5 janvier. Un post furibard de Jessica Abel pointe la liste des préposés au Grand Prix d’Angoulême, une liste concoctée par la direction du Festival d’Angoulême, et constate qu’aucune femme ne figure dans la liste. Elle en appelle au boycott, s’appuyant sur les différentes instances réunissant les créatrices de bande dessinée. Riad Sattouf, le premier, demande à être retiré de la liste, suggérant élégamment qu’il soit remplacé par une créatrice de BD. il en propose même quelques-unes et reçoit, à ce titre, des tombereaux de louanges sur les réseaux sociaux.
Il est immédiatement suivi par neuf autre grands noms de la BD figurant dans la liste : Chris Ware, Joann Sfar, Daniel Clowes, Étienne Davodeau, Pierre Christin, Milo Manara, François Bourgeon et Christophe Blain. 10 noms sur 30. "Je soutiens le boycott contre Angoulême et je retire mon nom de ce qui désormais ne peut plus être considéré comme un honneur. Quelle débandade honteuse et ridicule" résume Daniel Clowes dans un communiqué.
L’indignation saisit les médias : Le Monde, Libération, jusqu’à BBC se font écho de cet incroyable couac à quelques semaines du festival. Personne ne remarque que dans cette liste figure encore Alan Moore qui, sur ActuaBD.com l’année dernière avait clairement signifié qu’il ne l’accepterait pas, ce prix : "J’ai décidé de ne plus accepter de prix, il ne faut pas m’en vouloir. Je préfère que ce soit donné à des gens moins conventionnels. Je ne me rends plus dans des festivals, je n’accepte plus aucune récompense. Je conçois et j’apprécie les sentiments de tous ces gens qui me choisissent, mais je ne veux assumer que ce que j’ai décidé moi-même d’entreprendre, pas ce que les autres veulent de moi.." Drôle de façon de faire.
Femmes à barbe et chienne de garde
Personne non plus ne remarque que celle qui doit être la plus embarrassée dans cette affaire est la propre directrice de la communication du Festival international de la bande dessinée d’Angoulême, Marie-Noëlle Bas, qui a défendu en son temps, en tant que présidente de l’association féministe Chiennes de garde, la cause même à propos de laquelle le festival est montré du doigt ici.
On a oublié aussi que ce n’est pas la première fois que le FIBD est épinglé par les féministes. Déjà en 2013, elles avaient fait irruption à la cérémonie des prix pour protester en tant que "femmes à barbe" à propos du manque de visibilité faite aux femmes dans la bande dessinée..
Cela Franck Bondoux, le patron de 9e Art +, organisateur du FIBD, s’est abstenu de le rappeler d’autant que sa défense s’entortille dans la maladresse. Ainsi déclare-t-il au Monde : "Il y a malheureusement peu de femmes dans l’histoire de la bande dessinée. C’est une réalité. Si vous allez au Louvre, vous trouverez également assez peu d’artistes féminines." Et d’expliquer, sur Canal +, avec une muflerie ingénue, que les deux femmes qui figuraient sur la liste l’année dernière avaient été retirées parce que peu de suffrages s’étaient arrêtés sur elles. Le FIBD rappelle dans un communiqué (voir ci-dessous) que le Festival "aime les femmes" puisqu’il y en a dix qui figurent dans la sélection officielle. Sur plus de 40 albums nommés...
"La polémique sur le grand prix d’Angoulême ne cesse d’enfler, écrit Benoit Peeters sur sa page Facebook. Les organisateurs se grandiraient en reconnaissant une erreur et en reprenant la procédure de vote à zéro."
Et un jour une femme... (air connu)
C’est ce que le Festival va finir par faire en ajoutant à sa liste la pétulante Linda Barry, pionnière de la scène Underground américaine, Julie Doucet, l’une des figures de la nouvelle BD francophone, notamment publiée à L’Association, Moto Hagio l’une des fondatrices du genre Shojo Manga (Mangas pour filles), Chantal Montellier, combattante de la cause féminine et fondatrice du Prix Artemisia, l’incontournable Marjane Satrapi et l’élégante Posy Simmonds dont la carrière est suffisamment longue et exemplaire pour justifier sa présence.
Reste à sa voir si les dix auteurs qui ont demandé d’être retirés de la liste veulent y être maintenus. A-t-on demandé leur assentiment, comme à Alan Moore ?
La mesure appelle en tout cas à l’apaisement. Immédiatement, Jean-Luc Fromental prend acte : "Merci de votre réactivité, amis du grand prix, et plus Fuck You, du coup… (malgré des explications un peu, comment dire… ?) Et pour répondre à la judicieuse remarque de Pénélope Bagieu, oui, cette année ça risque de faire un peu plan B, mais pensez à la prochaine et à toutes les suivantes, quand ce sera devenu une évidence."
Décidément, cette année encore, le Festival d’Angoulême est celui des polémiques et de couacs. Avec une femme à sa tête, il mourrait peut-être moins bête, pour emprunter une formule à une créatrice de BD.... Mais cela, cela ne risque pas d’arriver dans les dix prochaines années apparemment... Les moqueries fusent sur les réseaux sociaux.
(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))
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