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Angoulême : l’état doit agir, et vite !

Par Didier Pasamonik (L’Agence BD) le 24 mars 2016                      Lien  
Voici quelques jours, les éditeurs de bande dessinée français tiraient la sonnette d'alarme et demandaient au Ministre de la culture de nommer un médiateur pour dépatouiller la bande dessinée, et en particulier le FIBD, du marigot politique angoumoisin. il y a urgence : le maire envisage de retirer son soutien à l'École européenne supérieure de l'image d'Angoulême.

"Il faut prendre de la hauteur, disait Guy Delcourt. Si on entre dans les considérations locales, on ne s’en sortira plus." Paroles de bon sens, car ce qui s’est passé à Angoulême lundi soir est non seulement annonciateur de bouleversements locaux importants, mais aussi d’une orientation politique qui va détricoter le travail fait autour de la bande dessinée à Angoulême depuis plus de quarante ans.

Qu’est-ce qui prédestinait Angoulême à devenir une capitale de la bande dessinée ? Rien. Pas de grand auteur, pas de grand éditeur, niente. Juste une bande de collectionneurs qui avaient envie de rencontrer leurs auteurs favoris le temps d’un week-end. Angoulême a joué de chance : la bande dessinée, en ce temps-là, cherchait sa légitimation. Dix ans auparavant, à Bordighera en Italie, des intellectuels s’étaient réunis pour bâtir le corpus fondateur de ce qui allait s’appeler plus tard "le 9e art".

Le goût d’un groupe d’auteurs belges pour le cognac, la bonhommie et la convivialité de l’accueil firent le reste. Puis vinrent les enjeux politiques : le Musée d’Angoulême commença à constituer une collection de planches à laquelle contribua Hergé lui-même lors de sa visite dans la cité charentaise. Jack Lang y vit l’occasion de la création d’un grand musée de la bande dessinée et de l’image qui s’inscrirait dans le programme des grands travaux présidentiels.

Un maire centriste, ancien ministre de l’industrie, et une enseigne de la grande distribution sauvèrent le festival d’une faillite annoncée. Un maire socialiste avait accumulé les frasques dispendieuses. Conjointement, une mission ministérielle fut mise en place établissant le principe d’un cadre institutionnel avec sa figure de proue, la Cité de la BD, qui devait favoriser la création d’une grande "Vallée des images", un tissu d’entreprises susceptibles d’offrir renouveau économique et emplois. Un dispositif en principe vertueux : des écoles de l’image formeraient des talents nouveaux : auteurs de BD, réalisateurs de dessins animés et de jeux vidéo , techniciens dont auraient besoin les industries de l’image venues s’implanter à Angoulême attirés par des avantages sociaux et fiscaux sur mesure.

Angoulême : l'état doit agir, et vite !
Zarafa un film de Rémi Bezançon et Jean-Christophe Lie, une des réussites de l’animation française produite par Prima Linea à Angoulême.
© 2011 Prima Linea Productions, Pathé Production, France 3 Cinéma, Chaocorp, Scope Pictures

Et le moins que l’on puisse dire, c’est que cela a marché : le Musée d’Angoulême est un modèle de qualité patrimoniale, servant de point d’appui à un Festival International de la Bande Dessinée mondialement reconnu, tandis que, des Triplettes de Belleville à Kirikou, Angoulême était devenue l’un des creusets de la "French Touch", "la Silicon Valley" de l’animation.

Une situation délétère

Mais, las, depuis dix ans, la situation est devenue critique : à cause d’un FIBD qui, d’année en année, accumule les reproches au point que les éditeurs de BD hexagonaux envisagent de le boycotter, mais aussi en raison de la médiocrité des politiques et des acteurs locaux.

On a connu la guerre picrocholine que se menaient Gilles Ciment, le directeur de la Cité et Franck Bondoux, celui du FIBD et de 9eArt+. Mais derrière, il y avait aussi celle des élus locaux. Hier les Socialistes Lavaud et Boutant, aujourd’hui le maire LR Xavier Bonnefont et son premier adjoint à la culture centriste Samuel Cazenave. Leur rivalité a pris un tour fâcheux ces derniers jours, le maire Xavier Bonnefont déshabillant son premier adjoint de toutes ses prérogatives probablement négociées entre les deux tours avant la fusion de leurs listes. Parmi celles-ci, la présidence de la Cité de la Bande dessinée et celle de l’EESI, l’École européenne supérieure de l’image d’Angoulême.

L’École Européenne Supérieure de l’Image (ÉESI) d’Angoulême
Photo : DR - Ville d’Angoulême

Lors du conseil municipal de lundi, le maire a déclaré que « La Ville entreprend des démarches juridiques dans le but d’un retrait formel de sa participation à l’Ecole européenne supérieure de l’image (Eesi) et ce pour le 31 décembre 2016  » (La Charente Libre, 21/3/2016), soit une coupe sombre de 850.000€ sur un budget de près de 4 millions.

Une décision politique

La ville d’Angoulême dans le cadre d’un EPCC contribue à hauteur de 20% de l’EESI, comme la ville de Poitiers, siège de l’autre site de l’école. L’État contribue pour sa part à 40 % à cette enveloppe (ce qui est une grosse proportion pour une école de ce type), et la Région finance le reste. Le Conseil d’administration comprend toutes ces tutelles. Cette somme est plutôt en-dessous des contributions des villes de même taille à leur école d’art (du moins celles qui participent à l’enseignement supérieur, Bac +3, +5, voire plus comme l’EESI qui va bientôt avoir un doctorat en bande dessinée.)

À priori, selon les règlements des EPCC, une partie ne peut se désengager sans l’accord de ses partenaires. Mais Bonnefont n’a pas l’air de s’en soucier, et cela semble irréversible (s’il n’inscrit pas la contribution dans le budget municipal, il met ses partenaires devant le fait accompli). Cette manœuvre est toute politique : le maire se désintéresse de l’EESI (et de la culture, semble-t-il), alors que son premier adjoint, son rival lors des municipales, en a été élu président voici bientôt deux ans (en tant que représentant de la ville, suite à la présidence précédente assurée en alternance par une élue de Poitiers).

Ce faisant, le premier magistrat de la ville détricote le dispositif mis en place voici près de vingt ans par ses prédécesseurs. Il prend le risque que les industries locales n’aient plus sous la main de talents fraîchement sortis des écoles, et que, dès lors, elles doivent aller les trouver ailleurs. Le grand rêve de "capitale de la bande dessinée et de l’image" prendrait alors fin.

Car tout irait à l’avenant : la Cité de la BD et le FIBD s’en trouveraient durablement affaiblis, et la BD perdrait à Angoulême sa superbe d’antan. Guy Delcourt a raison : l’état doit intervenir. Ces enjeux sont trop importants pour être laissés dans les mains des seuls municipalistes.

(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))

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En médaillon : Xavier Bonnefont, maire d’Angoulême. Photo : D. Pasamonik (L’Agence BD)

 
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19 Messages :
  • "Cette somme est plutôt en-dessous des contributions des villes de même taille à leur école d’art (du moins celles qui participent à l’enseignement supérieur, Bac +3, +5, voire plus comme l’EESI qui va bientôt avoir un doctorat en bande dessinée.)"

    Demandez à ceux qui sont passés par cette école ce qu’ils en ont pensé. On n’y apprend rien, absolument rien.Le seul intérêt de l’EESI est de regrouper au même endroit de jeunes passionnés. Un budget aussi important pour payer le loyer et l’entretien d’un atelier, c’est ruineux pour une ville de la taille d’Angoulême.
    On n’apprend pas à devenir auteur dans une école.

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    • Répondu par Jean-Paul Jennequin le 24 mars 2016 à  14:31 :

      Et vous, qui êtes-vous pour dire que l’on n’apprend rien dans cette école ? En êtes-vous ancien élève ? Si c’est le cas, votre avis ne regarde que vous. Comment pouvez-vous prétendre parler à la place de tous ceux qui ont étudié dans cette école (dont on trouve la liste ici : https://fr.wikipedia.org/wiki/École_européenne_supérieure_de_l%27image) ?

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      • Répondu le 24 mars 2016 à  16:21 :

        Oui, j’ai vraiment perdu mon temps dans cette école et je n’ai pas été le seul. Loin de là. Je me suis renseigné, figurez-vous ! Après, libre à l’EESI e faire une liste sur Wikipédia pour se faire mousser.

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        • Répondu par Jean-Paul Jennequin le 24 mars 2016 à  18:17 :

          Bon, voilà, ça commence à sortir : vous êtes un ancien élève de cette école et vous estimez y avoir perdu votre temps. D’accord. Mais vous ne dites pas le reste, c’est-à-dire si vous êtes actuellement auteur de BD et si oui, comment vous avez appris à devenir auteur (puisque ce n’était pas à l’école de BD d’Angoulême).

          D’autre part, la liste des anciens élèves de l’école sur Wikipédia... Alors bon, sachez d’abord qu’il n’est pas d’usage de rédiger sa propre notice Wikipédia. D’autre part, quand on va sur la page Wikipédia d’une école, il me semble normal d’y trouver une liste d’anciens élèves devenus célèbres. J’ai fait un petit test avec l’ENA, l’ESSEC, HEC et Normale Sup : toutes ces notices incluent ce genre de liste. Dans le cas de celle de l’EESI, la liste prouve juste que d’anciens élèves de l’école sont devenus auteurs de BD. Sans y avoir rien appris, selon vous, mais avez-vous été leur demander ?

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          • Répondu le 25 mars 2016 à  10:50 :

            Je n’ai pas appris, je le suis depuis l’enfance. C’est un rapport au monde. Un filtre pour pouvoir se connecter aux autres. Ce qui vous révèle à vous même que vous l’êtes, c’est le bon éditeur, pas l’école.

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            • Répondu par Jean-Paul Jennequin le 26 mars 2016 à  12:43 :

              Encore une fois, vous généralisez à partir de votre propre expérience. Si, pour être l’auteur que l’on est déjà par son "rapport au monde", on a besoin du révélateur qu’est "le bon éditeur", qu’en est-il de tous ceux qui ont commencé par s’auto-éditer ou publier leurs BD en ligne ? Ne deviennent-ils auteurs que lorsqu’un éditeur s’intéresse à leur travail ? Et si c’est le cas, qu’étaient-ils avant ?

              Pourquoi l’éditeur (pardon : le "bon" éditeur) serait-il le seul moyen qu’aurait l’auteur de prendre conscience de son état d’auteur ? Il me semble que cela dépend de chaque personne. Pour certains, le fait d’être édité est la confirmation que l’on est vraiment l’auteur que l’on sent être. Pour d’autres, cette confirmation viendra par le passage par une école, par l’auto-édition, par la publication en ligne.

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              • Répondu par Mister XY, jeune homme ambitieux ! le 27 mars 2016 à  00:01 :

                Il ya d’excellents auteurs qui n’ont jamais fréquenté les écoles de BD, d’autres qui y ont appris le métier, d’autres qui malgré des années passées n’ont pas réussi à percer professionnellement. Pas de généralité, donc !

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              • Répondu le 28 mars 2016 à  18:10 :

                Tout dépend de ce que vous appelez auteur. Faut pas généraliser…

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    • Répondu par Nathalie Ferlut le 24 mars 2016 à  16:36 :

      "On n’apprend pas à être auteur dans une école" Vous vous trompez lourdement. On n’apprend pas tout, c’est certain, mais on y trouve des bases nécessaires, l’état d’esprit, la relative tranquillité d’esprit de l’étudiant -qui n’est pas encore soumis à des contraintes professionnelles et peut développer son goût et ses envies artistiques dans une relative liberté. on y prend des conseils, on s’oblige à travailler selon des contraintes plus que nécessaires pour mûrir, on s’ouvre à d’autres formes d’art et d’expression... Bref, on s’enrichit d’un bagage qui sera encore fort utile dix, vingt, trente années plus tard. Et puis, le plus important, on y rencontre toute une génération de copains, parfois futurs collaborateurs, avec lesquels on échange, on apprend, on crée, on collabore... Je suis assez au courant, j’en ai fait partie, de cette école, moi et plusieurs centaines d’autres.

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      • Répondu le 24 mars 2016 à  18:48 :

        Une usine de chômeurs !
        Commencez donc par définir ce qu’est un auteur…

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  • "Il faut prendre de la hauteur, disait Guy Delcourt. Si on entre dans les considérations locales, on ne s’en sortira plus."

    Parole de bon sens si on veut vexer un maire.

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  • Angoulême : l’état doit agir, et vite !
    24 mars 2016 15:56, par Zot

    Vous, ne croyez pas que l’Etat a d’autres chats à fouetter en ce moment ? Pour ma part, je prefere que tout euro dépensé en subventions culturelles soit versé à la sécurité contre le terrorisme islamiste !!

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    • Répondu par Matthieu V le 24 mars 2016 à  17:00 :

      Mais si nous négligeons la culture, qu’est-ce que nous défendons ?

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    • Répondu le 24 mars 2016 à  17:03 :

      Bravo ! Daech nous montre la voie ! Renonçons à la culture, choisissons la peur et l’amalgame.

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    • Répondu le 24 mars 2016 à  18:45 :

      Plus de sécurité, moins de Culture ! Plus de bombes sur Palmyre ! Et comme aurait pu dire Churchill : pourquoi nous battons-nous, alors ?

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      • Répondu par joel le 25 mars 2016 à  07:47 :

        de toute façon les éditeurs c’est comme le gouvernement, se sont des pantins, ceux qui décident sont les actionnaires.

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        • Répondu le 25 mars 2016 à  10:51 :

          Sauf si la maison d’édition n’a pas d’actionnaires.

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          • Répondu par Mister XY, jeune homme ambitieux ! le 26 mars 2016 à  23:58 :

            Pas d’actionnaires ? D’accord si c’est une association, même si elle a démarré son activité avec des apports des fondateurs. Maintenant s’il s’agit d’une société (SARL ou SA ou autres), il faut faire attention. Ce n’est pas parce que Delcourt, Gallimard ou Dupuis ne sont pas cotés en Bourse qu’il n’y a pas d’actions. Les actionnaires apprécient le dividende, le rendement, c’est la seule rémunération qu’ils percoivent. Car sinon à quoi bon financer une activité qui ne rapporte rien, surtout lorsqu’il faut procéder à des augmentations de capital en cas de pertes ?

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            • Répondu le 28 mars 2016 à  18:08 :

              Vous avez une vision du capitalisme assez sommaire, non ?

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