Au Cœur de l’empire - T1 - Bryan Talbot - Kymera

Un petit tour dans le parallèle 00.72.87, ça vous dit ? Le lecteur avait quitté cette Angleterre uchronique débarrassée de la dictature puritaine cromwellienne, la nouvelle reine Anne ayant accouché de deux enfants de son royal amant, Luther Arkwright, unique dans le multivers et doté de la capacité de voyager à travers les parallèles. Le multivers était sauvé, et tout était bien qui finissait bien.

20 ans après, l’Empire Britannique est plus puissant que jamais, et toujours sous le commandement d’Anne, qui est devenue une sorte de mélange entre Staline et la Comtesse Bathory. Sa fille Victoria est en proie à d’étranges rêves, son fils Henry est mort il y a longtemps sous les coups de la rébellion puritaine qui n’a jamais abandonné le combat, et le père de ses enfants a disparu depuis des années. Arkwright n’est plus qu’une figure semi-mythique, qui obsède la jeune femme qu’est maintenant Victoria.
Dans ce contexte s’est développée une décadence totale de la société, avec d’un côté un peuple aussi opprimé que sous les Puritains, et d’un autre une haute société sans barrière morale, ne se doutant pas du danger qui la menace. En effet, sur le parallèle 00.00.00, celui où l’espèce humaine a réussi à s’unifier, l’intelligence artificielle WOTAN a décelé la présence d’un phénomène psionique inconnu qui pourrait mettre fin à toute vie dans les parallèles entourant 00.72.87, et ce sous quelques jours. Sans moyen de contacter Arkwright ni personne sur ce parallèle, les choses ne se présentent pas bien...

Même si Bryan Talbot reprend dans cette nouvelle histoire une bonne partie des personnages de la première (on y retrouve le journaliste américain qui était jadis venu en Angleterre au plus fort de la bataille entre Royalistes et Puritains, ainsi que Fairfax, un jouisseur et péteur accompli, compagnon d’armes de Arkwright), tout est fait pour que les nouveaux lecteurs ne se sentent pas perdus. L’intrigue est très largement indépendante de celles des Aventures, la mise en place du thème des pouvoirs psychiques de la lignée de l’homo nuovus, dont le premier représentant était Arkwright, se comprenant sans problème (mais bien sûr, on en retirera plus d’intérêt si l’on s’est plongé dans les denses 200 pages des Aventures).

Une autre différence évidente réside dans le style utilisé ici par Talbot. À l’opposé du noir et blanc travaillé et de la narration non-linéaire qui donnait toute leur patine aux Aventures, l’auteur nous propose ici une narration linéaire, un trait plus épais, aux contours marqués, pour un dessin réaliste et une superbe mise en couleurs d’Angus McKie. Comme on peut le voir sur la page ci-dessus, le découpage est souvent aéré, avec un espace assez important entre les cases. Il est intéressant de noter ces choix d’ouverture, alors que l’intrigue elle-même est psychologiquement très noire. En tout cas, le résultat est tout simplement fascinant, et le lecteur pourra passer des heures à contempler ces planches à la fois très lisibles et très détaillées.

Ce premier des trois volumes de Au Cœur de l’empire est un vrai plaisir de lecture, et les deux prochains promettent de belles surprises.

Pour finir, signalons que l’on commence à entendre parler de la possibilité d’une adaptation cinématographique des Aventures de Luther Arkwright, ce qui serait une bonne nouvelle, au moins pour le compte en banque de l’auteur, qui le mérite bien. Il est trop tôt pour spéculer sur de possibles acteurs, mais il est amusant de se rappeler que David Tennant, l’actuel interprète de la nouvelle version de la série télé Doctor Who qui rencontre un vrai succès outre-Manche, a interprété il y a quelques temps le rôle-titre pour une très bonne adaptation en pièce radiophonique (voir la bande-annonce, en anglais).
Quant à Bryan Talbot, il ne chôme pas : sont annoncés pour juin/juillet Cherubs !, une mini-série humoristique chez Image mettant en scène un groupe de chérubins enquêtant sur un meurtre au Paradis dont ils ont été accusés, écrite pour le dessinateur Mark Stafford ; The Naked Artists, une collection d’anecdotes sur ses collègues du monde de la BD (un livre qui devrait être traduit chez Kymera tôt ou tard) ; sans oublier Alice in Sunderland, dont il nous avait parlé dans son interview de l’an dernier, et qui va être publié en anglais en mars. En attendant peut-être une deuxième suite à Luther Arkwright...