Comment vous est venue cette idée d’adapter une partie de la vie de Frida Kahlo ?
Flore Balthazar : Je connaissais Frida pour avoir lu sa correspondance. J’aime également mettre en scène des personnages féminins, car j’éprouve plus de facilité à les faire bouger. Sans oublier le fait qu’elle est peintre et réalise un travail graphique, ce qui la rendait doublement intéressante à mes yeux.
Jean-Luc Cornette : L’œuvre de Frida est bien entendu intéressante, mais sa vie et son destin le sont tout autant ! C’est un mélange de belles choses et de souffrances, qui l’a rendue si forte. On ne l’évoque d’ailleurs pas dans le livre, mais elle a vécu un terrible accident à 18 ans qui l’a laissée partiellement handicapée. Frida est presque un personnage de roman !
Pourquoi avoir justement éludé cet accident de bus, que vous n’évoquez que dans la biographie en fin d’album ?, afin de débuter le récit avec l’arrivée de Trotski au Mexique ?
Jean-Luc Cornette : Tout-à-fait, après avoir assimilé beaucoup de documentation, nous avons pris le parti de nous concentrer sur cette période très riche de sa vie. Nous ne voulions pas réaliser une biographie au sens large, ce qui aurait pris six cents ou mille pages ! Nous avons donc choisi de ne pas évoquer sa vie avant Trotski, ni après, un certain moment. Les éditions Delcourt nous ont effectivement permis de réaliser un petit dossier qui remet cette période en situation pour les lecteurs qui ne connaissaient pas du tout le personnage.
Si Frida semble en souffrance, elle semble également dans quête perpétuelle : de sexe, d’art et de réflexion...
Flore Balthazar : C’était une personne forte et éminemment vivante ! Lorsqu’on ressent très fort la souffrance, on est également très sensible à la joie. Elle était sans doute hyper-sensible, autant physiquement que psychologiquement. Ces contrastes produisent donc une vie haute en couleurs.
Le couple qu’elle forme avec Diego Rivera est également hors norme. Ils se courent autant l’un derrière l’autre qu’ils se disputent. Sans compter les aventures extra-conjugales que vous leur prêtez à chacun, à de nombreuses reprises.
Flore Balthazar : Selon moi, ils ne pouvaient ni vivre ensemble, ni séparés ! Puis dans un couple, il est difficile de faire cohabiter deux génies. Normalement, le génie aime vivre avec une muse qui fait aussi la vaisselle et le ménage. Mais dans leur couple, il était impossible que l’une s’efface pour l’autre. C’est pour cela que, selon moi, ils avaient tous les deux des amants et des maîtresses qui jouaient ce rôle, pour le du repos du guerrier. Diego avait semble-t-il une propension à sauter sur tout ce qui bougeait, et Frida, ayant été initiée par lui, avait certainement décidé qu’il ne pouvait alors pas être le seul à s’amuser.
Dans votre première partie, vous analysez en détails les principes et le combat de Trotski. Était-ce important de montrer cette place qu’il avait prise pour Frida Kahlo ?
Jean-Luc Cornette : J’ai surtout voulu mettre en parallèle les différentes vies de Frida et Diego, leur vie sentimentale, artistique, politique et sociale, au travers de quatre personnages : le couple bien entendu, mais aussi Trotski, ainsi que Ramon Mercader, son meurtrier. La seconde partie du livre donne d’ailleurs un éclairage sur les commanditaires de ce dernier, dont sa propre mère. Nous nous sommes focalisés sur ces années grouillantes et tourbillonnantes où cela pétaradait dans tous les sens. J’avais l’impression que pas une journée de ces quatre années ne se passait dans l’ennui. Dans cet intervalle, Frida consent à exposer ses peintures. De passionnée dans l’ombre de son mari, elle devient alors une artiste reconnue.
Vous décrivez également le choc de cultures avec les artistes parisiens, notamment avec l’écrivain surréaliste André Breton...
Flore Balthazar : Pour Frida, ce monde de intelligentsia parisienne était assez hallucinant : alors qu’ils devisaient de la révolution à la terrasse du Café de Flore armé de ballons de rouge, la situation au Mexique prenaient des tournures autrement plus sérieuses. Frida avait d’ailleurs décidé que sa date de naissance serait celle de la révolution mexicaine.
Comment vous êtes-vous documentés pour représenter cette période de vie foisonnante qui se partage sur près de trois continents ?
Flore Balthazar : Je me suis récemment rendu compte que j’avais emmagasiné plus de trois mille photos, principalement d’eux deux ainsi que de ses peintures. Jean-Luc et moi nous sommes également rendus au Mexique, grâce à une bourse Wallonie-Bruxelles. Nous voulions visiter les lieux symptomatiques de leur vie. Nous avons donc pris beaucoup de clichés, avant de nous en distancier afin qu’ils deviennent des personnages de bande dessinée.
Jean-Luc Cornette : Pour ma part, j’avais bien entendu beaucoup lu : des biographies plus ou moins réussies, ses carnets de correspondance ainsi que le film qui est très bien réalisé. Elle est un sujet d’intérêt permanent, et même après avoir terminé le scénario, j’ai continué à m’y intéresser.
Cette expérience vous a-t-elle donné envie de continuer à travailler ensemble ?
Jean-Luc Cornette : Oui, tout-à-fait ! Même si nous sommes actuellement partis sur des projets différents. Pour ma part, je travaille sur beaucoup de choses ! Les plus actuelles sont : une nouvelle pour le recueil Bruxelles noir dans la foulée de mon premier roman publié fin 2014 ; un siècle d’Histoire du Laos dans un gros one-shot intitulé Un Million d’éléphants dessiné par Vanyda et qui paraîtra chez Futuropolis ; une autre biographie sur Klimt dessinée par Marc-Renier à paraître chez Glénat dans la série des Grands Peintres ; un Chlorophylle au Lombard dessiné par René Hausman, etc.
Mais de mon côté, tout cela est déjà écrit, et je suis en train de voir si je me remettrais au dessin, ainsi que Futuropolis m’encourage.
Flore Balthazar : J’ai décidé de réaliser mon premier projet au scénario et au dessin. C’est un sujet qui me touche personnellement, car je travaille sur des archives familiales, à savoir l’adaptation du journal de guerre de ma grand-mère. Je suis actuellement en pleine recherche de documentation. Un sujet passionnant !
Propos recueillis par Charles-Louis Detournay
(par Charles-Louis Detournay)
Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.
Commander l’album sur Amazon.fr ou sur FNAC.com
Lire notre chronique de Frida Kahlo
Des mêmes auteurs, lire Miss Annie - Par Flore Balthazar & Frank Le Gall - Dupuis, ainsi que des interviews de Jean-Luc Cornette :
"Nos autorités morcellent notre identité mais, à l’étranger, on dit quand même que l’on est belge." (juillet 2013)
"La manière la plus juste pour parler d’érotisme est de mettre en scène un couple !" (mars 2009)
"Avec ’La Nuit du Papillon’, je voulais m’intéresser à la temporalité" (novembre 2006)
"Mes personnages sont souvent un peu étranges et décalés" (octobre 2005)
Photo en médaillon : CL Detournay
Participez à la discussion