Les mutants, ou Homo Superior, sont parmi nous depuis de nombreux millénaires, mais il a fallu attendre 1963 pour que Stan Lee et Jack Kirby ne dévoilent officiellement leur existence.
Parmi les créations du célèbre scénariste, les X-Men ont été, de l’aveu de Stan Lee, ses personnages au passé littéraire le plus faiblard à cette époque de créations fondamentales : ces personnages ont un gène X qui les rend différents des autres, et puis ce sera tout ! C’est ainsi que l’énigmatique Charles Xavier, appelé Professeur X, réunit autour de lui cinq adolescents appelés à user de leurs pouvoirs afin de protéger l’humanité d’autres mutants qui n’auraient pas d’aussi bonnes intentions que les leurs. Dans l’espoir que l’humanité les accepte tels qu’ils sont... L’enseignant prend sous son aile Scott Summers (Cyclope), Jean Grey (Marvel Girl), Henry McCoy (le Fauve), Robert Drake (Iceman) et Warren Worthington III (Angel).
Les premières années des X-Men ne remettent pas en question outre mesure le paysage des Comics aux États-Unis en se battant ça et là contre Magnéto ou un méchant quidam, l’éditeur Marvel pense même parfois mettre fin à l’expérience faute d’un lectorat conséquent...
Le salut de la série vient dans les années 1970 : un jeune scénariste, Chris Claremont, se voit alors confier les rênes de cette série alors très secondaire afin d’en relever le niveau. Claremont transforme radicalement le ton et la portée de la série : pendant près de deux décennies, il en fait le phénomène culturel que nous connaissons aujourd’hui.
À son crédit, nous nous limitons ici à l’évocation de trois principaux apports qui ont transcendé la série. En première ligne, la saga du Phénix noir qui brisa un tabou de l’époque : la mort d’un personnage principal (Jean Grey se sacrifiant dans sa prime jeunesse pour le bien de l’humanité). Ensuite, on lui doit la métamorphose de l’insipide méchant Magnéto en un personnage de qualité troublant d’humanité : dans les années 1980, on commençait seulement à évoquer la mémoire de la Shoah dans les principaux médias [1], Claremont fait de ce personnage un survivant d’Auschwitz et invite ainsi les lecteurs à réfléchir à ce sujet. Enfin, il a créé un des personnages les plus rentables d’aujourd’hui, tous supports confondus, en imaginant le personnage de Wolverine et son passé torturé.
Claremont prend congé des X-Men au début des années 1990 : l’éditeur Marvel souhaitant diriger plus activement une série devenue très populaire et rentable, ce que ne peut plus supporter le scénariste : ainsi, il n’était pas prévu que Jean Grey revienne un jour à la vie selon Claremont, mais l’éditeur n’était pas de cet avis face à la popularité du dit personnage.
Après le départ de Claremont, les années 1990 seront plutôt marquées par des récits portés sur de l’action spectaculaire, mais aussi des avenirs alternatifs des plus pessimistes. C’est le cas de L’Ère d’Apocalypse (1995) et son génocide à l’échelle mondiale, mené par la poigne de fer d’un dictateur mutant surpuissant et sans compassion pour la vie (le réalisateur Bryan Singer vous racontera ça au cinéma dans les quelques années à venir).
Les années 2000 vont donner un nouveau souffle à la série grâce à deux scénaristes : Grant Morrison et Brian Michael Bendis. Morrison est l’auteur du run fondateur de cette décennie : New X-Men.
De plus en plus nombreux, incontournables dans la géopolitique mondiale, les mutants forment une organisation internationale pour protéger les droits des mutants et aider l’humanité à résoudre des crises.
Sur ces prémices, Morrison prend des directions encore inexplorées pour certains personnages principaux : on pense ici à la rupture entre Jean et Scott, dont les problèmes conjugaux poussent ce dernier dans les bras d’Emma Frost (cette ancienne méchante télépathe a participé, il y a de quelques décennies, à faire basculer Jean dans la folle psyché du Phénix noir, vous comprenez, dès lors, l’inimitié entre les deux femmes). À noter que cette période est aussi celle de la dernière mort en date de Jean Grey : une bonne décennie que ça tient quand même, c’est rare chez Marvel...
Morrison, passé entretemps à la « Distinguée Concurrence » (DC Comics), Bendis, le scénariste touche-à-tout de Marvel qui commençait alors à établir sa prépondérance dans le groupe, décida de publier en 2005 un crossover rassemblant les mutants et ses protégés revigorés, les Avengers.
House of M a un postulat simple : la Sorcière rouge, figure historique des Avengers et fille de Magnéto, perd les pédales et utilise ses pouvoirs pour altérer la réalité. Avengers et X-Men unissent leurs forces pour la faire revenir à la raison. Le hic : elle a fait le serment qu’il n’y aura plus de mutants sur la planète afin que cessent les folies qui ont marqué sa vie !
Bendis laisse donc à ses collègues une situation critique pour les mutants : ces derniers, qui étaient des millions, ne sont désormais plus que quelques centaines (très peu de personnages importants ont perdu leurs pouvoirs). Pire : aucun nouveau-né désormais n’a le gène X et tous les adversaires des mutants profitent de l’occasion pour s’assurer de l’extinction rapide de l’espèce. Les X-Men cherchent durant des années un moyen d’annuler le sort de la Sorcière rouge mais ils n’y parviennent pas. Ils sont réduits à accepter qu’ils sont une espèce en voie d’extinction...
À l’occasion du CompleXe du Messie (2007-2008), les cartes sont redistribuées : les X-Men parviennent à sauver une nouvelle-née qui possède le gène X, une orpheline qu’ils nomment Hope Summers. Scott, devenu le leader d’une espèce sur le déclin, confie l’enfant à son fils Nathan (Cable), pour qu’il l’élève dans le futur, loin des fureurs du présent. Scott veut croire que cette enfant sera le messie des mutants et qu’elle aura le pouvoir de sauver les siens.
Revenue à l’occasion de Second Coming – Le Retour du messie (2010), Hope, devenue adolescente, montre l’étendue de ses talents aux mutants en maîtrisant ses ennemis qui l’attendaient de pied ferme. Elle y parvient sans savoir quelles sont les limites de ses pouvoirs, et quels pouvoirs : elle détient la force du Phénix, ce qui est autant un bon qu’un mauvais présage pour la communauté.
La communauté des mutants se divise d’ailleurs à cause de la gestion des événements de ces dernières années. D’un côté, Scott pense que tous doivent être prêts à faire des sacrifices pour éviter que l’espèce ne périsse, y compris les adolescents. De l’autre, Logan (Wolverine) pense qu’il faut préserver les adolescents des violents combats et les renvoyer à l’école pour qu’ils puissent choisir plus tard leur voie. Durant Schism (2011), les deux personnages se combattent presque à mort en raison de ce différend, et leur rupture marque la division des X-Men.
Avengers vs. X-Men (2012) conforte ces positions et offre un nouveau postulat aux mutants : le Phénix débarquant sur Terre pour trouver son hôte, Hope.
Les Avengers veulent arrêter l’adolescente qu’elle ne détruise le monde. Refus musclé de Scott qui entraîne un affrontement entre les deux factions. Tony Stark (Iron Man) parvient à stopper le Phénix, mais par malchance, le divise au lieu de le détruire : les principaux leaders mutants, dont Scott, héritent de cette force à la place de Hope.
Ces X-Men décident grâce à ce pouvoir de création de faire de la Terre une utopie où tous les maux de l’humanité sont éradiqués (la faim, la guerre...). La seule condition ? Ne pas remettre en question les décisions des possesseurs de la force du Phénix. Les Avengers ne peuvent pas tolérer un tel destin et mènent le combat contre les oppresseurs, de plus en plus corrompus par un pouvoir cosmique qui demande création... mais aussi destruction.
Après de multiples combats, les Avengers et les X-Men défont successivement les détenteurs de la force du Phénix, le dernier sur la liste étant Scott, qui a eu le temps de devenir le Phénix noir comme feu son ex-femme Jean. Le problème, c’est qu’une fois devenu le Phénix noir, Scott a littéralement « tué le père » : venu le secourir, Charles Xavier se retrouve assassiné par les mains même de son « fils ». La force Phénix dispersée, les effets se font ressentir rapidement : les mutants apparaissent de nouveau spontanément à travers le monde. Scott a sauvé son espèce, mais à quel prix...
L’éditeur Marvel a profité de la conclusion de Avengers vs. X-Men pour échanger les équipes créatrices entre toutes ses séries. Le sort des mutants est donc revenu à Bendis, qui écrit la nouvelle série All New X-Men (dont le premier tome vous est raconté par le menu ci-dessous) et Uncanny X-Men (qui raconte le développement de cet univers depuis le point de vue de l’équipe de Scott).
Le premier tome de All New X-Men s’ouvre sur un constat alarmant pour les X-Men de la ligne Logan : Scott s’est échappé de prison, met le bazar avec ses idées de révolution mutante et risque d’attirer les foudres des autorités sur tous les mutants, notamment les plus neufs d’entre eux. La situation est périlleuse et les X-Men se demandent si cette situation ne va pas tourner à la guerre civile mutante dans peu de temps...
Henri (Le Fauve) subit une énième mutation de son corps, sauf qu’il sent cette fois-ci qu’il va y laisser sa peau. Avant de partir, il aimerait bien faire entendre raison à son ancien ami Scott et le ramener dans le droit chemin. Quoi de mieux selon lui que de ré-écrire une histoire qui a mal tourné ?
Avec ce premier tome de All New X-Men, Bendis nous invite à un remake made in X-Men de Retour vers le Futur : Partie II (Robert Zemeckis – 1989) : les premiers X-Men sont emmenés dans leur futur pour que l’un d’entre eux comprenne ses futures erreurs et, ce faisant en retournant dans leur présent, se garde de les commettre à nouveau. Ce qui aurait pour conséquence de ré-écrire positivement le présent selon le Fauve.
C’est avec plaisir que l’on suit les premières péripéties de ces jeunes X-Men dans un futur qui leur est hostile : cinquante ans d’histoires à assimiler, ça fait mal à leurs jeunes têtes ; surtout quand le destin n’est pas des plus séduisants pour la plupart d’entre eux (Jean et Warren sont morts, Scott est un meurtrier...). Est-ce que ces jeunes X-Men vont vouloir rester longtemps dans un futur qui leur apparaît si sombre ?
Comme dans tout voyage temporel de ce type, l’auteur s’amuse avec les interactions entre les différentes incarnations d’un personnage, ce qui a bien souvent pour résultat de multiplier ses défauts et ses qualités au sein d’une scène. Un exercice bien plaisant.
Le propos de ce premier tome de All New X-Men est dense et prometteur. Bendis marque bien vite son territoire et on ressent son envie de faire bouger certaines lignes, notamment autour du personnage de Jean Grey. Eh oui, même morte, elle fait encore parler d’elle avec son itération du passé : il est très difficile pour la jeune fille de découvrir qu’elle va mourir un bon paquet de fois, qu’elle va se marier avec un homme qui va la tromper et tuer son mentor, ou bien ressentir les effets d’un pouvoir de télékinésie qu’elle n’aurait dû découvrir qu’un an plus tard... Ce personnage constitue assurément l’une des principales attractions de la série de Bendis.
Bendis prend aussi le temps de nous offrir les prémisses de Uncanny X-Men, une série qui a débuté quelques mois après All New X-Men aux États-Unis : on nous montre ainsi Scott, Emma et Erik (Magnéto) aux pouvoirs brisés par la force du Phénix. Comment le leader révolutionnaire et son groupe va-t-il pouvoir défendre les jeunes mutants en danger si leurs pouvoirs sont tantôt faibles, tantôt surpuissants ? Là encore, la situation proposée est intrigante et prometteuse...
La découverte de ce premier tome de All New X-Men est chaudement recommandée. Ce tome est accessible avec peu de connaissances des histoires des X-Men, ce qui en fait une bonne porte d’entrée dans cet univers. Quant aux lecteurs plus avertis, ils pourront se régaler des situations cocasses que leur présentera Bendis, des situations on ne peut mieux servies par le magnifique trait du dessinateur Stuart Immonen.
(par Romuald LEFEBVRE)
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