Tout a commencé par une série de six articles de Frédéric Potet dans Le Monde, cet été : "Comment Astérix a cédé le flambeau". En septembre, c’est Casemate qui livrait une interview des "papas d’Astérix" (la PMA n’est pas loin...) Jean-Yves Ferri & Didier Conrad, parlant à propos de l’accouchement de l’album de "grossesse nerveuse".
À l’étranger, d’autres titres prennent le relais : le magazine spécialisé allemand Alfonz, Der Comicreporter fait la Une sur l’album attendu le 24 octobre 2013. Une couverture provisoire circule. Sur sa page Facebook, les éditions Albert René demandent même à leurs followers de créer une couverture...
Beaucoup d’annonces, donc, de longues explications, des commentaires,... et pourtant, du nouvel album, on ne sait rien.
Seuls les collaborateurs directs de l’éditeur l’ont lu. Les infos sont lâchées goutte à goutte, case par case... : cela va se passer en Écosse, on s’étale sur l’adoubement des nouveaux auteurs par le créateur de la série... et puis rien. Aucune info sur le nouvel album. Aucun de nos brillants journalistes d’investigation, qu’ils émargent d’un grand quotidien national ou de la revue spécialisée, n’a eu une épreuve en mains... Imagine-t-on cela pour un grand roman de la Rentrée littéraire ou pour un film grand public ? Luc Besson a tenté de passer naguère au-dessus de la tête des journalistes, il en est bien revenu.
Ce 2 octobre 2013, une conférence de presse sur Astérix avait lieu à la FNAC des Ternes à Paris. Tout le monde était là : Albert Uderzo, Anne Goscinny, Jean-Yves Ferri, Didier Conrad, Isabelle Magnac, la directrice générale de Hachette Illustré... On y a appris des choses, mais en ce qui concerne le contenu, on n’aura que la couverture à se mettre sous la dent. Tout au plus, apprend-on le tirage de la nouveauté, 1 850 000 exemplaires sont destinés à la mise en place.
Les vraies raisons d’un passage de relais
En attendant, on en découvre un peu plus sur les raisons de ce "passage de flambeau". On apprend ainsi que c’est Anne Goscinny qui a fait revenir Albert Uderzo sur sa décision qu’il n’y aurait plus d’Astérix après lui : "Je me suis ressaisi, nous dit Uderzo, j’avais complètement oublié quelque chose de très important, c’est qu’il existe une ayant-droit, [Anne Goscinny], qui n’était pas forcément d’accord avec moi. Elle ne me l’avait pas dit, mais j’ai pu comprendre qu’elle avait une autre idée sur la suite à donner. J’ai donc donné mon accord pour que les choses puissent continuer."
Anne Goscinny confirme : "Je crois qu’en 1977, Albert a fait preuve de courage, ce qu’on oublie peut-être. Grâce à lui, la mort d’un homme n’a pas entraîné a mort de tout un village. Grâce à lui, Astérix a pu continuer à vivre, à faire rire des gens, Obélix a pu continuer à délivrer des menhirs, ce qui est très utile. Grâce à Albert, Astérix a pu continuer. Je me suis dit qu’Astérix avait eu deux vies, une jusqu’en 1977, une autre avec Albert, et qu’Albert et mon père avaient installé des codes assez forts pour permettre d’essayer de vivre quand Albert cesserait d’écrire et de dessiner. Albert avait donné sa chance à Astérix et il était légitime de le faire vivre aujourd’hui. Albert a pris la bonne décision."
Excellents ambassadeurs
Dans un premier temps, c’est l’encreur d’Uderzo, Frédéric Mebarki, qui est pressenti pour poursuivre le dessin. La recherche porta alors sur un scénariste. Une dizaine d’entre eux sont approchés dans le plus grand secret par l’équipe d’Albert René, huit répondent présent. Les noms d’Arleston, Jul, Ferri sont cités. Il est convenu qu’ils proposent un script qu’Albert Uderzo choisira à l’aveugle. C’est Ferri qui sort du chapeau pourtant, contrairement aux autres candidats, son scénario n’en était qu’au stade du synopsis avec seulement quelques pages de développement. Le thème des Pictes séduit le créateur du Gaulois : "Ni René, ni moi n’avions pensé à les envoyer en Écosse" dit-il. Anne Goscinny abonde dans son sens rappelant combien il est difficile d’écrire un Astérix. Elle confirme le choix de Ferri.
Si l’on en croit Didier Conrad dans Casemate, Albert René s’était réassuré en cherchant une alternative à Frédéric Mebarki, une deuxième équipe, contactant trois dessinateurs qui font des essais soumis à Uderzo. Le choix se porte sur le dessinateur des Innommables. Et il fait bien car Mebarki, "excellent illustrateur" selon Uderzo, jette l’éponge. Du coup, le plan B devient le plan A et Conrad a six mois pour terminer l’album...
Excellents ambassadeurs, nos auteurs parlent volontiers de leur travail. "Astérix, c’est une espèce de rythme, des gags qui tombent si possible au bon moment, un jeu sur le langage, sur les dialogues,... la barre est assez haute", dit Ferri.
Conrad, qui rappelle qu’il avait peu de temps pour réaliser l’album, parle de ses difficultés, même si le scénariste lui rend un script dessiné, un travail de "dégrossissage visuel" qui lui a été très utile : "Albert m’a guidé et il a eu les mots qu’il fallait pour me rassurer sur le fait que j’allais y arriver. La difficulté, c’est que c’est un dessin qui est inspiré et en même temps, c’est un dessin très complexe, il y a énormément à dessiner. Cela prend beaucoup de temps. Il faut tenir le rythme." Uderzo relativise l’importance de son intervention : "J’ai juste rectifié quelques petits trucs dont personne ne pouvait s’apercevoir... C’est une équipe formidable !" D’ailleurs, Uderzo et Conrad cosignent cette première couverture, Albert se chargeant du personnage d’Obélix et Conrad de celui d’Astérix.
Mais du contenu de l’album, on ne saura rien d’autre, sauf qu’il y aura "deux femmes", le mystère reste entier. En attendant, les produits autour du nouvel albums s’accumulent et une grande exposition à la Bibliothèque Nationale de France est annoncée, nous vous en reparlerons.
(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))
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