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Bande dessinée : soumission, avec ou sans "X" ?

Par Charles-Louis Detournay le 20 juin 2015                      Lien  
La soumission semble un sujet qui inspire les auteurs de BD comme en témoigne un certain nombre de nouveautés. Avec un thème pareil, on pense immédiatement aux éditeurs spécialisés de BD érotiques tels que Tabou et La Musardine, mais pas seulement. Ainsi, "La Cité des Esclaves", un manga ultra-efficace publié chez Casterman, ou encore "Déchus", un récit multi-genres lorgnant vers le comics publié par Graph Zeppelin, font partie du lot....

Qu’est-ce qui peut pousser une personne à en dominer une autre : le besoin de s’affirmer, le pouvoir, l’argent... ? Et que ressent-on lorsqu’on est asservi : du plaisir, de l’abandon à laisser son sort dans les mains d’un(e) autre ?

Bande dessinée : soumission, avec ou sans "X" ?Le manga en cours de parution chez Casterman répond partiellement à ces questions. Hiroto Ooishi & Shinichi Okada passent par le jeu pour décrire ces attentes et les sensations que la relation maître-esclave peut procurer. L’outil qui permet de provoquer cette relation de domination se nomme le SCM, ou Slave Control Method. La jeunesse désabusée de Tokyo joue à se faire peur grâce à cet objet qui alimente de nombreuses rumeurs sur Internet.

Il faut dire que le pitch de vente de cet appareil qui se place sur le palais est machiavélique : « Ennui, soif de vengeance, volonté de domination ? Le SCM est fait pour vous ! Rejoignez la communauté des porteurs de ce nouvel appareil révolutionnaire, défiez ses membres et faites-en des esclaves qui obéiront aveuglément, même au plus inavouables de vos désirs. Mais soyez sûr de votre coup, ou c’est vous qui deviendrez la chose de votre adversaire ! »

Ainsi, les porteurs d’un SCM se défient par n’importe quel jeu : de "pierre-papier-ciseau" (chifoumi) au "premier qui pleure a perdu", mais il prend une toute autre dimension lorsqu’il se déplace sur le terrain du sexe ou quand il se pratique à coup de parpaing ! Il n’en faut pas plus une galerie de protagonistes de ce jeu de massacre d’un nouveau genre pour se lancer dans une course éperdue à la manipulation. Mensonges et coups bas sont de mise...

Le lecteur l’aura compris en regardant les couvertures de ces ouvrages qui présentent des personnages pour moitié habillés en tenue SM : la série de La Cité des Esclaves s’adresse à un public averti. Pourtant, elle n’est pas centrée sur le sado-maso, ni d’ailleurs sur le sexe. Les rares dessins montrant des sexes sont floutés, et les quelques scènes de nus sont minoritaires.

L’intérêt réside sur la galerie de personnages : qu’est-ce qui motive chacun d’eux à pratiquer ce jeu pervers : l’ennui, l’excitation, le moyen de dominer ou d’être dominé, le pouvoir, l’argent, le besoin de retrouver un proche, la vengeance, etc. ? Le sel du récit se trouve dans ses retournements de situation : sous les apparences d’un jeu innocent, les réelles préoccupations des protagonistes s’avèrent au final bien plus souvent surprenantes.

Sans être érotique, La Cité des Esclaves est réservé à un public averti, la violence et la perversité des manipulations qui s’en dégagent pourraient choquer de jeunes lecteurs. Le nombre de personnages demandent également de lire plusieurs tomes d’affilée pour bien saisir les étranges relations qui les unissent. Cela n’enlève rien à l’impressionante construction du récit, dont le tome 5 est déjà prévu pour le mois d’août.

Nouveau départ pour Déchus

L’utilisation de scènes explicites n’est pas le corollaire obligatoire d’un récit érotique charpenté, Aurélien Guibert l’a bien compris. En 2011, il publiait le premier tome de sa série Déchus chez Tabou, annoncée en cinq volumes. Son histoire présentait des anges quittant le paradis pour entreprendre un tourisme sexuel sur Terre... En effet, l’incarnation permet à ces créatures asexuées de Dieu de découvrir l’extase des sensations physiques à en damner un saint. Mais le sexe avec un Déchu est une expérience si intense pour un humain qu’elle l’entraîne souvent dans la folie ou dans la mort. C’est pour cela que Le Créateur désire traquer ces Déchus, et leur envoie Esthel qui doit entreprendre le même chemin que ceux qu’elle pourchasse, sans succomber elle-même à la tentation.

Malgré une introduction parfois confuse (les premières séquences se déroulent à des moments différents), l’auteur transcrit bien les sentiments de ces anges qui s’adonnent à la nature humaine. À l’aide de récitatifs copieux, il alterne les rencontres marquantes. Une fois de plus, c’est le lien maître-esclave qui entre en jeu, comme l’explique le texte : "Est-ce le rapport de force permanent qui le lie aux autres ? Ce besoin de dominer ou d’être dominé, mais jamais à égalité ? D’affirmer son individualité uniquement au travers de son rapport à la masse ?"

Ce premier tome était intéressant à plus d’un titre. Tout d’abord, parce qu’il mêlait récit pornographique, polar, fantastiques et thriller. La BD X est souvent cantonnée à une succession de scènes très crues, et le fait de proposer une alternative à ce schéma lui donne une toute autre dimension. La mise en page de Guilbert, ses réflexions sur le destin et la volonté de chaque être, tout cela souligne la différence de Déchus. Enfin, son trait épais au feutre, au noir et blanc souligné de rouge, livre un univers sombre, porté par un graphisme perfectible mais innovant.

Après cette entrée en matière, c’est finalement la maison d’édition Graph Zeppelin qui a repris la publication de cette série en format papier, avec la volonté de le diffuser pour un plus large public en retirant la part des dessins les plus explicites. La mise en page n’a presque pas changée, et c’est à peine si deux ou trois cases ont été retirées. Pour conserver le sens de son histoire, Guilbert a rajouté du noir, une culotte ou un phylactère aux bons endroits. Il utilise même l’opportunité de cette "reconversion" pour souligner son propos, en plaçant des messages de "censure" destinée son héroïne, perdue entre son devoir et ses sens.

Ce récit parfois violent et sombre emprunte aux comics pour livrer une vision glauque de notre société. Les deux premiers tomes de ce qui est devenu une trilogie sont donc sortis chez Graph Zeppelin : le récit demeure érotique avec ses propos sans équivoque, il est donc également à réserver à un public averti. Quant à ceux qui trouvent que cette petite censure dénature le propos originel du récit, Tabou continue de proposer les mêmes albums avec leur contenu formel, mais uniquement au format électronique.

Ardem : l’auteur emblématique de Dynamite

Avec son neuvième titre paru chez Dynamite, Ardem est en apsse de devenir chez cet éditeur le fer-de-lance du roman graphique X franco-belge. Après avoir abordé bien des comportements érotiques dans ses précédents albums, il traite, dans Le Jouet, la relation d’une jeune femme dominée par un couple mature pour des jeux sexuels. Elle avait été progressivement amenée à assister puis à participer à ce genre de relation par des amis de ses parents, avant de prendre conscience du plaisir qu’elle ressent à être dominée, en dépit de ses premiers sentiments de répulsion.

Outre le contenu très explicite porté par le trait vigoureux d’Ardem, le récit sort du lot en raison du rôle la jeune narratrice. Même si le récit utilise quelques recettes faciles pour fournir son quota obligatoire de scènes érotiques, le fil du récit s’intéresse au cheminement intérieur de la jeune femme qui assume d’ailleurs ses envies en fin d’album. Les ébats sont remisés au deuxième plan, Ardem s’intéressant davantage à la voie empruntée pour y arriver.


Un petit bémol : la couverture et le quatrième plat présente l’héroïne dans des tenues fétichiste et à tendance sado-maso. Le lecteur qui achète l’album sous cellophane ne sait pas que cela ne constitue pas la teneur principale du récit, plutôt portée, ainsi que nous l’avons expliqué, sur une lente initiation.

Duvet : le prince des nuits sombres

Les amateurs de bandes dessinées fétichistes et sadomasochistes connaissent évidemment les récits de Xavier Duvet. Il a déjà largement abordé le sujet de la soumission dans les trois albums de Discipline, ou encore dans Les Maitresses. Cette nouveauté est d’ailleurs le pendant de ce dernier album, et s’intitule logiquement... Les Soumises.

Duvet présente deux récits où ses héroïnes affichent des penchants prononcés pour la soumission et... les femmes. À la fois concubines et amantes, esclaves et soumises, ces femmes se plient aux caprices et exigences de leurs maîtresses qui les poussent à toujours se surpasser.

Dans son introduction, l’auteur explique que ces récits ont "été concu[s] pour la série Féminisation et donc orienté travestissement. Mais [..] j’ai trouvé amusant et surtout que ce serait un bon exercice stylistique d’en faire aussi une BD avec des points de vue féminins. [...] Il existe donc deux versions de cette histoire : [l’album] et l’autre, disponible sur xavierduvet.com, [qui] a pour acteurs principaux un soumis féminisé par une belle transsexuelle d’âge mûr."

Xavier Duvet continue de varier les différentes techniques graphiques. Pour cet album, il a travaillé essentiellement au crayon et à l’encre. Le rendu propose beaucoup de matière et de relief, surtout sur les visages, ce qui renforce la naturel et l’aspect cru des scènes de domination. Le second récit est globalement traité de la même façon, excepté les bas des personnages pour lequel l’auteur a utilisé son autre instrument de prédilection : l’aérographe.

(par Charles-Louis Detournay)

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3 Messages :
  • C’est surtout qu’avec le succès des 50 nuances de Grey les éditeurs voient là un sujet porteur, ce n’est pas plus compliqué que ça.

    Répondre à ce message

    • Répondu par Sergio Salma le 21 juin 2015 à  19:47 :

      Oui, bien vu ! Cet éditeur ,ayant prédit le succès d’un livre qui allait sortir en 2012 , avait donc publié d’autres récits sur le sujet . Ce genre de pratiques sexuelles et de bandes dessinées n’existant pas avant 50 nuances de Grey. Très fine observation.

      Répondre à ce message

  • Bande dessinée : soumission, avec ou sans "X" ?
    21 juin 2015 12:24, par Zorro Dunet

    Je ne comprends pas très bien pourquoi Ardem prend un pseudo. Les bd publiées sous son vrai nom ne sont pas très différentes de celles-ci.

    Répondre à ce message

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