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TRIBUNE LIBRE À Beatriz Capio : A propos de "Pilote" et de La BD "nouvelle star du 7e Art"

Par Beatriz Capio le 5 juillet 2010                      Lien  
Le Pilote nouveau capitalise sur l'image du journal novateur des années 60 et 70, comme en témoignent le logo et le slogan choisis, tout en délivrant un contenu digne du mensuel déliquescent des années 80.

La démarche de ressortir opportunément un titre de presse à l’aura populaire et médiatique certaine est compréhensible. Plaquette publicitaire luxueuse, la parution ponctuelle du légendaire « journal de René Goscinny » -on peut constater dans ce numéro que seul lui mérite d’être cité- permet surtout à l’actuel Dargaud, de redorer à peu de frais son blason en rappelant ses origines fameuses. Quand bien même son catalogue n’aurait plus rien à voir avec celui d’il y a trente ans.

Peu de recyclage dans ce numéro "Spécial Cinéma" (quatre pages de Gotlib), mais beaucoup de biodégradable. René Pétillon, David Prudhomme ou Moebius publient parmi les pires pages de leur carrière. Jean Solé, Annie Goetzinger, Florence Cestac, Robert Crumb, Boucq (sur un scénario de François Morel), Charles Berbérian ou Martin Veyron assurent le service minimum. De l’humour circonstanciel pour les uns, des commentaires nostalgiques ou des anecdotes pour les autres.

Les plus jeunes auteurs sont -étonnament ?- ceux qui gèrent le moins bien la contrainte, tombant dans le gag conventionnel (Zanzim, Alfred, Bouzard ou Mathieu Sapin), la liste de clins d’oeil (Hervé Bourrhis, Pluttark) ou les pirouettes inutiles (Killofer, Paul Pope). Quelques uns s’en sortent avec panache, comme Manuele Fior illustrant Rosemary’s Baby, ou François Ayroles, dont la drôlerie n’est plus à démontrer.

TRIBUNE LIBRE À Beatriz Capio : A propos de "Pilote" et de La BD "nouvelle star du 7e Art"

Jul, qui signe l’atroce couverture continue de pratiquer la bande dessinée fast food avec Hollywood BD. Cependant sa médiocrité habituelle ne le singularise pas dans ce numéro, tous les contributeurs s’accordant à enchaîner les lieux communs et les références réductrices. En effet, si l’on parle de bande dessinée, il s’agira toujours, soit des grands classiques insurpassables, soit de la « nouvelle bande dessinée » à laquelle Pilote donne la parole à l’exclusion de toutes les autres formes actuelles. Y compris non-francophones. Si l’on parle de cinéma en revanche, on traitera uniquement des succès récents ou des films cultes commerciaux américains.

On peut par contre saluer les deux pages de Thierry Smolderen, qui expose avec concision pourquoi précisément la Bande Dessinée ne saurait être le parent pauvre du cinéma, l’une précédent l’autre de quelques siècles. Son article aurait d’ailleurs pu servir de point de départ à la conception de ce numéro, ce qui nous aurait évité quelques pages de parodie pénible, de rapprochements douteux et d’hommage servile (la palme revenant pour cette fois à Bastien Vivès et son histoire Cucurrucucu Paloma).

La maquette masque mal le vide du rédactionnel
© Gotlib - Dargaud

Gisèle de Haan, qui coordone le numéro, interroge Patrice Leconte, réalisateur de l’historique Les Vécés étaient fermés de l’intérieur, adapté des personnages de Gotlib, et auteur dans Pilote au début des années 70. L’échange amène des considérations farfelues, sur le Cinéma d’animation qui deviendrait, sous nos yeux ébahis, une forme d’expression adulte , et sur la Bande Dessinée qui le serait devenu dans les années 70 -grâce à Pilote bien entendu. Patrice Leconte pour sa part semble admettre que l’animation permet une plus grande expressivité au cinéma, tandis qu’il fustige les auteurs de bande dessinée passés réalisateurs, sans argumenter ou citer de nom.

Autre interview, celle d’Anne Goscinny, qui visiblement ne s’y entend ni en bande dessinée, ni en cinéma, puisqu’elle a donné son aval à l’avalanche de productions des films adaptés de l’oeuvre de son père. A moins qu’elle ne signe les yeux fermés. Entre autres justifications falacieuses et inélégantes [1], on pourra lire que l’héritière considère l’adaptation du Petit Nicolas comme réussie : « Beaucoup de gens sont allé voir le film sans connaître les livres, et ils ont acheté les livres après ». C’est donc bien en terme de vente qu’il faut entendre cette réussite, dès lors incontestable.

C’est Marie-Ange Guillaume [2] qui lui tend le micro. Elle signe deux autres articles, une flatterie du grand auteur Fred, et trois pages d’épanchements en roue libre, comme à l’époque de la rubrique Images. Elle est malheureusement loin d’égaler Jean-Pierre Dionnet, toujours drôle et piquant, dans l’exercice de la causerie. Celui-ci relate son parcours asiatique dans les années 90. Intéressant, si ce n’est qu’une tendance au radotage se dessine, et que l’article aurait pu paraître dans n’importe quel autre support, à n’importe quelle occasion.

Générique, lui aussi, Hugo Cassavetti [3] passe les plats, avec un portrait d’Alain Chabat, et une interview de Benoît Delépine, judicieusement illustrée par Pascal Rabaté, sur le mode "Pilote m’a sauvé la vie". Coup de chance, l’auteur de Groland, et scénariste pour Diego Aragena, aussi au sommaire de ce numéro, a effectivement des choses à dire sur les rapports entre Bande Dessinée et Cinéma. Un sujet qu’on a failli perdre de vue.

Clairement orienté vers la génération qui a connu le Pilote original et lit de nos jours Télérama, cet énième numéro commémoratif ne convainc pas, principalement à cause de son incapacité à parler d’aujourd’hui, y compris par la voix d’auteurs actuels. Ce numéro pourra être rangé à côté des derniers numéros publiés en 1989, et lu avec la même curiosité. Le manque flagrant d’initiative, la pesanteur éditoriale sont les mêmes qu’alors. On repensera en particulier à la tiède collection Poisson Pilote lancée par Guy Vidal, supposée courageuse il y a dix ans, et qui a tout fait pour limiter les risques, et du coup les succès, depuis.

Toujours aussi indigent, Pilote est également devenu grippe-sou : après un Spécial Mai 68 en 2008 de 162 pages, vendu 7,90 euros, le spécial 69 Année Erotique en 2009 était passé à 148 pages. Pour le même prix, le présent numéro offre 130 pages.

(par Beatriz Capio)

Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.

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Code EAN :

[1« Astérix et Obélix contre César a eu le mérite d’ouvrir le feu et c’était courageux. Un peu comme le premier monsieur qui te saute […] pas forcément formidable mais courageux »

[2Biographe de Desproges, écrivaine et chroniqueuse

[3Journaliste musique chez Télérama et France Inter

 
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23 Messages :
  • Encore une critique au vitriol qui va donner lieu à bien des commentaires indignés, et pourtant, l’expression d’un esprit indépendant, qui va à l’encontre du consensus mou, est une preuve d’intelligence et d’objectivité. Je suis un grand nostalgique des années de ma jeunesse, donc j’ai acheté cette parution sans hésiter, mais c’est vrai que je m’attendais un peu à mieux. Vous avez confirmé cette impression tiédasse, et je vous en remercie. Bien cordialement !

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    • Répondu par Sergio Salma le 9 juillet 2010 à  17:34 :

      Pas du tout d’accord mais alors pas du tout. Je trouve ce numéro très réussi, amusant, varié avec des auteurs tous azimuts qu’il est épatant de retrouver le temps d’une petite apparition. Si je me permets d’intervenir c’est évidemment à cause de la virulence de la critique mais aussi peut-être pour susciter une réflexion . Le magazine de bandes dessinées est devenu un phénomène rare, un magazine de cette ampleur revient côtoyer en kiosque les vétérans Spirou et Fluide ou Psykopat. Puis il y a aussi Lanfeust mag ou bien encore des dizaines de supports où la bande dessinée est un des éléments rédactionnels.

      Je ne comprends pas, chère Béatriz , pourquoi l’ attaque frontale est aussi agressive . Pour ma part , je trouve que le sujet BD et ciné même en n’étant pas incroyablement stupéfiant est une bonne occasion de solliciter différentes pattes.(Sur le même sujet un Fluide glacial hors-série thème : le cinéma)

      je crois que ce qui suscite le rejet et même un rejet violent de la part de certains lecteurs est lié à un phénomène relativement nouveau. Pour plaire au lecteur, on demande maintenant aux auteurs l’excellence. Et l’excellence passe souvent par une implication, une immersion dans un sujet, un travail de longue haleine . Tous nos coups de coeur sont souvent des oeuvres essentielles autant pour l’auteur que pour le lecteur qui sentira cette osmose( pas seulement pour des sujets dramatiques ). L’exercice de la revue, du thème(ah ! les spéciaux Noël ou vacances !) imposé aux auteurs demande une autre approche( en tant que consommateur, acheteur...). C’est plus léger mais mine de rien je trouve que l’on peut déceler justement au travers d’un boulot de commande la façon de faire d’un auteur. C’est vraiment la bande dessinée dans ce qu’elle a de plus simple .

      En cela le numéro de Pilote est absolument équilibré, il y a des documents, des photos, des interventions d’auteurs et de personnalités qu’on aime bien. Un autre rédac-chef avec le même thème aurait pu faire un tout autre numéro.

      Je trouve que les auteurs et dessinateurs s’en tirent très bien justement . Ils s’acquittent bien entendu d’un travail qui vient en plus de leurs séries ou albums respectifs mais on peut donc découvrir de petites histoires courtes bien troussées , raconter d’une manière concise en 2 pages en partant d’un thème imposé est un exercice bien plus complexe qu’il n’y paraît.
      Bien sûr c’est plus dispensable, plus futile. Quand on sait d’ailleurs ce que pensaient certains auteurs de la religion par exemple et puis ce qu’ils arrivaient à faire autour de thèmes comme Pâques ou Noël, on peut vraiment en conclure que l’art naît de la contrainte.

      Ce que Béatriz Capio taxe de minimum syndical ne l’est pas. C’est beaucoup plus sympathique que ça ;car toutes ces personnes qui ont été sollicitées auraient pu refuser. Elles ont interrompu leurs travaux habituels pour participer à une pratique éditoriale tellement agréable. On peut constater que la grande majorité des lecteurs n’est plus spécialement attiré par cette exercice.

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      • Répondu par Beatriz Capio le 10 juillet 2010 à  10:05 :

        Ce que je reproche à ce Pilote, c’est de ne prendre aucun risque. La prise de risque est pour moi la vraie raison d’être d’une revue, tant pour les éditeurs que les auteurs. C’est précisément l’histoire de Pilote, Goscinny professant que le lecteur ne sait pas ce qu’il veut et que c’est au journal de le lui montrer, et de le surprendre.

        Que la rentabilité économique du titre soit incertaine (j’en doute sincèrement), et contraigne à appeler toujours les mêmes grands noms, ou à adopter des sujets bateaux ou racoleurs (Mai 68, 69 Année érotique) est une chose. Qu’une éditrice ne fasse que des choix (y compris parmi les rédacteurs) pré-approuvés par le public ou les médias bourgeois traditionnels en est une autre. Et cela n’a que peu à voir avec le mérite individuel des contributeurs.

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        • Répondu par Roland le 20 juillet 2010 à  10:43 :

          "Qu’une éditrice ne fasse que des choix (y compris parmi les rédacteurs) pré-approuvés par le public ou les médias bourgeois traditionnels en est une autre. "

          Il me semble que s’agit surtout d’auteurs pré-approuvés par les médias intellobranchés (plutot que bourgeois traditionels), non ?

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        • Répondu par Sergio Salma le 6 août 2010 à  14:10 :

          Presqu’un mois pour répondre, chère Béatriz, je suis lent à la détente, pardon.
          En fait, je réagis à votre critique" Pilote ne prend pas de risque." Ne trouvez-vous pas, sincèrement, qu’aujourd’hui éditer une quelconque revue est un formidable risque ? Ils savent aussi qu’ils ne vont pas cartonner outre-mesure. La réunion de talents , d’idées, l’éditorial sont une aventure aujourd’hui où plus personne ne se risque.
          Ici bien sûr, c’est une publication épisodique, tranquille, mesurée. Mais n’allez pas demander à une structure ( même très solide) d’aller jouer le défricheur puisque l’ambition est d’apparaître de temps en temps dans les kiosques avec du matériel plaisant.

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  • On repensera en particulier à la tiède collection Poisson Pilote lancée par Guy Vidal, supposée courageuse il y a dix ans, et qui a tout fait pour limiter les risques, et du coup les succès, depuis.

    En juin 2000, je proposais un projet pour cette, alors, nouvelle collection censée être pointue et ambitieuse.
    Je reçus quelques temps plus tard un refus manuscrit de Guy Vidal disant "Humour,style sont là...Hélas, le tout un peu...trop pointu"

    La tièdeur était de mise dès l’origine.

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    • Répondu le 6 juillet 2010 à  11:22 :

      Bien sûr, puisque L.C. y a été refusé, c’est que la collection était trop frileuse... Ou encore que G.VIdal était un homme poli.

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      • Répondu le 6 juillet 2010 à  18:30 :

        Ce qui est intéressant, c’est la raison du refus : "trop pointu".

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        • Répondu le 7 juillet 2010 à  07:50 :

          C’est l’humour élégant de Guy... Mais bon, comme LC ne l’a pas connu et qu’il a la finesse d’un rouleau compresseur, il ne peut pas comprendre, le pauvre !

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          • Répondu par Fab le 7 juillet 2010 à  14:16 :

            LC ne l’a pas connu et qu’il a la finesse d’un rouleau compresseur

            Rien ne dit que LC n’a pas connu Guy Vidal. Vous semblez avoir reconnu qui est LC, moi pas (il n’y a que Laurent Chabosy que je trouve mais il a été publié chez poisson pilote, ça ne marche pas),si vous pouviez éclairer ma lanterne.

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            • Répondu le 7 juillet 2010 à  19:59 :

              LC n’a pas connu Guy Vidal parce qu’autrement, il ne se permettrait pas de parler de lui en ces termes. Ce qui est sûr, c’est que ce n’est pas Lewis. Lewis avait trop de respect pour Guy.
              Et si Madame Capio avait connu Guy, elle mesurerait ses mots...

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              • Répondu par Fab le 8 juillet 2010 à  01:34 :

                LC n’a pas connu Guy Vidal parce qu’autrement, il ne se permettrait pas de parler de lui en ces termes.

                En quels termes en a-t-il parlé ? Dans l’article ? Ailleurs ? J’ai loupé un épisode là.

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                • Répondu le 8 juillet 2010 à  08:12 :

                  "La tiédeur était de mise à l’origine".

                  C’est faux. Cette collection était risquée pour une maison de la taille de Dargaud. Guy n’a jamais été tiède.

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            • Répondu le 8 juillet 2010 à  08:01 :

              Je crois qu’il s’agit de Laurent Colonnier

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    • Répondu par LC le 11 juillet 2010 à  20:28 :

      J’ai répondu plusieurs fois aux commentaires ci-dessous, mais aucune de mes réponses n’a été prise en compte.

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  • heureusement qu’actuabd est là pour relever le niveau d’un milieu qui a "du gras autour du coeur et du cerveau", comme disait Jacques Brel. Les éditeurs prennent vraiment les gens pour des idiots, avec leurs formules réchauffées

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  • Bravo pour cet article, c’est exactement ce que j’ai ressenti à la lecture de ce numéro (que je n’ai pourtant pas pu m’empêcher d’acheter...grrr !)

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    • Répondu le 11 juillet 2010 à  08:53 :

      j ai beaucoup travaille avec Dargaud sur le passage de la Bande Dessinee au numerique et je peux vous dire qu ils font tellemment attention a leur "heritage" qu ils n ont meme pas depose PILOTE.FR ni PILOTE.COM, ils ont prefere IZNEO, c est vous dire si tout ca n est pas que du marketting...

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  • Vous avez absolument raison Mlle Capio, ce numéro atteint des sommets de vide absolu ahurissants, le thème du numéro aurait titré "bédé et médiocrité", nous n’aurions pas eu autre chose... Une seule chose absolument étrange dans ce numéro est l’excellente histoire de Blutch, mais que fait il là... Vous n’en parlez pas d’ailleurs, pas aimée...

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  • Anne Goscinny ne s’y entend pas en BD puisque de son propre aveu elle n’aime pas vraiment ça.Son truc à elle c’est Henry Troyat

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