afin de jouer avec le rythme du récit ? Ou faut-il que chaque case apporte son lot d’informations écrites ?

Je n’ai aucune règle prédéfinie. Cela dépend du style du dessinateur, et du sujet. Avec Sylvain Vallée, nous avons beaucoup travaillé sur les silences, les temps morts et les cases de réaction, dans les deux derniers tomes de Il était une fois en France. Mais le prochain projet n’aura rien à voir ! Même si le talent de Sylvain pour faire vivre ses personnages reste identique, c’est le sujet qui va guider le style narratif.

En plus de vos propres récits, vous adaptez également des romans comme ceux d’Eugène Sue & Jack London. Que vous procure cet exercice par rapport à l’écriture ?

En général, j’adapte un bouquin que j’ai pris beaucoup de plaisir à lire, qui n’est pas très connu, et dont je ressens d’instinct comment je pourrais l’adapter. À tort ou à raison, mais toujours de façon instinctive. Atar Gull et Fils du Soleil ne sont pas les livres les plus connus de Sue ou London, loin de là, mais je me suis simplement dit en les lisant : « Ça ferait un pur album, en coupant ceci ou cela… » C’est aussi le cas de Comment faire fortune en Juin 40, un gros one-shot qu’on a co-écrit avec Xavier Dorison et que Laurent Astier dessine pour une sortie à l’automne. C’est adapté de Sous l’aile noire des rapaces, de Pierre Siniac. On ne peut pas dire que ce soit un best-seller à la mode ! Simplement, l’idée d’un gros album d’aventure à la française, avec un vernis sixties type « Ventura-Belmondo-Verneuil », nous faisait totalement tripper ! D’où une libre adaptation, nettement moins fidèle que sur Atar Gull.

Comment voyez-vous l’évolution de la bande dessinée dans les prochaines années ? Et plus précisément le type de format qui sera favorisé par le public et les lecteurs ? Le one-shot et les diptyques semblent se généraliser, mais cela pourrait empêcher l’éclosion d’autres projets ! Je pense entre autre à votre série de six tomes qui a connu un très grand succès public : Il était une fois en France !

Alors là, franchement, je n’en sais rien. Après Il était une fois en France, j’avais envie de projets plus compacts et plus courts, comme des petits romans noirs à l’ancienne, pour changer de la saga, du roman-fleuve… Mais mon goût pour les sagas revient, petit à petit, alors j’espère qu’elles ne vont pas disparaître du marché ! Sérieusement, je ne lis pas l’avenir dans mon café, et à chaque fois que j’entends une brillante analyse du futur de l’édition, je me dis que je n’ai surtout pas envie de bosser avec celui qui me l’inflige, son analyse ! Si quelqu’un savait vraiment « ce qui marche » il ferait TOUT LE TEMPS « ce qui marche »… Je ne connais personne dont ce soit le cas.

Outre Silas Corey qui vient de sortir, sur quoi travaillez-vous actuellement et quels seraient vos désirs en terme d’écriture ou de collaboration ?

En ce moment, je m’éclate avec Brüno sur la fin du deuxième Tyler Cross, au pénitencier d’Angola, Louisiane. Très joyeux, très gentil, comme univers ! Et on termine aussi le second Mort au Tsar avec Thierry Robin, c’est chouette, on a l’impression de conclure tout un cycle « folie russe » entamé avec La Mort de Staline

Avec Pierre Alary, on boucle le deuxième cycle de Silas Corey pour janvier prochain : le Munich chaotique de la fin 1918, entre communisme et sursaut réactionnaire, encore un monde rempli de bonheur.

Et puis en 2016, on sortira le premier Katanga avec Sylvain Vallée. Une riante histoire de mercenaires dans l’ex-Congo belge, en 1960. Mais ce n’est pas ma faute ! Si on a appelé ces gens-là les « Affreux », c’est bien que quelque part, ils avaient mérité leur surnom…

(par Charles-Louis Detournay)

Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.

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Code EAN :

Festival International de la Bande Dessinée d’Angoulême 2015.

Exposition à l’Espace Franquin, Rez de chaussée

Image en médaillon réalisée par Brunö.

Lire la première partie de cette interview.

 
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