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Benoît Feroumont : "La couleur est la musique d’une bande dessinée"

Par Nicolas Anspach le 19 novembre 2009                      Lien  
Issu du monde de l’animation, {{Benoît Feroumont}} avait signé avec Fabien Vehlmann la série {Wondertown}. L’auteur met aujourd’hui en scène dans sa nouvelle série un royaume paisible, peuplé d’une belle brochette de personnages au caractère bien trempé : Un bon roi et ses deux fils, une reine acariâtre, une princesse, un forgeron et l’ancienne domestique du roi. Les courts récits qui composent le premier tome du {Royaume} sont fraiches et amusantes, et parfois à double-sens… Rencontre.

Benoît Feroumont : "La couleur est la musique d'une bande dessinée"Pourquoi axer cette série sur le destin d’un royaume ?

J’ai réalisé en 2007 un court-métrage d’animation, intitulé Dji vou veu volti. Lorsque Frédéric Niffle, le rédacteur en chef de Spirou m’a demandé de travailler sur une nouvelle série pour l’hebdomadaire des éditions Dupuis, nous avons parlé ensemble de l’univers de ce dessin animé. Frédéric l’appréciait beaucoup. Ce n’était pas une mauvaise idée de reprendre ce sujet : J’avais déjà réalisé de nombreuses recherches graphiques pour les décors, l’univers était encore très présent en moi. Il n’y avait plus qu’à inventer les personnages. Je ne voulais pas reprendre ceux du court-métrage. J’ai alors improvisé le roi et la reine. Puis, Anne est apparue. Je n’avais aucune idée de la direction de la série, mais je voulais que les histoires courtes se suivent, que chacune soit une sorte de suite de la précédente.

Anne, la servante, apparaît dans la première histoire. On la voit dans le lit du roi.

Elle dort avec le roi. Dans la deuxième histoire, elle est descendue dans le village. Son exil forcé me permettait d’introduire d’autres personnages, et elle s’est imposée peu à peu.

Extrait du T1 du "Royaume"
(c) Feroumont & Dupuis

Le titre du premier album porte d’ailleurs son prénom. Le suivant sera-t-il axé sur un autre personnage.

Non. Et il n’est même pas certain qu’Anne demeure le personnage principal de la série. Conceptuellement parlant, ce serait intéressant d’avoir un album axé sur un personnage spécifique à chaque fois, mais ce serait difficile de tenir la longueur. Pour l’instant, la série est orientée sur Anne qui est un personnage attachant. En fait, je ne me suis fixé aucune règle pour Le Royaume !

Un bon nombre de vos personnages sont un peu niais. Anne, par exemple, se laisse mener par les autres…

J’apprécie les gentils imbéciles, ces gens qui ne sont pas foncièrement méchants, tout en n’étant pas des lumières ! Ce type de personnage apporte un aspect touchant à l’histoire, il renforce également la comédie. Je les crée incidemment. La séquence où la reine fait une scène à son mari car elle sait que Anne a dormi avec lui est venue naturellement. La reine pense être dans son bon droit …

On comprend qu’elle prenne mal la chose.

Mais c’est la bonne du roi ! Anne ne couche pas avec lui. Elle avait simplement peur des hululements des hiboux (Rires). Je tiens, évidement, un double discours dans ces pages. Les enfants percevront que cette jeune fille a peur de la nuit. Anne, pour eux, fait la même chose qu’eux : c’est-à-dire se blottir dans les bras de papa et de maman dans le lit lorsque la nuit les effraye. Passé un certain âge, la perception de cette scène s’inverse. Des jeunes adolescents m’ont clairement dit : « Oui, bon, ça va… On a compris. Elle couche avec lui ! ». Cette scène est un clin d’œil aux adultes. Mais ne me demandez pas de choisir entre l’une ou l’autre hypothèse. Cette bande dessinée a été créée avant tout pour amuser les gens. Je n’ai pas eu d’autres ambitions en la réalisant.

Extrait du T1 du "Royaume"
(c) Feroumont & Dupuis

Le Royaume semble être un monde idyllique. Personne ne s’y bat.

C’est volontaire, et cela fait partie du concept. C’est une sorte de paradis perdu, comme l’était la campagne de mon enfance. Mais il y aura toujours un élément extérieur qui va venir perturber cet équilibre et créer de la comédie.

N’avez-vous pas eu de difficulté à réaliser vous-même le scénario après avoir travaillé avec Fabien Vehlmann ?

Fabien est une Rolls du scénario ! J’ai inventé les histoires des deux premiers tomes avec une certaine facilité. C’est maintenant que les choses vont se corser ! Lorsque j’ai créé Le Royaume, je sortais de longs travaux réalisés pour l’animation. J’aidais les réalisateurs à raconter les histoires. J’étais très frustré de ne pas pouvoir inventer les miennes. J’ai donc emmagasiné pendant cette période des envies, des ambiances, des sujets. Je travaille sur Le Royaume depuis deux ans. J’ai raconté une douzaine d’histoires, alors qu’en animation, je n’ai fait que deux courts métrages en quinze ans !
Je commence à être un peu stressé par ma série. Je dois construire un peu plus mes récits. Fabien est un technicien talentueux. Il a une faculté extraordinaire à raconter des histoires selon les univers et les envies de ses dessinateurs. Il s’appropriait mes désirs pour en faire un récit. Celui-ci me correspondait à la lettre. C’était fabuleux. Nous avons un projet de dessin animé ensemble…

Extrait du T1 du "Royaume"
(c) Feroumont & Dupuis

Certaines histoires du Royaume sont courtes et d’autres plus longues. Pourquoi ?

La dernière a été effectivement découpée en quinze ou seize pages. Il me fallait terminer le premier album. Dans les histoires précédentes, j’avais abordé l’ouverture de la taverne. Frédéric Niffle, mon éditeur, pensait qu’il serait opportun de réaliser une histoire sur ce thème. J’étais content qu’il cautionne mon envie. Je voulais terminer l’album sur un banquet final, à l’instar d’Astérix (Rires). Le deuxième tome est bouclé et se termine également par ce même type de scène ! Terminer le livre par une grande fête me permettait de donner une note joyeuse, lumineuse, tout public et premier degré au Royaume ! Et puis, je ne vais pas m’en cacher, ce type de case est fort amusante à dessiner.

Vos oiseaux parlent dans cette série et ont un rôle plutôt singulier.

Ce sont des Deus ex machina ! Et ils sont très utiles au scénario. Ils sont naturellement drôles. Dès qu’ils apparaissent, ils provoquent de bonnes blagues. Ces oiseaux sont la première chose que j’ai dessinée lorsque j’ai commencé à créer les personnages. Leur rôle est de dévoiler la vérité lorsque les gens essaient de la cacher. J’ai vu dernièrement qu’un film intitulé L’Invention du mensonge était sorti aux USA. Dans cette histoire, les gens ne connaissent pas le mensonge, il n’existe pas. Un jour, un type invente un bobard et, forcément, on le croit. Les oiseaux du Royaume sont le contraire de cela. Ils sont là pour dénoncer les mensonges des habitants. Ils le font avec un langage très châtié, ce qui contraste avec leur aspect assez mignon.

Vos personnages sont très typés. Ils ne seraient pas forcément simples à animer.

Effectivement, ce serait difficile de faire bouger la plupart d’entre eux en animation. Ceci dit, je me suis servi de trucs appris dans l’animation pour les construire. Je me base sur des silhouettes. On pourrait synthétiser François, le forgeron, par un cube avec de gros bras. Cette technique permet de typer les personnages. Au début de l’animation, les dessinateurs travaillaient beaucoup avec les silhouettes. Mickey est par exemple constitués de ronds et d’ovales. Les petits personnages, qui ont une grosse tête, ont automatiquement du caractère.
Par contre, les décors sont beaucoup plus travaillés que ce qui se fait dans le dessin animé. Si je devais adapter ma série, il y aurait automatiquement un travail de recréation graphique à effectuer.

Des silhouettes pour le Royaume
(c) B. Feroumont

Les couleurs de votre coloriste sont assez vives.

Les couleurs étaient assez ternes dans Wondertown, presque monochromatiques ! Je voulais que celles du Royaume soit plus joyeuses, plus lumineuses. La couleur est en quelque sorte la musique d’une bande dessinée, et il fallait une partition plus sympathique !

Continuez-vous à travailler pour l’animation ?

Oui. C’est parfois compliqué de passer d’un métier à l’autre. Lorsque je travaille sur une bande dessinée, je dois refuser des projets alléchants en animation. Je travaille actuellement sur un projet de long-métrage avec Fabien Vehlmann tout en terminant le troisième album du Royaume ! Le deuxième tome est déjà bouclé et prépublié dans Spirou. Il devrait paraître à la fin du troisième trimestre 2010. Compte tenu de ce projet audiovisuel, mon éditeur préfère avoir un « stock »

Quelle relation avez-vous avec Frédéric Niffle ?

C’est mon rédacteur en chef et mon éditeur. J’avais déjà travaillé pour Spirou sur Wondertown et sur différentes histoires courtes. J’avais laissé la BD de côté pour m’occuper de mes projets audiovisuels. Quand Sergio Honorez est devenu le directeur éditorial de Dupuis, il m’a contacté pour m’inciter à refaire des bandes dessinées. Nous nous connaissions déjà. Nous avons travaillé ensemble sur des films publicitaires. Quand Frédéric Niffle a été promu rédacteur en chef du journal de Spirou, il m’a appelé. Nous avons commencé à réfléchir ensemble à ce projet. Il assure le suivi éditorial du Royaume.

Quel est votre parcours en dehors de la BD ?

J’ai étudié cinq ans le dessin à la Cambre, à Bruxelles. J’ai réalisé des courts métrages durant cette période. Certains ont été primé dans des festivals. En 2000, mon premier court-métrage professionnel, Bzzz, est retenu pour la sélection officielle du Festival de Cannes. Il a été également primé à Anima, l’ancienne dénomination du Festival du Film d’Animation de Bruxelles. J’ai mis trois ans à le réaliser. J’ai travaillé entre-temps dans la publicité pour assurer mes fins de mois. J’ai également dirigé une équipe pour le film Les Triplettes de Belleville. Plus récemment, j’ai participé au film Brendan et le Secret de Kells et j’ai réalisé mon deuxième long-métrage Dji vou veu volti.

Quel plaisir avez-vous à réaliser des courts métrages en animation ?

C’est un métier très intéressant. La bande son et le rythme donnent un côté plus spectaculaire à une histoire. Malheureusement, les projets en animation sont lents à se mettre en place. Monter un projet en bande dessinée est beaucoup plus facile et rapide. Et puis, l’animation est un travail d’équipe. La BD et l’animation sont deux passions. J’aurais du mal à choisir entre les deux. Quand je travaille dans l’un de ces deux arts, le second me manque.

Recherches pour le personnage d’Anne
(c) B. Feroumont

Que pouvez-vous nous dire sur le deuxième tome du Royaume ?

Un prisonnier s’évade du cachot du château pour semer la misère ! J’en profiterai également pour approfondir les relations entre Anne et François. Va-t-elle résister à ces avances, ou pas ? Anne est une femme moderne.

(par Nicolas Anspach)

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6 Messages :
  • Anne est une forme moderne.

    Anne est une femme moderne, non ? Sinon je ne comprends pas.

    Répondre à ce message

    • Répondu par Nicolas Anspach le 19 novembre 2009 à  12:51 :

      Mais, oui ! C’est corrigé. Merci.

      Répondre à ce message

  • « Le deuxième tome est déjà bouclé et prépublié dans Spirou. » « En passe d’être prépublié » peut-être (et c’est à souhaiter car c’est une excellente série), mais ça n’a pas encore commencé (du moins pas dans la portion de l’Univers dans laquelle je lis Spirou)...

    Répondre à ce message

    • Répondu par joël le 20 novembre 2009 à  22:01 :

      euh, non, déjà publié et terminé... si, si.

      Répondre à ce message

      • Répondu par Frenchoïd le 22 novembre 2009 à  08:29 :

        ...C’est pourtant vrai (merci). Tout va trop vite.

        Répondre à ce message

  • Bonjour,
    J’ai découvert cette série dans Spirou et je suis tombé sous le charme tout de suite. Parmi toute les nouveautés sortit en librairie cette année, c’est le Royaume qui décroche ma palme. L’histoire, l’humour, le dessin, un univers formidable, attachant... Les personnages sont vraiment franchement réussi ainsi qu’Anne... et les oiseaux.
    La sortie du vol. 1 accompagné d’un exemplaire de Spirou aurait mérité mieux... J’ai eu bien du mal à le trouver parmi les centaines d’album sorti ce jour là chez mon libraire. Lorsque l’on suit une série, il est maintenant très difficile de suivre tellement il y a de publications... Mon libraire, en Bourgogne, ne peut plus pousser les murs... Il y en a partout... Un jour, je l’ai aidé à réceptionner les cartons de la mise en place de la semaine... Absolument incroyable... Combien d’albums doivent partir au pilon chaque mois...
    Pour revenir au Royaume, un grand bravo pour l’auteur et le t. 2 dans Spirou est vraiment très bien.
    Achetez le pour vos enfants (ou pour vous), vous êtes sûr de de passer un vraiment bon moment.

    Un fidèle lecteur du journal de Spirou

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