Nous sommes en janvier 2014, à la "Soirée d’avant" qui précède l’inauguration du Festival International de la BD (FIBD) d’Angoulême. Moment un peu spécial : Gilles Ciment, le directeur de la Cité, s’était alors fait porter pâle -un "burn out"- et c’est son président, le sénateur Michel Boutant, qui se retrouvait seul sur le pont, alors que la "guerre" entre la Cité et le Festival était encore dans sa phase paroxystique. Et ce soir, il est furax notre sénateur ! ActuaBD.com venait de publier une longue lettre ouverte au ministre de la culture de l’époque, Aurélie Filippetti et le moins que l’on puisse dire, c’est qu’il ne l’avait pas appréciée.
"Il faut savoir terminer une guerre !" m’asséna-t-il en paraphrasant Maurice Thorez, moquant au passage cette Lettre ouverte qui aurait mieux intéressé, selon lui, la ministre de la santé que celle de la culture... Venant d’un membre de la commission de la défense au Sénat, ce sage argument avait valeur d’autorité. Mais je compris très vite que ce qu’il n’avait pas aimé dans la Lettre, c’était le mot "girouette" accolé à son nom. Il fit pourtant joliment la démonstration de sa volte-face dans la défense de son institution en licenciant, sans beaucoup d’élégance il faut bien le dire, Gilles Ciment, son directeur, qui en était le plus ardent défenseur. Depuis, cet équipement qui a coûté bonbon à la localité et à la République est toujours sans directeur, ni même conservateur...
Rappelons quand même que l’enjeu, défendu par Gilles Ciment, était de préserver un établissement public, dépendant des Musées de France, d’un Festival qui, appartenant à une association qui en délégua la gestion à une entreprise d’organisations d’événements, 9eArt+, dirigée par Franck Bondoux, voulait en disposer de façon complètement privée.
Que Gilles Ciment ait manqué de "sens politique", ce synonyme de l’hypocrisie, et que son départ soit un facteur d’apaisement du dossier, c’est une évidence. La politique a ses raisons... Mais que les problèmes soient résolus, c’est loin d’être le cas, et la dernière Assemblée Générale de l’Association du FIBD en fait une fois encore l’illustration.
Un nouveau contrat
Le Conseil d’Administration du FIBD avait convoqué en Assemblée Générale Ordinaire samedi dernier la majorité de ses membres (ils sont environ 70, un quorum de 55 étant présents ou représentés) pour lui soumettre un projet de "Partenariat entre l’Association du FIBD et 9eArt+ pour assurer l’avenir du Festival international de la bande dessinée". En clair, son président Patrick Ausou -qui ne cache pas soutenir le projet à fond les manettes- demandait à l’Association du FIBD de souscrire à lui donner mandat pour négocier et conclure un nouvel accord avec 9eArt+, de quatre ans au lieu de dix ans cette fois, qui consisterait non seulement à prolonger sa mainmise sur la manifestation mais encore à lui donner le contrôle, sans contrepartie claire, à 50% des marques lui appartenant.
À cela s’ajoute la volonté de 9eArt+ de structurer autour du de l’Association du FIBD -et non autour de sa propre activité- une équipe de bénévoles qui occuperaient des fonctions supplétives que 9eArt+ n’aurait plus à assumer. Une manœuvre dangereuse : rappelons qu’il y a quelques années, JapanExpo avait été lourdement redressé par l’URSAFF sur ce genre de procédé.
Dans ce projet, l’apport financier que 9eArt+ à l’Association du FIBD n’est pas évoqué. Il reste curieusement à la portion congrue. Or la faiblesse de l’Association vient surtout de son manque de financement, tandis que ’argent s’en va ailleurs. Avec un volume suffisant de trésorerie, elle pourrait engager ses propres conseillers financiers, juridiques et managériaux pour organiser au mieux la défense de ses intérêts et des fonds publics qu’elle reçoit. Il y a, dans la présentation de ce projet, une confusion nette entre les intérêts de l’Association et ceux de 9eArt+, son prestataire.
Les politiques angoumoisins l’ont bien compris si l’on en croit La Charente Libre : "Malgré nos appels, l’association n’a pas bougé depuis un an et donne l’impression d’une coquille vide. Soit elle se bouge maintenant, soit c’est sa mort", prévient Xavier Bonnefont, en évoquant la création, par exemple, d’un établissement public qui regrouperait la Cité et le festival, idée également défendue par Michel Boutant, président de la Cité et du Département." [1]
Toujours pas d’appel d’offre ?
Nulle part non plus, dans ce projet, n’apparaît d’appel d’offre, global ou partiel. Outre l’aspect discutable de cette disposition discrétionnaire de l’argent public et de celui des éditeurs et des festivaliers qui, eux aussi, aimeraient que les choses s’améliorent, elle présente 9eArt+ comme la source unique de solutions à tous les problèmes : artistiques, financiers, managériaux.
Or les compétences ne manquent pas, y compris dans la région angoumoisine. Nous suggérions, dans la lettre qui provoqua le courroux du sénateur, de rogner quelque peu les ailes à l’arrogance de Franck Bondoux en confiant certaines fonctions à ceux qui savent faire, par exemple en confiant à la Cité la possibilité de rentabiliser ses infrastructures sur la partie artistique du Festival. Or, c’est le contraire qui se passe : c’est 9eArt+ qui utilise, sans les payer, les structures de la Cité en s’arrogeant la possibilité de vendre les expositions produites et aussi de capter à son seul profit les sponsors.
Bref, nous allons, si l’Assemblée Générale de l’Association du FIBD lui en donne la possibilité, vers une annexion pure et simple de celle-ci par 9eArt+. Est-ce là ce que veulent les différents interlocuteurs et partenaires du Festival, les festivaliers ? Ils devraient se poser la question.
L’Assemblée Générale a vu venir la manœuvre, et si elle a donné mandat à son Conseil d’Administration de continuer à discuter avec 9eArt+, il semble qu’elle s’est réservée le soin de réfléchir jusque fin mai à ce projet dont on nous a exposé jusqu’ici la philosophie, pas le contrat final sur lequel des juristes pourraient se pencher avec intérêt.
Mais auparavant -on ne comprend pas pourquoi ce n’est pas encore fait- il faudrait dénoncer le contrat en cours avec 9eArt+ : " Fort de la "majorité nette" obtenue samedi, le président espère faire adopter la convention en assemblée générale "avant fin mai", écrit encore La Charente Libre La date n’est pas anodine. L’actuel contrat avec Franck Bondoux court jusqu’en 2017, mais l’association doit le dénoncer dès juin 2015 si elle veut éviter une reconduction tacite pour dix ans."
On convient qu’il s’agit là d’une solution simple pour "terminer une guerre" ? Voilà qui, avant les élections départementales de dimanche, donnera matière à réflexion aux uns et aux autres...
(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))
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[1] Festival BD d’Angoulême : "On joue notre crédibilité" par Thierry Cordeboeuf, Charente Libre du 16 mars 2015.
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