Mercredi 22 avril à 9h30. Conférence de presse dans un quartier chic de Paris afin de rencontrer la société Unibook qui produit de « l’impression à la demande pour les particuliers et les professionnels. » Cette société belge basée à Puurs près d’Anvers, a été créée en 2007 et est la filiale d’un relieur, Unibind (Peleman Industries), qui voit dans cette activité nouvelle matière à diversification.
Son offre s’adresse aux auteurs qui veulent publier leur livre et qui ne trouvent pas d’éditeur, mais aussi aux éditeurs qui désirent conserver la disponibilité d’un titre sans avoir à le réimprimer.
Imprimer à la demande
C’est simple comme bonjour : Un assistant d’édition en ligne sur le site d’Unibook vous invite à poster votre ouvrage dans le format PDF, à en définir le format et la reliure (souple ou cartonnée). Le lecteur désire l’acheter ? On lui imprime son exemplaire et on le lui envoie. On peut même envisager à l’avenir de le customiser avec une dédicace en ajoutant la mention « Cadeau d’anniversaire de la part de Tatie à sa nièce préférée ». Tout cela est possible, avec même une infinité de variations, comme nous vous l’expliquerons dans un prochain article. Unibook se charge d’imprimer et d‘expédier l’ouvrage que le consommateur aura commandé –et préalablement payé- sur le Net, le tout gratuitement pour l’auteur ou l’ayant-droit.
Pas de stock : l’exemplaire est spécialement fabriqué pour le client qui profite des économies d’échelle opérées sur le prix du papier (il est assez standard), l’amortissement des machines, le conditionnement et l’expédition et éventuellement de la reliure.
Unibook reverse directement le droit d’auteur, ou la marge que l’ayant-droit lui aura préalablement indiquée et qui se trouve incluse dans le prix du livre, TVA comprise. Le tout reversé sur un compte Paypal, déduit des frais de l’impression. Son site comporte déjà 1500 titres disponibles.
Un service concurrent des éditeurs ?
Ce marché du livre à la demande est un véritable phénomène aux États-Unis. À la fin de 2008, lil comportait plus de 134.000 références, dont de nombreuses bandes dessinées. Pour l’auteur [1], c’est l’assurance d’avoir son ouvrage disponible en permanence pour un titre ancien ; pour le débutant ou le particulier, c’est la possibilité de publier lui-même un ouvrage sans passer par le filtre d’un éditeur et d’un diffuseur.
L’ouvrage peut être une chronique familiale ou villageoise destinée à une très petite communauté, mais aussi, on le comprend bien, une thèse universitaire, un rapport d’entreprise, un bulletin périodique, etc. Du fanzinat professionnel en quelque sorte. Les ouvrages que nous avons pu consulter ont une jolie qualité d’impression.
L’auteur conserve ses droits (Unibook n’est pas un éditeur, seulement un prestataire de service) et peut décider, en cas de succès, de passer l’ouvrage chez un éditeur classique, interrompant le processus à tout moment.
Pour l’éditeur, ce procédé ouvre l’opportunité de conserver en disponibilité des titres sans en assumer le risque économique et de les diffuser dans le monde entier. Économie de stockage, place gagnée et développement durable assurés ! En outre, s’il prend le risque d’assumer une traduction, l’éditeur peut rendre son titre disponible dans les langues de son choix. Le service Unibook a été lancé [2] en Hollande et en Belgique en 2007. Aujourd’hui, il est présent au Benelux, en Pologne, au Japon, aux États-Unis, en Espagne, dans les pays baltes et en Croatie.
Conscient que libraires et les éditeurs peuvent se sentir menacés, Unibook a exploré en Hollande et en Belgique des partenariats avec des éditeurs et des circuits de distribution. Si l’éditeur a pris soin d’inscrire son ouvrage dans une base de données de type Electre, l’outil de base qu’utilisent les libraires pour commander les livres, le titre peut être déclaré « disponible chez Unibook » et commandé par le point de vente. Mais cette méthode de commercialisation est encore au stade exploratoire en France pour la société belge.
Une révolution conceptuelle
Cette alliance du PoD (Print On Demand) avec le e-commerce pourrait bien révolutionner les rapports auteur – éditeur et même éditeur – consommateur dans les années à venir.
La fameuse « complainte de la surproduction » poussée par les éditeurs et les libraires justifiée par une inflation de la production des titres sans une augmentation équivalente des capacités de financement et de stockage, trouverait là une forme de réponse.
« L’histoire moderne de l’édition est aussi une histoire de supports, explique Constance Krebs dans un brillant article pour La Revue des ressources [3]. Le premier, Hachette mise sur les manuels scolaires à cause de la diffusion massive que leur vente implique (accords avec le ministère de l’Instruction publique en 1830, au moment des lois Guizot sur l’enseignement). Plus de 150 ans plus tard, il est aussi le premier éditeur d’ouvrages imprimés à s’associer durablement avec le diffuseur de textes numériques Numilog (2008). Parallèlement à ce partenariat, il remodèle son site internet en profondeur, de façon à utiliser les réseaux communautaires de lecteurs, et participe activement à représenter l’édition en Europe. »
Elle enfonce le clou et évoque la « crise de l’édition » : « La diffusion-distribution est au cœur du marché du livre aujourd’hui. Son mécanisme – impression en masse moins chère qu’en courts tirages, mise à l’office de livres que les libraires ne souhaitent pas forcément, stocks lourds à gérer, soldes quasi inévitables sur des petits marchés de beaux livres, pilons courants sur des invendus de livres en noir – est conduit par les grands groupes d’édition qui détiennent tous un système de diffusion-distribution. Rentable pour les grands, la trésorerie qu’il implique a, depuis quelques années, multiplié la production. Pour les petits qui ne sont ni diffuseurs ni distributeurs, la gestion des stocks devient de plus en plus tendue. Elle provoque retours importants, difficultés de trésorerie, effets sur la masse salariale de l’édition, externalisation des compétences éditoriales, baisse des tarifs de ces prestations, et infléchissement de l’embauche. Autrement dit, une crise. »
Elle avance l’édition « multi-supports » comme une solution responsable : « …il est de la responsabilité des éditeurs, [...]d’offrir la possibilité de voir leur texte aller à la rencontre des lecteurs. Qu’il se démultiplie, ce texte, sur différents formats, sur tablette, sur écran, sur téléphone ou imprimé, chaque format ayant un prix unique. »
le rôle de l’éditeur consiste, dès lors, à « …encourager la création tout en maintenant la nécessaire barrière critique. Il est aussi de diffuser le texte le plus largement possible (blog wordpress et tissage de liens, communautés de lecteurs, travail avec les libraires, abonnement avec les bibliothèques…), et de rendre le texte pérenne par des supports inaliénables (papier, et structuration XML avec archivage OAI [4]). »
La « BdoD »
Dans un article pionnier, le bloggeur Sébastien Célimon [5] donne quelques exemples d’auteurs professionnels qui ont fait le pas de la BdoD (« BD On Demand ») dont Richard di Martino édité chez Vents d’Ouest (Malek Sliman, Outre-Tombe, George Dandin), chez Bamboo (Les Fondus du jardinage) et chez Paquet (Eddy l’Angoisse, coll. Discover), et qui anime un blog plutôt amusant. Il publie chez Lulu.com une BD dont le format et la couverture font allusion aux premiers Gaston de Franquin & Jidéhem : « Écoute-moi, Moah ! ». Elle est téléchargeable pour 8,75 euros ou achetable sous la forme de livre (livraison comprise) pour 19,29 euros.
Lulu.com est le modèle d’Unibook. Créé en 2002 par Bob Young, le créateur de Red Hat, le leader mondial des logiciels "open source", ce site américain se présente comme « le premier des sites d’auto-publication » et revendique pas moins de 15.000 nouveaux membres par semaine, dans 80 pays. Son catalogue comporte quelque 7000 références de BD, mangas et humour, majoritairement en anglais, il est vrai.
Gilles Ratier de l’ACBD va devoir ouvrir une nouvelle rubrique dans sa comptabilité annuelle pour intégrer cette nouvelle donne [6].
On notera dans le catalogue des BD de Lulu.com cet ouvrage de Diana Sasse, inédit en librairie : « Les Aventures de J.F. Kennedy » éditées en anglais, en français et en allemand (18 euros, cartonné couleurs).
Il a comme sous-titre :« L’Empire de l’obscurité »... Une belle métaphore pour décrire la perception que nous avons aujourd’hui de l’avenir du livre.
(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))
Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.
En médaillon : Dessin de Richard di Martino, extrait de la couverture de son album auto-produit.
Lire notre dossier LA BANDE DESSINÉE NUMÉRIQUE
[1] 80% des clients d’Unibook sont des auteurs.
[2] Sous la marque Wwaow.com. Pour des raisons techniques, elle n’a pas pu être conservée.
[3] Krebs, Constance, Bataille du numérique à l’heure de l’imprimé, 20 avril 2009.
[4] Wikipedia : "L’Open Archives Initiative (initiative pour des archives ouvertes), généralement abrégée en OAI est un projet qui vise à faciliter l’échange et la valorisation d’archives numériques. Elle permet à des fournisseurs de services de moissonner des métadonnées sur les sites de fournisseurs de données. Il est ainsi possible d’utiliser un protocole OAI pour créer un outil de recherche simultanée dans plusieurs catalogues de bibliothèques."
[5] Célimon, Sébastien, BD sur Internet : la question de l’impression à la demande, 12 février 2009.
[6] Suggestion pour le titre : « De plus en plus numérique ! » ;)
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