Appelons « Bande Dessinée Numérique » une BD qui se décline sur un support électronique, à la différence d’une publication en presse ou en livre. Le sujet a pris suffisamment d’importance ces dernières années pour que nous y consacrions régulièrement des articles de synthèse que nous regroupons dans un dossier spécifique.
Toute la filière du livre est concernée par les évolutions sur ces supports, au point que le Groupement des Auteurs de BD a récemment produit un « Appel du numérique » qui a secoué le Landerneau germano-pratin. soutenu par la Société des Gens de Lettre et le SNAC (Syndicat national des auteurs et des compositeurs). Il a, selon nos informations, été signé par 1300 signataires dont 800 auteurs de BD professionnels !
Le Groupement des Auteurs de BD a été constitué ces dernières années sous l’aile protectrice du SNAC précisément. Parmi ses fondateurs, on compte des auteurs reconnus comme Alfred, Christophe Arleston, Virginie Augustin, Alain Ayroles, Denis Bajram, Joseph Béhé, David Chauvel, Franck Giroud, Richard Guerineau, Cyril Pedrosa, Valérie Mangin, Lewis Trondheim, ou Fabien Vehlmann.
Par ailleurs, le SNE (Syndicat National de l’Édition) dispose d’une section qui défend spécifiquement les intérêts des éditeurs de BD. On notera tous les éditeurs n’y sont pas représentés puisque Soleil, par exemple, a décidé de quitter ce groupement présidé par le PDG de Casterman, Louis Delas.
L’un comme l’autre de ces organes représentatifs regardent avec attention les développements de l’industrie numérique et en particulier, ces derniers temps, l’évolution des moteurs de lecture de BD sur écran, de même que celui des supports, (téléphone, console de jeu vidéo, ou tablette numérique…) Des réflexions sont menées, notamment dans le cadre de journées d’études comme récemment à La Cité des sciences ou, prochainement, aux Universités d’été à Angoulême.
La révolution numérique
« La révolution numérique que nous sommes en train de vivre est une révolution sociologique passionnante, écrit Jean-Marie Moreau, président du SNAC, mais elle doit se faire avec les trois parties concernées, à savoir les auteurs, les consommateurs et les industriels. » Dans ces prémisses où l’on considère curieusement les éditeurs comme des « industriels », on oublie singulièrement les autres acteurs de la chaîne du livre, les fabricants, les libraires ou les instances de formation, comme les écoles par exemple. Eux aussi pourtant sont impactés par le mouvement qui vient et tous sont également très inquiets de cette évolution.
Ces dernières années, différents acteurs se sont en effet positionnés sur le marché du livre électronique : Google a réussi en un temps record à devenir le détenteur d’un énorme catalogue en numérisant des ouvrages soit dans le domaine public, soit en accord avec les éditeurs, parfois même à défaut de cet accord si l’on en croit les procédures en justice dont cette société fait l’objet. À la fin 2009, le cap de 10 millions de titres numérisés avait été atteint. Une forme de monopole qui inquiète, puisque cette société numérise surtout des ouvrages qui sont dans le domaine public, c’est à dire la majorité des grands auteurs classiques. Jusqu’ici, la BD est restée en dehors de cette campagne de numérisation sans doute parce que comics, mangas et albums sont des produits d’édition sont plus récents encore frappés par le droit d’auteur.
Une multiplicité de supports
Par ailleurs, plusieurs opérateurs ont, dans le domaine de la BD, tenté de fédérer une offre, que ce soit en PDF et en ligne comme Relay.fr ou Le Kiosque.fr, mais aussi des librairies comme Fnac / Cyberlibris, VirginMega ou encore l’Association des Libraires BD / Canal BD associée à Mobilire.
C’est bien entendu la création originale, individuelle, avec les blogs d’auteurs de plus en plus nombreux, ou collective comme 30 Jours de BD ou Lapin par exemple, avec des réussites étonnantes comme Cafe Salé qui se montrent le mieux capables de fédérer des communautés motivées.
Dans le domaine du téléphone, l’Iphone a fait une percée remarquée qui sera sans doute prolongée par l’iPad, une tablette numérique du format d’une BD, et ce nouvel acteur dispose déjà dans son store iTunes d’un grand nombre de titres de BD. Plusieurs acteurs parmi lesquels Mobilire, Aquafadas / Ave !Comics, Extralive / Choyouz, DigiBiDi, etc. ont développés des moteurs de lecture parfois très smart qui permet de lire de la BD sur n’importe quel téléphone portable.
Enfin, encore embryonnaire, l’offre de bandes dessinées sur les consoles de jeux vidéo, encore peu développée dans nos contrées est une autre réalité. Mais au Japon, les éditeurs japonais Shueisha, Shogakukan, Kadokawa Group Publishing, Kodansha, et TOSE ont signé il y a deux ans avec Nintendo un accord qui leur permet d’offrir une offre de mangas aux possesseurs de la Wii.
Marché et modèle économique
Tout ceci se met en place mais, le pire, c’est que pour l’instant tout cela ne rapporte rien. Ou pas grand chose. Les consommateurs de BD numérique sont au pire quelques centaines, au mieux quelques milliers, et pas en quantité suffisante pour être rentables. Le modèle économique des opérateurs de la BD numérique aujourd’hui consiste dès lors soit à travailler gratuitement (les blogs BD d’auteurs), soit à vivre sur le capital d’actionnaires qui attendent des jours meilleurs pour voir un retour sur leur investissement, soit en profitant des aides régionales ou de l’état.
Cette situation profite aux gros opérateurs disposant d’un budget de Recherche et Développement conséquent et/ou qui viennent chercher dans la BD de quoi grappiller encore de nouvelles parts de marché comme cela a très bien été expliqué par Claudia Zimmer (Ave !Comics) dans un précédent article, dès 2008 : « Nous ne sommes qu’un petit sillon derrière celui, énorme, de la musique, de la vidéo et du jeu vidéo. Au Japon et en Corée, ces nouveaux supports sont déjà installés mais dans des formes primitives. On est dans du « case par case » avec des déplacements relativement sommaires. Mais l’avantage de ces pays-là, c’est leur très forte habitude de l’achat par le téléphone portable. Les Japonais achètent déjà de la BD par ce truchement. En France, on en est encore loin ! En Corée, le marché de la BD numérique a atteint le marché papier en quatre ans. On voit apparaître aussi de la part des éditeurs japonais, et ce , de plus en plus, une attitude de marketing agressif. Ils décident eux-même de laisser des segments inédits de leurs BD, procédant à une sorte de prépublication en ligne, afin de créer un trafic, de repérer les blockbusters et de lancer ensuite en librairie ce qui a marché sous cette forme. Marvel et DC Comics sont sur les mêmes types de schéma. »
Il est évident que la Tablet d’Apple, l’iPad, qui sera disponible fin mai et qui est appelée à un succès retentissant, changera complètement la donne. L’usage de la BD sur ce type de support offre l’avantage de pouvoir acheter de la BD comme on achète un morceau de musique, en deux temps et trois clics. Par ailleurs, une fois l’effet d’annonce de cette nouvelle tablette à la pomme passée, les autres éditeurs et constructeurs vont proposer d’autres modèles, tout aussi performants, peut-être moins chers et compatibles avec votre PC. L’enjeu est donc aussi technologique, l’objet fusionnant la fonction de console de jeu vidéo, de visionneuse de film, et de lecteur de magazines et de journaux.
Que faire face à ces évolutions ?
(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))
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