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Art Spiegelman : « La bande dessinée a quelques points communs avec le yiddish. »

Par Didier Pasamonik (L’Agence BD) le 2 mars 2005                      Lien  
Le 26 janvier dernier, le prix Pulitzer Art Spiegelman rendait un hommage remarqué à Will Eisner en introduction de la cérémonie des prix du FIBD. A cette occasion, il comparait la BD au yiddish, cette langue parlée par les Juifs d'Europe centrale et qui a quasiment disparu à cause de la Shoah. Explication de texte.

Art Spiegelman : « La bande dessinée a quelques points communs avec le yiddish. » Nous avons été très intéressés par votre discours en hommage à Will Eisner lors de la soirée de remise des prix à Angoulême, en particulier quand vous nous avez dit que vous trouviez pas mal de points communs entre la BD en tant que langage et le yiddish. Pouvez-vous développer cette hypothèse ?

Ce qui apparaît fondamentalement, c’est que le yiddish est une sorte de langage composite qui emprunte des éléments à différentes langues de différents pays qui, mixés ensemble, composent un nouveau langage, extrêmement expressif. Ce n’est pas une langue élégante, mais elle a une expressivité, une couleur, une façon presque vulgaire de phraser les mots comme parfois dans l’italien. Il y a des expressions en yiddish qui sont très difficiles à transposer dans une autre langue. La bande dessinée procède de la même façon, en empruntant des éléments au dessin et au texte, et dans la façon dont Will Eisner « yiddishisait » New-York dans ses histoires. Il y a certaines choses que vous pouvez mieux faire comprendre quand vous utilisez vos mains. De la même façon, il y existe des modes d’expression qui sont exclusifs au yiddish. Il y en a d’autres qui sont exclusifs à la BD.

Le yiddish est l’expression de gens pauvres...

C’est un langage populaire.

Comme la BD...

Il y a un yiddish littéraire, un yiddish distingué, comme celui d’Isaac B. Singer. Du moins à ce que je sais, car je ne parle pas le yiddish.

Vous ne parlez pas le yiddish ?

Non, je parle seulement « bande dessinée ». Donc, de la même façon qu’il y a un yiddish littéraire, distingué, il existe une BD de création de haut niveau.

Croyez-vous que Will Eisner et vous-même illustrez une sorte de fierté d’être juif ?

Non, pas spécialement. Je sais que « Maus » m’a collé définitivement cette étiquette qui consiste à me catégoriser parmi les auteurs de BD typiquement juifs. Sur ce point, je ne sais pas si ce que je fais est nécessairement le produit des thèmes ou des sujets que j’utilise ou si, en dessous de tout cela, il y a un esprit typiquement juif qui transparaît. On peut admettre qu’il y a derrière tout cela une autodérision qui semble être celle des Juifs de la diaspora.

Pensez-vous que les insignes des Arts et des Lettres que vous avez reçus du ministre de la culture célèbrent davantage le 60ème anniversaire de la libération du camp d’Auschwitz que votre propre travail ?

J’aimerais pouvoir dire que ce n’est pas le cas. J’aimerais pouvoir défendre l’idée que cette décoration, j’aurais pu la recevoir dans six mois. Franchement, je pense que cette distinction particulière a beaucoup à voir avec « Maus » qui est mon travail le plus notoire, dans un moment où les Français sont un peu interloqués par l’aventurisme récent des États-unis [en Irak]. C’est aussi la prise de conscience par les Français qu’il existe aux États-unis des gens qui sont malgré tout en phase avec eux.

Propos recueillis par Didier Pasamonik, le 28 janvier 2005.

(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))

Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.

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En médaillon : Art Spiegelman avant son discours à la cérémonie. Photo : D. Pasamonik.

 
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