En février 1968, un certain Robert Crumb auto-publie la revue Zap. C’est le point de départ d’un mouvement qui va révolutionner la bande dessinée : l’Underground, une révolution culturelle dont on a du mal à imaginer aujourd’hui la portée. Zap fait directement référence à Mad, la revue d’Harvey Kurtzman qu’adolescent, Spiegelman étudiait pendant que ses petits camarades apprenaient le Talmud.
Ce qui distingue la génération Mad de la génération Zap, c’est le sexe. Pour les créateurs de BD, le mot d’ordre deviendra « Putting the « x » into comics » (mettre le X dans les BD), forgeant le terme « comix » pour désigner cette nouvelle vague. Robert Crumb, Gilbert Shelton, Bill Griffin, S. Clay Wilson, Spain Rodriguez, Hunt Emerson, Brian Talbot, Victor Moscoso, Vaughn Bodé ou encore l’éditeur Denis Kitchen seront les héros de cette révolution. Parmi eux, un certain Spiegelman…
Spiegelman est major en art et en philosophie, en dépit de la volonté de ses parents d’en faire un dentiste. Il collabore à partir de 1968, sous divers pseudonymes, à des titres comme Bizarre Sex Comics, Real Pulp Comix et Young Lust. Plus tard, il éditera en association avec Bill Griffith Arcade, The Comix revue. Pour gagner sa vie, il bosse comme consultant créatif pour la société Topps Gum entre 1965 et 1987. Vous vous souvenez des Crados qui ont défrayé la chronique en France dans les années 80, emportant jusqu’à la réprobation du Commandant Cousteau ? Hé bien, sachez que Spiegelman en était un des concepteurs !
Entre délires sexuels et cauchemars débridés, il est un thème qui arrive très tôt dans l’univers spiegelmanien : celui des camps d’extermination nazis. Dès 1972, il publie une BD de quatre pages sur ce thème : Prisoner of the Hell Planet qui sera publiée dans l’anthologie Short Order Comix # 1 l’année suivante. Dans Funny Aminals, une revue éditée par Terry Zwigoff qui se fit connaître plus tard par un documentaire fameux sur Crumb, il dessine une bande dessinée intitulée Maus, 14 ans avant la publication de la bande dessinée qui lui valut le Prix Pulitzer.
Dans la deuxième livraison d’Arcade, titre underground déjà évoqué, il écrit un de ses cauchemars qui se termine par cette supplique : « Les 6 millions de morts ne doivent pas être oubliés ».
Le miracle de Maus
En 1980, avec son épouse Françoise Mouly, il publie Raw dont il fait l’avant-garde de la production graphique internationale. En supplément de ce magazine publié à intervalles irréguliers, Maus paraît en feuilleton. Dans Maus, A Survivor’s Tale (Flammarion), Spiegelman détaille sa relation avec son père, un ancien rescapé d’Auschwitz.
Ce n’est en aucun cas une histoire de la Shoah. L’auteur restitue la mémoire de ses parents et explique comment l’expérience d’Auschwitz les a détruits, pourquoi sa mère est acculée au suicide. À l’instar du Calvo dans La bête est morte, Spiegelman utilise le procédé de l’animalisation : Les Juifs sont des rats, les Allemands des chats, les Polonais des porcs… Un choix que certaines associations de déportés n’apprécieront pas. L’ouvrage est néanmoins un succès international. Honoré au Festival de la Bande Dessinée à Angoulême en 1988 (Prix du meilleur album), il reçoit à l’occasion de la parution du tome 2 en 1992, le Prix Pulitzer dans la catégorie fictions (sic !) des Special Awards and Citations.
« Malheur à l’homme d’un seul livre » a dit Saint-Augustin (il parlait de la Bible). C’est un peu ce qui arrive à ce grand artiste. Sa carrière est à peu près figée par cet immense succès international. Un trop bref « A l’Ombre des tours mortes » ponctue brillamment les attentats du 11 septembre. Amateur compulsif du matériau mémoriel graphique, il raconte avec force expérimentations graphiques et appels de note aux classiques de la bande dessinée américaine, les différentes étapes de son parcours graphique dans Breakdowms (Casterman).
Un cheminement personnel à la dimension universelle qui se trouve aujourd’hui récompensé par l’Académie des Grands Prix d’Angoulême.
En ce moment, Spiegelman travaille sur "Meta-Maus", un ouvrage où il raconte le récit de cette aventure hors-norme et justifie la raison de certains choix (notamment le fait d’avoir choisi des souris). Il devrait paraitre pour l’été 2011 aux États-Unis et sans doute en France.
(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))
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En médaillon : Art Spiegelman. Photo : Thierry Lemaire.
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