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Benoit Mouchart : « J’aimerais que la bande dessinée et Angoulême soient fédérateurs. »

Par Didier Pasamonik (L’Agence BD) le 6 décembre 2009                      Lien  
Chaque année, la sélection du Festival est sous le feu des critiques. Benoît Mouchart a tenté cette année de modifier sa nomenclature. « Il faut savoir reconnaître ses erreurs » a-t-il dit dans sa présentation à la presse. Nous l’avons rencontré pour vous.

Qu’est-ce qui change cette année par rapport aux éditions précédentes ?

Au-delà de la tension qui a accompagné cette préparation, plus que jamais le désir, impossible, de fédérer, de dire : « Angoulême n’est pas la chapelle de ceci ou de cela. » Peut-être y-a-t-il des décisions qui ont été prises et qui ont été mal interprétées, mais si l’on veut aider à la reconnaissance de la bande dessinée, qui commence à être installée, mais c’est fragile, et que Angoulême soit le lieu des échanges et des rencontres, mais aussi du business de ce métier, il fait avoir ce désir. Mais en même temps, il ne faut pas renier le concept originel de ce festival qui est, dès l’origine, international, dès l’origine, tourné vers d’autres arts aussi (Vaughn Bodé y a fait des spectacles) : il y a une tradition d’Angoulême qui est particulière, comme ses expositions spectaculaires. Et puis il faut défendre une politique d’auteurs. Des auteurs qui peuvent l’être pour de la bande dessinée « grand public », ce qui ne signifie pas seulement qu’elle se vende beaucoup aujourd’hui, mais aussi qu’elle peut être lue par tout le monde. J’affirme que Non Non Bâ [NDLR : Prix du meilleur album à Angoulême en 2007] n’est pas une bande dessinée élitiste. Elle peut être mise dans toutes les mains.

Le prix l’est, peut-être ?

Le livre en tout cas, ne l’est pas, pas plus que La Guerre des boutons.

Benoit Mouchart : « J'aimerais que la bande dessinée et Angoulême soient fédérateurs. »
Benoit Mouchart avec Fabrice Neaud, Alph’art "Coup de coeur" à Angoulême en 1997. Il expose ses travaux cette année.
Photo : D. Pasamonik (L’Agence BD)

Il y a, cette année, un petit « relifting » en ce qui concerne les prix.

Il y a le même nombre de prix mais il y avait des prix qui n’étaient pas catégorisés, qui étaient donc sur la même marche ex aequo. On pensait que c’était valorisant pour les auteurs. Mais on se rend compte que, pour le public, on a besoin de qualifier les livres. Cela a été difficile parce que ma grande obsession, depuis longtemps, est de ne pas séparer la forme du fond. Quand on lit une bande dessinée, on ne sépare pas la couleur du scénario et du dessin. C’est un tout. Il faut récompenser les livres pour ce qu’ils sont. Il fallait trouver des catégories qui soient à la fois pas trop segmentantes mais qui permettent au jury d’avoir une palette de choix qui puisse représenter toute la bande dessinée, d’où la réintroduction du « Prix de la série » et la création du prix intergénérations, ce qu’était typiquement pour moi le Spirou d’Émile Bravo, l’an dernier. D’où le « Prix de l’audace » pour que l’on reste quand même dans l’avant-garde, que l’on continue à chercher des choses. Le « Prix révélation » et le « Prix spécial du jury » qui restent une marche en dessous des autres. Nous sommes les héritiers de ce festival, à la fois de ses qualités et de ses défauts.

Je ne sais pas si l’on mesure bien toutes les réformes qui ont été entreprises, tous les efforts que l’on a faits pour que la bande dessinée soit représentée de manière très large, soit traitée avec les mêmes égards que les autres formes de culture. Cela a l’air d’aller de soi, mais les Rencontres internationales, les rencontres dessinées, les spectacles, etc. c’est quand même volontariste de notre part. Personne ne vient vers nous avec un cahier des charges. C’est nous qui faisons tout. Les prix, c’est douloureux, c’est frustrant, y compris pour les membres du comité de sélection dont je suis, car on n’est plus à l’école !

La nouvelle nomenclature des prix : Prix du Meilleur album, Prix du public, Prix spécial du Jury, Prix de la Série, Prix révélation, Prix "Regard sur le monde", Prix de l’audace, Prix intergénérations, Prix Jeunesse et Prix du Patrimoine.
Photo : D. Pasamonik (L’Agence BD)

C’est « scolaire et académique », disiez-vous pendant la présentation.

Oui, et en même temps, les prix pour le cinéma ont contribué à la reconnaissance du cinéma. Il ne faut pas l’oublier : en 1945, le cinéma était un divertissement pur. Il y avait quelques allumés comme Erich von Stroheim, Orson Welles ou Fritz Lang qui considéraient que le cinéma, c’était autre chose. Ce qui ne veut pas dire que des créateurs comme Chaplin ou Hitchcock n’étaient pas des artistes, des créateurs. C’est pareil pour la bande dessinée. Les palmes de Cannes, aussi, ont permis de créer l’idée de la cinéphilie.

Je crois beaucoup que la bande dessinée n’a pas encore conquis tout le public qu’elle pourrait conquérir. Il y a des livres qui n’ont pas encore rencontré leurs lecteurs. Angoulême aide beaucoup à cela. J’aime la bande dessinée classique, je n’ai pas besoin de m’en défendre [1]. Le festival aime aussi cette bande dessinée-là. Il y a une bande dessinée pour un public de fans de bande dessinée qu’il faut représenter, j’en suis pleinement conscient, parce qu’elle a ses qualités, elle a son public et ses artistes. Mais il y a aussi une bande dessinée plus universelle comme le montre le succès mondial de Persépolis de Marjane Satrapi ou de L’Ascension du haut-mal de David B qui sont des livres difficiles à propos desquels on nous avait reproché de récompenser « des livres qui ne se vendront jamais. » Le Festival d’Angoulême a aidé des livres comme cela, mais ce n’est pas le seul : la critique, les sites Internet, les libraires ou les bibliothèques municipales y ont aussi pourvu.

Mais Angoulême est une espèce d’impulsion annuelle, malheureusement un peu trop souvent un alibi pour parler de la bande dessinée. On en parle plus qu’avant, qu’il y a dix ans par exemple, mais en même temps, je trouve qu’on en parle pas encore assez, qu’elle peut s’adresser à un public plus large encore. J’ai entendu récemment un décideur me dire : « La bande dessinée, c’est clivant ». J’aimerais que la bande dessinée et Angoulême soient fédérateurs. C’est un média dont l’essence est populaire, j’aimerais qu’elle le reste. C’est cela qu’il faut travailler. Le plus important est de défendre les auteurs et leur vision d’artiste.

Propos recueillis le 4 décembre 2009.

(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))

Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.

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Code EAN :

Festival d’Angoulême, du 28 au 31 janvier 2010.

Lire aussi : Angoulême 2010 : Un programme et une sélection sous pression

Lire aussi : Angoulême 2010 : Une sélection consensuelle pétrie de contradictions

[1NDLR. Benoit Mouchart est l’auteur de livres sur Greg et sur E.P. Jacobs.

 
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