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Benjamin : "J’adore ajouter toutes ces notes à la fin de mes albums".

Par Xavier Mouton-Dubosc Thomas Berthelon le 12 mai 2007                      Lien  
Le dessinateur chinois, véritable fer de lance de l'éditeur français Xiao Pan, était présent à Toulouse le 17 mars dernier, pour la sortie de son album "One day". Ses bandes dessinées au parfum autobiographique mettent en scène une jeunesse chinoise désemparée dans un traitement expressif et une texture de couleur impressionnants.

Comment avez-vous débuté en tant que dessinateur professionnel ?

En fait, mon premier éditeur chinois faisait des contrefaçons de mangas japonais. Mon style graphique est différent des japonais, et tous les éditeurs chinois pensaient que j’allais leur faire perdre de l’argent, mais mon premier éditeur a voulu tenter le coup, même si mes albums n’étaient pas rentables.

La question que tout le monde se pose : travaillez-vous d’après photo ou non ?

Mes dessins naissent surtout de mon imagination, même si je m’inspire en partie de photos. Vous savez, même si je créais des dessins très proches de photos, cela n’aurait aucun intérêt, je ne ferais pas mieux que la photo, cela n’en vaudrait pas la peine.

Pourquoi vous êtes-vous tourné vers le dessin informatique ?

A mes débuts, je peignais. J’avais du mal à respecter les délais de livraison imposés par l’éditeur, car la peinture prenait du temps à sécher. J’ai donc changé mon style et opté pour la tablette graphique.

La question pour rire : comment fait-on pour dessiner sans que le chat attaque le stylet ?

En fait j’ai trois chats. Ils font plein de bêtises. Une fois, ils ont débranché la prise, et du coup, je n’ai pu enregistrer mon fichier. Mais mon plus grand problème, ce ne sont pas les chats, c’est l’informatique : parfois, le document est tellement lourd que je n’arrive plus à l’ouvrir.

Songez-vous à monter un studio de dessinateurs ou continuerez-vous à travailler seul ?

Je compte créer un studio, mais j’ai peur d’échouer, comme tout le monde. L’important, c’est la rapidité d’exécution des projets. Par exemple, pour une histoire longue, seul, je mettrais deux ans à la dessiner. Il faut prendre en compte ce type de contraintes.

Qu’est-ce qui vous a motivé à donner des cours de dessins sur Photoshop pour le marché chinois ? Est-ce pour initier les gens à votre style de dessin ?

Il y a beaucoup de livres sur Photoshop en Chine, mais d’après moi, ils se ressemblent tous. Je connais plein de dessinateurs qui se servent de ce logiciel autrement, intelligemment. J’espère montrer à certaines personnes qu’il y a d’autres façons de l’utiliser.

« One day » vient d’arriver en France, créé chronologiquement avant vos deux autres albums. Vous dites d’ailleurs que vous ne l’avez pas totalement maîtrisé. Auriez-vous carrément envie de la refaire ?

C’est impossible. J’ai passé beaucoup trop de temps sur cet album pour le reprendre.

Benjamin : "J'adore ajouter toutes ces notes à la fin de mes albums".
Extrait de "Remember"
© Benjamin/Xiao Pan.

Le dessinateur Denis Bajram défend Photoshop par rapport à Painter, qu’il accuse de ne faire qu’imiter la réalité. Pour lui, Photoshop est un logiciel parfait. Vous qui utilisez beaucoup Painter, qu’en pensez-vous ?

C’est vrai que j’utilise beaucoup Painter. Mais en ce moment, je travaille plus sur Photoshop. J’ai tendance à préférer Photoshop parce que c’est plus rapide, mais au niveau des couleurs, il n’y a que Painter qui donne ce rendu.

Vous vous livrez beaucoup dans les notes accompagnant vos illustrations à la fin de vos albums. Est-ce l’éditeur qui vous le demande ou aimez-vous vous raconter ?

C’est une volonté de ma part. Cela me permet de plus dialoguer avec le lecteur. J’adore ajouter toutes ces notes.

Vos scénarii parlent d’une jeunesse actuelle désemparée. Pourquoi ce thème ?

A mes débuts, c’était un phénomène social. Tout le monde était égoïste et pensait à soi-même. Les jeunes Chinois ne s’y reconnaissaient pas, mais n’arrivaient pas à trouver une idée ou une philosophie commune qui les aide à avancer. Mais aujourd’hui, le moral ambiant s’améliore.

Benjamin à l’ENSEEIHT de Toulouse.
Photo : © Thomas Berthelon

Au fil de vos albums, vous alternez histoires complètes et segments très courts. Songez-vous à commencer une série ?

Je travaille actuellement sur une histoire assez longue s’étalant sur trois albums. Ce sera un challenge pour moi.

Vous serait-il possible de créer des BD de SF ou d’action ou allez-vous continuer dans votre univers actuel ?

Ma prochaine histoire sera une BD d’action. Par contre, j’aime bien la SF, mais j’ai du mal à la maîtriser. Ceci dit, cela se rapprochera de la SF, car il sera question de guerre et de fantôme. J’aime bien aussi le kung-fu, mais je ne pratique pas, c’est dommage. Cette année, il faudrait que j’aille visiter le temple Shaolin et rencontrer des moines (rires).

Avec votre succès à l’étranger, vos relations avec les éditeurs chinois ont-elle changé ?

Nos relations n’ont pas changé grâce à mon succès à l’étranger. Les éditeurs chinois pensent avant tout au profit et sont persuadés que si j’adaptais des légendes chinoises, je vendrais trois fois plus d’albums. En ce moment ils essaient de m’amadouer, m’assurant de publier tout ce que je veux. (rires)

Comme tous les jeunes de votre génération, vous avez un blog. Envisagez-vous de le transformer en blog BD ?

Pour l’instant, il n’en est pas question. Je consacre déjà beaucoup d’énergie à mon travail. Mon blog est avant tout l’occasion pour moi de m’exprimer.

Votre univers fait beaucoup penser aux films de Wong Kar Wai. Ses oeuvres vous ont-elles inspiré ?

Je suis surpris qu’on me pose ce genre de question en France. Pour nous, Chinois, nous ne lions pas forcément les manhuas [1] et le cinéma. Les films de Wong Kar Wai sont assez difficiles, même pour les Chinois. J’aime ses films, mais pour l’inspiration, je préfère Fruit Chan, et notamment son film Made in Hong Kong.

Restons dans le cinéma. Vous avez créé une illustration pour le réalisateur Tsui Hark [2], pour son film Seven swords. Comment a-t-il fait appel à vous ?

Tsui Hark a découvert Remember, puis One day. Un jour, il est venu me voir et m’a dit : "Monsieur, vous avez le niveau suffisant pour créer l’illustration de mon prochain film".

Dessin de Benjamin pour le film "Seven swords".
(c) Film Workshop - Honk Kong

On dit qu’il a un tempérament tyrannique. Comment s’est passée votre collaboration ?

Cela s’est très bien passé. Mais c’est vrai que comme Tsui Hark est un très grand réalisateur, une star auprès des Chinois, c’est normal qu’il soit un peu tyrannique. Il était assez dur avec son entourage, mais très gentil avec moi.

Avez-vous découvert des albums extérieurs à la Chine, et profitez-vous de vos relations pour en importer ?

J’en ai montré à des éditeurs chinois, mais ils sont très conservateurs, ne pensent qu’à la rentabilité. Pour eux, il n’y a que les mangas japonais et les manhuas chinois. Mais je compte prochainement publier un album regroupant des artistes chinois et étrangers.

Quels auteurs français vous intéressent ?

J’aime Enki Bilal, François Boucq et Nicolas Nemiri. Généralement, même si je ne connais pas la langue, j’arrive à suivre l’histoire.

Pourtant, les auteurs français pratiquent beaucoup l’ellipse, ce qui ne facilite pas la compréhension pour un étranger. Ce mode de narration vous inspire-t-il pour vos futurs projets ?

Quand j’étais en Chine, je n’avais accès qu’à des BD japonaises et chinoises. Mais depuis l’an dernier, j’ai découvert beaucoup d’auteurs français. La différence, selon moi, réside dans le fait que les Japonais raisonnent plus en terme de séries alors que les Français créent surtout des histoires indépendantes.

Que pensez-vous de l’idée que des dessinateurs chinois créent un style spécifiquement pour le marché européen ?

C’est plus facile pour un dessinateur chinois d’être distribué dans le marché européen que l’inverse. Chez vous, c’est plus ouvert, plus accueillant. Si nous nous appliquons à créer de bons albums, nous pouvons avoir du succès chez vous. Par contre, pour les Chinois, les BD étrangères, ce sont les mangas, et c’est tout.

Que pensez-vous des BD venues de Hong Kong ?

Elles sont très spéciales, très tournées vers l’action. Cela ne m’attire pas trop.

(par Xavier Mouton-Dubosc)

(par Thomas Berthelon)

Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.

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Code EAN :

Médaillon : Benjamin.
Photo © Thomas Berthelon

Lire la chronique de One Day

Lors de cette interview, Benjamin était reçu en direct dans l’émission "Supplément week-end du 17 mars 2007".

[1Bandes dessinées chinoises

[2Très grand réalisateur de Hong Kong, auteur de la série "Il était une fois en Chine", "The Blade", et "Time and tide"

 
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