Claude de Saint-Vincent, directeur général de Média-Participations (Dupuis, Dargaud, Lombard, Kana…) n’en faisait même plus un mystère lors du récent Salon du Livre de Paris : Le dernier Lucky Luke de Achdé & Gerra a fait 50.000 euros de chiffre d’affaire dans sa version numérique, soit 10.000 albums téléchargés. Il confirme que son groupe travaille sur des solutions numériques de lecture et que deux auteurs ayant travaillé séparément sur ces projets ont trouvé au final des solutions très semblables.
L’offre commerciale commence à se structurer et la bibliothèque numérique s’étend avec des catalogues disponibles sur Relay.com ou LeKiosque.fr au prix moyen de 4,90 euros par album (contre 10-12 euros pour une version papier). Des mangas sont également disponibles sur la toile à 2,90 euros contre environ 5 euros en librairie. Un auteur indépendant Bj de Bjbjbj.net proposait récemment une bande dessinée inédite de 24 pages pour trois euros. Pour faire la promotion de son site, il tenta de faire du buzz, contacta un forum pour brancher des internautes. Laissant un message promotionnel sur un site BD, il fut fort mal reçu par des internautes qui n’appréciaient pas son travail. Il décida d’arrêter sa publication et de rembourser ses abonnés, en attendant de trouver une solution plus viable.
Il ne faut pas oublier que ces prix incluent une TVA incluse de 19,6% au lieu de 5,5% sur le livre. LeKiosque.fr a offert le dernier Lanfeust en exclusivité, tandis que le dernier Épervier a eu les faveurs de Relay.com avec un affichage conséquent en guise de lancement.
Des gros éditeurs, mais aussi des petits, comme Des Ronds dans l’O, proposent leurs catalogues sur ces supports. D’une manière ou d’une autre, tout le monde veut y être.
Le calcul de Aymeric Baugin, PDG de HDS Digital, la filiale de Lagardère qui gère Relay.com, est très simple : « Les 200.000 inscrits au service de téléchargement de magazines de Relay.com découvrent depuis le début de cette année notre offre pilote de téléchargement de Livres et de BD sur PC/Mac. Les premiers résultats nous encouragent à développer notre offre et à positionner durablement Relay.com comme Retailer de divers contenus numériques, dont la bande dessinée. En ce sens, le lancement de L’Épervier et l’arrivée du catalogue de Soleil sur notre plateforme marque l’accélération de notre développement ». Rendez-vous dans quelques mois pour savoir si l’opération a marché.
Le téléphone aussi
Sur le téléphone aussi, l’offre se multiplie. Aquafadas développe des solutions de lecture déclinables aussi bien sur PC que sur Iphone et revendique « entre 5 et 10.000 » téléchargements du fameux dernier Lucky Luke sur son portail « Ave ! Comics ».
Au Salon du Livre, SFR proposait gratuitement sous forme de tests à la lecture des mangas francophones issus du catalogue Pika, sans même réfléchir au modèle économique, juste pour voir quelle attractivité pourrait avoir le produit.
Le téléphone semble avoir les faveurs de l’industrie de la BD en raison du fait que c’est pour le moment le seul support mobile qui permette une lecture en couleur en haute définition susceptible également d’offrir une rémunération simple et balisée sans risque de piratage. Les écrans tactiles, des moteurs de lecture adaptés, ont considérablement amélioré le confort de lecteur des bandes dessinées.
Mobilire propose déjà sur votre portable Léonard est un génie, licence Dargaud, Les Blondes ou Trolls de Troy, licences Soleil.
Comme il l’indique dans son entretien à notre collaborateur Thierry Lemaire, Patrick Abry, le patron de Xiao Pan a choisi Choyooz, marque ombrelle de ExtraLive, une société qui a développé des solutions de jeux vidéo pour le téléphone mobile et qui propose depuis peu un portail « BD Manga Store ».
Alain Kahn, le patron de Pika, réfléchit également à ces développements. Le patron de cette filiale du groupe Hachette Livres (Lagardère Groupe) faisait observer qu’au Japon, le marché du manga sur le téléphone était quatre fois plus important que celui de son usage sur PC et constitue aujourd’hui 4% du « Manga Size Market »qui serait de 5 milliards de dollars…
Les enjeux techniques dépassent d’ailleurs le seul téléphone portable. Au Salon, un écran géant utilisant SFR BD Player permettait de feuilleter en haute définition une BD avec une facilité déconcertante. L’argument est souvent : « prendriez-vous votre ordinateur pour lire au lit ? » Le jour où les e-books prendront des couleurs (c’est techniquement déjà une réalité), le format et le poids d’un album, le tout connecté à une bibliothèque en ligne par le truchement d’un abonnement téléphonique, le futur lecteur de BD pourra très bien de se passer du papier !
Piratage
La faveur des éditeurs pour le réseau téléphonique est justifié par le piratage, au cœur de nos débats parlementaires en ce moment. La fondatrice d’Aquafadas, Claudia Zimmer, pointe les scores pharamineux de fréquentation comme Onemanga.com qui met à disposition des mangas piratés sur le Net pour zéro dollar et zéro cent. Cela se compte en centaines de millions de pages vues. Comme pour le disque, les acteurs de l’édition vont devoir jouer avec ces paramètres. Et on voit déjà les éditeurs japonais favoriser la diffusion –souvent illicite- de leurs mangas gratuitement en ligne pour mieux construire le buzz qui permettra d’asseoir commercialement la série.
Le modèle payant mis en place par les éditeurs français est d’autant plus fragile que, pour ajouter à son supplice, un bon nombre de bandes dessinées sont disponibles déjà gratuitement sur le Net. Il y a les blogs BD d’amateurs, mais aussi des auteurs chevronnés comme récemment Pierre-Yves Gabrion qui s’est gardé les droits pour l’édition numérique.
Boulet ou Maliki ont leurs fans sur le Net et, sur ce point, ils ne doivent rien à leurs éditeurs, ce qui change fondamentalement leur relation par rapport à ceux-ci.
À cela s’ajoute une autre réalité : celle de pouvoir produire des bandes dessinées à la demande, sur le modèle de Lulu.com qui, s’il se développe peut également constituer une alternative crédible. La surproduction a encore de beaux jours devant elle !
Comme d’habitude, la révolution viendra d’un nouveau type de créateur : celui qui, faisant des œuvres spécifiques sur le Net et adaptées à ces nouveaux supports, sera capable de faire en sorte de réunir autour de lui une communauté de fans susceptible de pérenniser sa création.
(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))
Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.
Participez à la discussion