Souvenez-vous, c’était il y a trois ans, les auteurs de BD frappaient du poing sur la table, lançant un "appel du numérique" : « Nous voulons être associés de très près à ce qui sera peut-être demain le moyen de diffusion principal de nos œuvres et dont tous, aujourd’hui, ignorent quelle forme il aura. » écrivaient-ils.
« Si le livre de bande dessinée numérique est une adaptation du livre (parce qu’on modifie l’organisation des cases, le format, le sens de lecture, qu’on y associe de la publicité) l’auteur devrait avoir un bon à tirer à donner, au cas par cas », précisait la pétition.
Elle s’interrogeait également sur la nature du livre numérique, son exploitation pouvait-elle être comparée au livre-papier ? « Pourquoi les rémunérations prévues pour les auteurs sont au bout du compte sans doute au moins deux fois plus basses que dans le livre papier ? Qu’est-ce qui justifie tel ou tel pourcentage de droits proposés aux auteurs, hormis le fait que c’est ce qui arrange le business plan des éditeurs ? Est-ce que les éditeurs vont gagner deux fois moins d’argent ? Est-ce que le travail des auteurs de BD numériques sera deux fois moindre ? »
La demande des pétitionnaires était toute simple : « Nous voulons la mise en place d’un groupe de travail représentant éditeurs et auteurs sous l’égide du Ministère de la Culture. »
Nous voici trois ans plus tard avec un accord entre auteurs et éditeurs préalable à une loi réformant le contrat d’édition qui les lie, sous la houlette de la ministre Aurélie Filippetti, ministre de la Culture et de la Communication, qui a été signé hier, le 21 mars 2013, entre le Syndicat national de l’édition (SNE) et le Conseil permanent des écrivains (CPE), en présence du médiateur, M. Pierre Sirinelli, professeur à l’Université de Paris I.
Dans la salle, on pouvait reconnaître des représentants du SNAC-BD qui avait partie prenante dans la conclusion de cet accord.
En 2010, les négociations patinaient. Les relations entre éditeurs et auteurs étaient tendues et la situation économique ambiante n’était pas pour arranger les choses, mêlant ces revendications à d’autres, sources de confusion.
En juin 2012, une Commission spécialisée du Conseil supérieur de la propriété littéraire et artistique (CSPLA) sur le contrat d’édition à l’heure du numérique, présidée par le juriste Pierre Sirinelli, professeur à Paris I, aboutissait à un échec. Les points de vue s’étaient rapprochés mais l’accord n’aboutissait pas.
C’est le moment que choisit la ministre Aurélie Filippetti pour élargir la négociation à la totalité du contrat d’édition tel qu’il était défini depuis 1957.
Une définition du contrat d’édition dans l’univers numérique
Cette nouvelle donne aboutit à l’accord d’aujourd’hui. Quel est-il dans ses grands principes ?
Un "code des usages" va être établi entre les partenaires éditeurs et auteurs. Ce code aura pour objet de préciser la marche à suivre en cas de litige, évitant le passage obligatoire devant les tribunaux, chose qui désavantageait fortement l’auteur vis-à-vis de l’éditeur ;
L’adaptation du contrat d’édition existant. Un nouvel article est proposé : Nouvel article L. 132-1 du Code de la propriété intellectuelle : « Le contrat d’édition est le contrat par lequel l’auteur d’une œuvre de l’esprit ou ses ayants droit cèdent à des conditions déterminées à une personne appelée éditeur le droit de fabriquer ou de faire fabriquer en nombre des exemplaires de l’œuvre, ou de la réaliser ou de la faire réaliser sous une forme numérique, à charge pour cette personne d’en assurer la publication et la diffusion. ».
Cette nouvelle clause dématérialise le livre, englobant le numérique comme support.
Un contrat d’édition unique avec une partie spécifique pour le numérique
Le contrat d’édition reste unique (pas de contrat à part comme pour l’adaptation cinématographique) avec deux parties distinctes avec, pour la partie numérique :
la durée de la cession du droit d’exploitation numérique ;
les conditions de réexamen de la rémunération de l’auteur au titre de l’exploitation
numérique ;
les formes d’exploitation numérique et/ou électronique envisagées et autorisées ;
les modalités, proportionnelles et/ou forfaitaires, de rémunération de l’auteur ainsi
que le mode de calcul retenu ;
les conditions de signature du bon à diffuser numérique ;
la périodicité et les formes des redditions de comptes ;
les conditions de reprise du droit d’exploitation numérique.
"Bon à tirer" numérique
L’auteur aura droit à un "bon à tirer numérique" où il pourra valider la conformité de l’œuvre avec ses intentions.
L’éditeur aura l’obligation d’en faire une édition papier préalable à son exploitation numérique et ne pourra substituer celle-là par celle-ci, si ceci n’est pas explicitement prévu.
Surtout, il aura l’obligation d’en faire une exploitation permanente et suivie. Ce qui signifie :
l’obligation d’exploiter l’œuvre dans sa totalité sous une forme numérique ;
l’obligation de présenter l’œuvre à son catalogue numérique ;
de la rendre accessible dans un format technique exploitable en tenant compte
des formats usuels du marché et de leur évolution, et dans au moins un format non
propriétaire (pour éviter les monopoles de diffusion du genre Applestore, par exemple) ;
de la rendre accessible à la vente, dans un format numérique non propriétaire, sur un ou plusieurs sites en ligne, selon le modèle commercial en vigueur dans le secteur éditorial considéré.
Pas d’ "encéphalogramme plat" dans les ventes
Au niveau de la rémunération, l’esprit du texte est de préserver le revenu de l’auteur calculé sur le prix de vente public de l’œuvre mais en l’adaptant sur des revenus, proportionnels ou forfaitaires, à provenir de recettes publicitaires par exemple ou des ventes par bouquets ou par abonnement.
L’auteur sera alors rémunéré sur la base du prix payé par le public au prorata des consultations et des téléchargements de l’œuvre : "Les modalités de calcul du prix public de vente servant de base à la rémunération, lorsqu’il fait l’objet d’une reconstitution par l’éditeur, seront communiquées à l’auteur, sur simple demande de celui-ci. Dans l’hypothèse où l’éditeur ne serait pas en mesure d’effectuer ce calcul, l’auteur sera rémunéré sur les recettes encaissées par l’éditeur au prorata des consultations et des téléchargements de l’œuvre."
L’éditeur aura obligation de faire une exploitation "active" de l’œuvre, c’est-à-dire qu’en cas d’"encéphalogramme plat" pendant plus de deux ans dans les ventes, le contrat pourra être remis en question.
Clause de réexamen
Enfin une "clause de réexamen" de l’usage numérique est mis en place afin d’adapter le contrat à l’évolution des supports d’exploitation du marché : "Le réexamen des conditions économiques du contrat doit porter notamment sur l’adéquation de la rémunération de l’auteur, qu’elle soit proportionnelle ou forfaitaire, à l’évolution des modèles économiques de diffusion numérique de l’éditeur ou du secteur."
Ce réexamen peut être demandé par l’auteur et par l’éditeur au terme d’un délai de quatre ans à compter de la signature du contrat et pour une durée de deux ans. Rien que cette clause est une petite révolution car le contrat n’est plus désormais une chose immuable gravée dans le marbre. Une commission de conciliation peut intervenir en cas de désaccord.
Une reddition des comptes plus transparente et plus stricte est organisée, faute de quoi le contrat serait nul.
Maintenant : Le vote du Parlement.
" Au terme de plusieurs mois de négociation, le Conseil permanent des écrivains (CPE) et le Syndicat national de l’édition (SNE) se sont entendus sur les termes d’un accord qui pose non seulement les principes nouveaux de l’exploitation du livre sous forme numérique, mais modifie également en profondeur plusieurs dispositions essentielles propres au livre imprimé ", dit la ministre dans un communiqué.
Il reste que ce texte doit être maintenant être examiné, "encore en 2013", par les instances parlementaires. Selon les différentes parties, le débat des assemblées ne devrait pas modifier fondamentalement l’esprit de cette avancée majeure.
Le SNAC-BD envisage de publier un "guide d’usage" pour ce nouveau contrat à destination des auteurs de BD.
(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))
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Photos : D. Pasamonik (L’Agence BD)
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