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Apprenez la BD, tas de nuls !

Par Didier Pasamonik (L’Agence BD) le 23 avril 2011                      Lien  
La fameuse collection « pour les Nuls » a jeté son dévolu sur un nouveau sujet : La bande dessinée. Pourquoi pas ? N’importe qui peut faire de la BD et, d’ailleurs, si on y regarde bien, n’importe qui en fait. Le problème, c’est que le titre de cet ouvrage et sa présentation : « Créer une BD pour les Nuls », lu littéralement, donne une tout autre résonance… C’est ballot ! Et ce n'est d'ailleurs pas tout...

En 1969, Philippe Vandooren, futur éditeur en chef chez Dupuis, interrogea Jijé et Franquin autour de leur métier. Comment devient-on créateur de bande dessinée ? (Marabout université) devint le bréviaire d’une génération : « Comment ça se passe avec un éditeur, comment on met en couleurs, combien on est payé, quelles sont les techniques, est-ce qu’il est possible de gagner sa vie avec ça, quels sont les meilleurs formats, le papier, la plume ou le pinceau ? », telles étaient les questions posées, résumait Patrick Albray sur ActuaBD à l’occasion d’une réédition de cet ouvrage aux éditions Niffle en 2004 . « Un petit bijou », poursuivait-il. Dans lequel on pouvait lire ce jugement sans concession de Jijé à propos des écoles de dessin : « Ah, c’est une anomalie, l’école ! L’atelier, ça c’est quelque chose ! Dans les écoles, le plus souvent, on a affaire à des professeurs médiocres qui sont parfois en poste depuis trente ans et qui barbotent dans de vieilles ornières. Les élèves perdent leur temps, évidemment ! Et ce qui est terrible, c’est qu’ils ne le savent pas. »

Un « companion book » pour l’aspirant créateur de BD

Ne jetons pas le bébé avec l’eau du bain : rien n’est plus louable qu’un ouvrage qui donne des conseils à l’aspirant créateur de BD et celui-ci y réussit plutôt honnêtement. Son auteur, Gérald Gorridge, est lui-même dessinateur de bande dessinée et professeur à l’École supérieure de l’image à Angoulême. Il a pour lui aussi d’être un autodidacte qui aujourd’hui enseigne la BD, ce qui donne une certaine authenticité à un ouvrage qui invite le lecteur à se former lui-même.

Il accompagne pas à pas l’aspirant créateur dans son processus de création : élaboration du scénario, constitution de la documentation, matériel, enfin réalisation : mise en scène, dessin, lettrage, mise en couleurs… Et puis la démarche ultime : la présentation de sa BD aux éditeurs, le suivi de son impression, sa diffusion sans oublier la négociation du contrat.

Apprenez la BD, tas de nuls !
Ce type d’ouvrage comporte forcément un bon nombre de truismes...
Photo : D. Pasamonik (L’Agence BD)

Limites

Les limites de l’exercice sont nombreuses, certains passages n’étant pas d’une égale technicité : la compréhension économique du marché est inexistante, l’aspect juridique entaché d’erreurs ou d’oublis (à la trappe les questions de statut social ou de la représentation syndicale), les références de l’iconographie relevant davantage du magasin de curiosité que de la réalité éditoriale d’aujourd’hui, ce qui donne au lecteur qui cherche à se projeter dans ce métier une image académique vieillotte qui n’a pas lieu d’être.

On passe les auto-citations multiples que l’on croyait réservées aux seuls universitaires… Arrêtons-nous quand même sur la liste des dix auteurs dont les noms ont « marqué l’histoire de la bande dessinée » (P.305). C’est d’une bouffonnerie sans égale : pourquoi Kiriko Nananan a-t-elle « marqué l’histoire de la bande dessinée » et pas Osamu Tezuka ? Pourquoi Blutch et pas Hergé ? Moebius certes, mais pourquoi Mazan et pas Jack Kirby ? Jorge Gonzales et pas Caniff, Breccia, Pratt et Crepax ? Des obscurs auteurs vietnamiens, certes respectables, à la place de Spiegelman ou de Crumb ? C’est du grand n’importe quoi.

Les exemples choisis sont tirés de BD... du XIXe Sècle. Est-ce bien adapté ?
Photo : D. Pasamonik (L’Agence BD)

Obscurantisme

Passons sur un chapitre 17 consacré à l’autopromotion de l’auteur et sur une étude de pages majoritairement consacrées à d’anciens élèves, c’est une faiblesse, car il y a bien plus grave encore : il y a globalement dans cet ouvrage une vision de la bande dessinée très particulière et même caractéristique d’une certaine pensée unique que l’on pourrait qualifier d’angoumoisine tant elle émane quasi-exclusivement de la capitale charentaise (pas étonnant que la plupart des dix « lieux » de la bande dessinée déclinés en fin de volume en soient issus), une conception bardée de vieilles lunes.

Ainsi, tout un pan de la création de la BD passe à la trappe : l’humour, la science-fiction l’Héroïc-Fantasy et plus généralement une certaine bande dessinée commerciale –c’est-à-dire celle qui fait vivre une grande majorité d’auteurs dans ce métier. Ces créateurs-là n’entrent pas dans la conception d’un auteur qui oppose le réel à la fiction, sous prétexte qu’il s’agit d’ « un nouveau courant en train d’émerger » [sic](P.52).

Que Bamboo ou Jungle ne figurent pas dans la liste des éditeurs, cela nous semble symptomatique d’un enseignement, mais aussi d’une critique, qui méprise le produit populaire que la bande dessinée a toujours été. C’est une attitude qui a pour but de complexer des générations futures de lecteurs ou d’aspirants auteurs au profit d’une bande dessinée élitaire. Comme l’ineffable Harry Morgan, comme Thierry Groensteen, Jean-Christophe menu et consorts, parler de cette bande dessinée-là, c’est « tirer le médium vers le bas » ou prêcher « l’anti-intellectualisme. »

Sur ActuaBD, nous aimons l’une et l’autre bande dessinée et cette croisade confuse –car elle ne repose sur aucun corpus théorique consistant- nous a toujours paru être un obscurantisme.

La principale faute de cet ouvrage finalement est que la bande dessinée n’y est pas envisagée par M. Gorridge comme un métier mais comme une technique. Et ça, pour le coup, c’est vraiment nul.

(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))

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19 Messages :
  • Apprenez la BD, tas de nuls !
    23 avril 2011 12:14

    Ben...en même temps, à part pour ceux qui en font ( vu l’investissement, la difficulté de la chose et le temps que ça prend ) ce n’est effectivement pas un métier...

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    • Répondu le 24 avril 2011 à  00:07 :

      Il le dit quelque part, que pour vivre de ce métier, il faut aussi être prof ?

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      • Répondu par Sergio SALMA le 24 avril 2011 à  12:34 :

        si on est prof c’est qu’on ne vit pas de ce "métier".

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        • Répondu par hum le 24 avril 2011 à  19:10 :

          Il y a les profs à plein temps, les profs à mi-temps, les chargés de cours, les vacataires, ceux qui font des ateliers limités dans le temps, ceux qui vont dans les classes faire une heure ici ou là...
          les rémunérations sont extrêmement élastiques et peu d’entre elles permettent d’en vivre.

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        • Répondu par Oncle Francois le 25 avril 2011 à  22:34 :

          Cela ne veut absolument rien dire, monsieur Salma. Dans la BD, on peut très bien être prof et être en même temps un auteur réussi et accompli : il me semble que messieurs Giraud, Mézières et Pichard ont largement donné l’exemple (d’autres aussi sans doute). S’il s’agit d’une activité d’enseignant à titre accessoire, je ne vois pas où est le problème, cela permet de se rendre utile en enseignant aux jeunes têtes blondes les recettes du succès et la maîtrise du bon dessin. Et je ne parle même pas des ateliers de Hergé, Greg, Franquin, Peyo et Tillieux qui ont permis à toute une nouvelle génération d’émerger.

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        • Répondu par Alex le 26 avril 2011 à  00:10 :

          Étrange commentaire...On peut être prof aussi pour le plaisir de transmettre sa petite part de savoir, le contact avec les étudiants, la dimension humaine ou l’approche théorique et pratique d’une discipline... Je suis "prof" 6 heures par semaine -c’est certainement pas pour la paie !

          Vous avez choisi de vous en tenir à votre table à dessin... Méfiez-vous de prêter des motifs ou des intentions sous le couvert de choix personnels. Bien à vous.

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  • Apprenez la BD, tas de nuls !
    23 avril 2011 12:43, par critique

    enfin une critique "critique" !

    Ce n’est pas courant sur le site.
    Prochaine étape : une critique "critique" sur une publication émanant d’un éditeur de bande dessinée !

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  • Apprenez la BD, tas de nuls !
    23 avril 2011 14:30

    "Que Bamboo ou Jungle ne figurent pas dans la liste des éditeurs, cela nous semble symptomatique d’un enseignement, mais aussi d’une critique, qui méprise le produit populaire que la bande dessinée a toujours été. C’est une attitude qui a pour but de complexer des générations futures de lecteurs ou d’aspirants auteurs au profit d’une bande dessinée élitaire."

    plutôt élitiste qu’élitaire... Pour comparer, populiste ne veut pas dire populaire. La nuance est lourde de conséquences.

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  • Apprenez la BD, tas de nuls !
    23 avril 2011 17:11, par ùµ¤£&#

    Les exemples vieillots du XIXe Sècle sont simplement dans le domaine public, l’auteur n’a pas eu à demander ou négocier les droits pour des auteurs actuels, dommage, c’est de la paresse d’éditeur.

    Duc en 1982 sortait "L’Art de la BD" en deux gros volumes chez Glénat avec bon nombre d’exemples (et pas que de chez Glénat), ces livres avaient leurs limites mais étaient une bonne introduction technique au métier.

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  • Apprenez la BD, tas de nuls !
    23 avril 2011 21:06, par Oncle Francois

    Merci pour cet article lapidaire, qui donne envie de feuilleter ce livre en librairie pour en rire aux éclats. Je croyais naïvement que la Collection "Pour les Nuls" était faite de façon intelligente pour des néophytes. Ce n’est apparemment pas le cas...

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  • Apprenez la BD, tas de nuls !
    27 avril 2011 14:05, par Daniel B.

    Les nuls risquent de rester nuls.
    Je suggère aux nuls en manque de temps d’aller jeter un oeil sur le Que Sais-je consacré à la Bande Dessinée de la regrétée Annie Baron-Carvais. Paix à son âme.

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  • Apprenez la BD, tas de nuls !
    4 mai 2011 15:57, par Lilith

    "Arrêtons-nous quand même sur la liste des dix auteurs dont les noms ont « marqué l’histoire de la bande dessinée » (P.305). C’est d’une bouffonnerie sans égale : pourquoi Kiriko Nananan a-t-elle « marqué l’histoire de la bande dessinée » et pas Osamu Tezuka ? Pourquoi Blutch et pas Hergé ? Moebius certes, mais pourquoi Mazan et pas Jack Kirby ? Jorge Gonzales et pas Caniff, Breccia, Pratt et Crepax ? Des obscurs auteurs vietnamiens, certes respectables, à la place de Spiegelman ou de Crumb ? C’est du grand n’importe quoi."

    Je vois pas pourquoi vous reprochez à l’auteur d’avoir choisi ces 10 auteurs s’ils comptent à ses yeux. D’autant que franchement il en parle bien.
    Fallait-il que ce soit le top 10 des auteurs les plus vendus ?
    Ce bouquin c’est le témoignage d’un auteur/prof sur son expérience de la bd et un companion book. Alors franchement je trouve la critique bien sévère.
    Le problème c’est peut-être juste que c’est édité chez les Nuls...

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    • Répondu par Didier Pasamonik (L’Agence BD) le 4 mai 2011 à  19:29 :

      Non, le problème est de dresser pareillement la liste des la liste des dix auteurs dont les noms ont « marqué l’histoire de la bande dessinée » (P.305)

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      • Répondu par Lilith le 5 mai 2011 à  16:42 :

        Vous faites une présentation complètement à charge
        Le titre du chapitre c’est "Dix noms d’auteurs de bande dessinée". Pas "les dix auteurs qui ont le plus marqué l’histoire de la bande dessinée".
        C’est pas du tout le ton du bouquin de dire voilà quelle est la vraie bd, faites ci, faites ça

        Enfin, on sera contents quand on pourra lire une critique aussi véhémente contre un nouvel album d’un éditeur de bd...

        Répondre à ce message

        • Répondu par Didier Pasamonik (L’Agence BD) le 5 mai 2011 à  17:27 :

          Chère Lilith,

          Avant de faire des accusations, il faut les étayer.

          Enfin, on sera contents quand on pourra lire une critique aussi véhémente contre un nouvel album d’un éditeur de bd...

          On voit bien que vous ne lisez pas ActuaBD où les critiques sont parfois sévères et parfois gentilles. « Véhémente », vraiment, vous exagérez !

          Vous faites une présentation complètement à charge Le titre du chapitre c’est "Dix noms d’auteurs de bande dessinée". Pas "les dix auteurs qui ont le plus marqué l’histoire de la bande dessinée". C’est pas du tout le ton du bouquin de dire voilà quelle est la vraie bd, faites ci, faites ça

          Peut-être êtes-vous la voisine de palier de l’auteur, mais il ne faudrait pas nous prendre pour des billes, d’ailleurs, je mentionne le numéro de la page (307) où il est indiqué :

          "Dans ce chapitre :
          - Dix auteurs de bande dessinée à connaître absolument
          - Découvrez quelques-unes de leurs œuvres qui ont marqué le 9e art.
          "

          Nous ne sommes pas convaincus de la nécessité "absolue" de donner en exemple ces auteurs et leurs œuvres "qui ont marqué le 9e art", voilà tout.

          Répondre à ce message

          • Répondu par Lilith le 5 mai 2011 à  20:03 :

            Je suis...son père !
            Non sérieusement, il se trouve que je vous lis justement et là pardonnez-moi de pas être d’accord.
            Peut-être que l’auteur vous a fait une crasse mais faut pas prendre vos lecteurs pour des billes non plus.
            En tout cas il y a au moins un "aspirant créateur" pour qui ce bouquin a été utile. Pour moi il a tenu sa promesse.

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