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Benoît Mouchart : « On ne peut pas faire porter au festival toutes les plaies de la profession »

Par Didier Pasamonik (L’Agence BD) le 22 janvier 2006                      Lien  
Né en 1976, Benoit Mouchart est, depuis 2003, le directeur artistique du FIBD et, à ce titre, le responsable des programmations culturelles (expositions, débats, concerts...) qui y sont attachées. Spécialiste reconnu de la bande dessinée, il nous raconte le projet culturel du 33ème Festival d'Angoulême, et ne mâche pas ses mots.

Où en sont les travaux d’Hercule du Festival à huit jours de sa trente-troisième édition ?

Ils sont pas mal avancés déjà, et il me semble que les structures mises en place sont assez valeureuses, vu le peu de superficie dont on disposait avec la disparition du Champ de Mars. La Mairie a fait de gros efforts. Il y a eu beaucoup de travaux de faits. Ces efforts sont considérables, parce que je crois que cela coûte beaucoup plus cher à la Mairie que les autres années. Merci, parce que sinon, le Festival n’aurait pas pu avoir lieu, c’est évident. Maintenant, on ne sait pas comment vont fonctionner ces « bulles » avec le public, même si on a essayé de l’anticiper au maximum.

Au niveau des éditeurs, il y a quand même une réduction assez forte des espaces disponibles.

Fatalement, puisque nous avons la même superficie qu’avant mais, comme les lieux sont soumis aux besoins de la déambulation et des conditions de sécurité, on perd en surface commerciale.

Cela a donc un impact financier sur les comptes...

Bien sûr. C’est une année très dure.

Benoît Mouchart : « On ne peut pas faire porter au festival toutes les plaies de la profession »
Benoit Mouchart et Dominique Brechoteau
lors de la conférence de presse du 16 janvier 2006 à Angoulême. Ph : D. Pasamonik.

Quels sont les points forts de cette édition ? Qu’est-ce que le festivalier va rencontrer à partir de la semaine prochaine ?

Au-delà des stands des éditeurs qui sont très importants et qui restent le cœur du Festival, je crois que la proposition culturelle cette année est forte, très forte même, je n’hésite pas à le dire. La politique que j’essaye de mettre en place est une politique de transversalité. Je crois que la reconnaissance culturelle de la bande dessinée passe par l’idée que nous ne sommes pas dans un ghetto et que nous pouvons dialoguer avec les autres formes d’expression. Et ce que j’essaye de développer depuis que je suis en poste, ce sont des choses qui ne sont pas forcément ce que l’on attend de nous, par exemple les concerts de dessins que je revendique à 50%. Il y a Zep à 50%, mais il y a 50% de moi. Je ne suis pas modeste pendant trente secondes, mais ce n’était pas évident d’imposer cela à l’association du Festival, ce n’est pas quelque chose qui est conventionnel. C’est le cas aussi de la coproduction du film « Entre Quatre Planches », avec les Requins Marteaux.

Les questions que je me pose quand je prépare le Festival sont liées à cette question qui est toute simple et que pas beaucoup de monde se pose : « Qu’est-ce qu’un festival de bande dessinée ? » La réponse n’est pas si simple. Pour un festival de cinéma, on sait qu’on y va voir des films ; dans un festival de musique, on va écouter des concerts ; dans un festival de théâtre, on va voir des pièces... Mais qu’est-ce qu’on va faire à un festival de bande dessinée ? La réponse, je dirais mieux : l’invention, du Festival d’Angoulême, c’étaient les expositions. Cela doit rester les expositions, c’est un axe fort de notre programmation. Ce le sera probablement toujours, mais ça ne peut pas être que cela. Un festivalier peut s’attendre à venir partager des choses. Partager, c’est par exemple les rencontres internationales avec des plateaux qui sont diversifiés et qui changent chaque année ; ce sont ces concerts de dessins qui sont un peu contre-nature, car ils sont collectifs et avec une réaction immédiate pour les auteurs qui sont applaudis par les spectateurs pour leurs dessins, ce qui est complètement nouveau, même s’il y a eu des « Tac au Tac » ou des choses comme cela auparavant. Ici, l’idée, c’est la transversalité entre la bande dessinée et la musique, entre la BD et le cinéma, entre la BD et l’art contemporain avec l’exposition Kotobuki Shiriagari, la bande dessinée et la littérature, comme lorsque nous avons réagi à la proposition de la Ville de Nantes pour l’exposition Jules Verne, images d’un imaginaire, bande dessinée et jeux vidéo, avec une rencontre sur ce thème... Et puis, une ouverture sur le monde qui est maintenant généralisée avec, cette année, la Finlande dans une soirée électro finlandaise animée par le plus grand DJ finlandais... Tout cela est réfléchi. J’ai beaucoup étudié l’histoire du festival - c’est mon côté historien de la BD [1]- et j’ai constaté que les bulles étaient remplies, surtout grâce à la présence de Pif et en même temps, il y a Vaughn Bodé qui était là, à peine traduit en français et qui a été mis en valeur par le festival.

Il faisait d’ailleurs un spectacle de dessins en musique...

Oui, on n’invente jamais rien. Mais ce qui est nouveau avec les concerts de dessins, c’est que c’est une vraie bande dessinée en direct et que rien n’est improvisé. J’ai assisté là aux répétitions musicales. Toute la partition est écrite. C’est important de le dire parce que l’on dit souvent que c’est improvisé. Rien n’est improvisé.

Benoit Mouchart et Zep en 2005
pendant la préparation des Concerts d’images. Photo : D. pasamonik.

Quel est le bon jour pour arriver au festival ?

Si on veut être tranquille, il vaut mieux venir dès le jeudi et le vendredi. S’il veut faire la fête, il vaut mieux venir le samedi car maintenant, on attendra le dimanche pour savoir qui sera le Grand Prix, puisqu’il ne sera proclamé que le dimanche midi. Je suis content d’avoir réussi à convaincre l’équipe d’avoir déplacé la proclamation ce jour-là. Je crois que c’est bien car le Festival ne s’en trouvera pas ralenti. Il y aura une vraie fête le dimanche.

Parlons des grandes expos.

Si l’on a des enfants, il faut absolument voir l’exposition Capsule Cosmique. J’ai contacté leur équipe dès le numéro un de ce journal et j’ai souhaité que cette exposition soit une animation. Ce sera pas une expo de dessins, même s’il y en a qui seront exposés. C’est une expo qui permet de découvrir les personnages au travers de jeux. C’est une espèce de kermesse : on a réinventé le concept d’interactivité vintage avec des jeux manuels qui sont pensés avec l’équipe du magazine, La scénographie est de Fabrice Préssigout, avec Nicolas Albert comme commissaire. Il y a quelques auteurs comme Riad Sattouf ou Lisa Mandel qui ont réalisé des petits dessins animés, comme des pilotes en fait, spécialement pour l’expo. C’est une expo scénographiée comme l’exposition Picsou, l’année dernière.

Si on veut découvrir un auteur qu’on n’a pas vu ailleurs en dehors d’Angoulême, il faut aller voir l’exposition Shiriagari qui est un auteur que peu de monde connaît en Europe et qui permet de faire vraiment le lien avec la bande dessinée et la presse - clin d’œil à Wolinski - et l’art contemporain, pour que les gens qui pensent que la bande dessinée est « ceci ou cela », comme on dit, découvrent qu’elle peut aussi avoir un côté « art brut », un côté « installation ». On reste un festival qui est un festival de promotion de la bande dessinée pour continuer à participer à sa légitimation culturelle. Evidemment, on se doit d’être à l’écoute de nos partenaires éditeurs qui nous interpellent de temps en temps sur le mode « vous n’êtes pas assez commerciaux ! » et ils ont peut-être raison.

Il y a l’exposition Poisson Pilote que l’on a souhaitée trans-générationnelle pour casser l’idée que tout est nouveau, que la bande dessinée n’a pas de mémoire ou très peu. C’est bien de rattacher les nouvelles générations au passé, de montrer qu’elle n’est pas une génération spontanée, et puis de créer des couples inattendus : Gérard Lauzier et Riad Sattouf, de voir quels regards ils ont posés l’un et l’autre sur leur époque, sur la sexualité... C’est une expo de contenu avec des vrais rapprochements thématiques et un petit film produit par ses concepteurs où l’on voit Joann Sfar parler de Fred et vice et versa.

Il y a l’exposition soleil de minuit finlandais, qui va être une belle expo parce qu’elle présente une quinzaine d’auteurs pour la plupart inconnus en France. Cette exposition disposera d’un catalogue qui sera un bel outil de référence, tiré à 10.000 exemplaires, qui sera distribué aux festivaliers et aux journalistes.

Sur le chantier de l’expo finlandaise
le 16 janvier dernier. Au sous-sol du théâtre, quinze auteurs finlandais seront exposés.Ph : D. Pasamonik.

Il y a l’exposition Jules Verne, images d’un imaginaire qui présente non pas les œuvres de Jules Verne adaptées en bande dessinée mais la trace que Jules Verne a laissée chez des créateurs comme Franquin, Tardi, Schuiten, Jacobs, McCay, Tezuka... plus des œuvres qui ont été commandées à Munoz, Blanquet, Rabaté, Martin Veyron, Montellier, etc.
Il y a le film Entre quatre planches, qui va faire partie des succès de cette édition, il y a l’expo Peur du Noir, le Pavillon Jeunes Talents qui est un lieu très important, il y a l’accrochage africain, une aide à des artistes qui, pour la plupart, n’ont pas de supports de publication. Il y a aussi le souhait de Wolinski de réaliser une rétrospective Guido Buzzelli, un artiste déjà exposé à Angoulême, et enfin une exposition Wolinski qui va surprendre parce que, au-delà du grand dessinateur, on va découvrir le vrai amateur de bandes dessinées et le vrai découvreur qu’il a été au travers de l’histoire de Charlie mensuel qu’il a dirigé et qui a favorisé l’internationalisation de la bande dessinée, peut-être même plus que Métal Hurlant, en fait...

« Charlie » était une démarque du magazine italien « Linus » qui, avec des gens comme Umberto Eco dans son équipe, avait un sacré niveau, quand même...

Oui, bien sûr. Mais il y avait du bon rédactionnel dans Charlie et puis des auteurs comme Muňoz, Schulz, Segar, Buzzelli, Montellier... Il y avait un vrai brassage qui me paraît toujours pertinent. Finalement, le choix de Wolinski comme Grand Prix a été juste. Ce choix n’est pas celui du festival, il faut le rappeler, mais bien celui de l’Académie des Grands Prix composée d’anciens grands prix, un système comme un autre qui est peut-être amené à être changé - je l’espère en tout cas, car je pense que nous sommes arrivés au bout d’un cycle...

Un pièce maîtresse de l’expo Wolinski
L’hommage de Wolinski à Reiser. Ph : D. Pasamonik

Justement, terminons sur les prix. On retrouve cette année la même configuration que l’année dernière : dans l’ensemble des titres pré-sélectionnés, il y a beaucoup de choix à contre-pied...

Je ne dirais pas « à contre-pied ». Je dirais « courageux ». J’ai pas mal voyagé cette année, j’ai été invité dans plusieurs festivals. J’ai pu constater que beaucoup de bandes dessinées qui se vendent partout, pas « qui se vendent beaucoup » , mais bien « qui se vendent partout », ces bandes dessinées sont à peu près celles que l’on a choisies. Aux États-Unis, dans la vitrine d’un libraire, on voit Epileptic [2] de David B ou Persépolis de Marjane Satrapi. Vous n’y verrez pas certains titres qui se vendent énormément ici. Je ne sais pas très bien ce que cela veut dire mais je pense que si vous êtes Luc Besson ou Georges Lucas, vous ne devez pas vous attendre à recevoir un prix au Festival de Cannes. Mais vous allez y présenter une avant-première parce que c’est là que les choses se passent quand même.

C’est une sélection d’avant-garde...

Ce n’est ni un festival d’avant-garde, ni un festival commercial. Il a toujours été comme cela. Ce qui me frappe, c’est que l’on essaie de nous dire que c’est nouveau, alors que, même si ça n’a pas été comme cela pendant quelques années, on est revenu aux fondamentaux du festival.

Comment interpréter rétrospectivement le « coup de gueule » de Joann Sfar l’année dernière ?(voir notre article à ce sujet dans ActuaBD)

Par l’ivresse. Il l’a reconnu lui-même et s’est confondu en excuses à peine une semaine après.

On a peine à le croire, il a publié sa lettre dans Bo-Doï...

C’est plutôt lié à une schizophrénie...

Nous pouvons écrire cela ?

Oui. On a même des éditeurs qui osent dire que c’est scandaleux de voir une sélection internationale alors que, par ailleurs, ils sont des éditeurs de mangas et qu’ils font maintenant leur chiffre avec les mangas ! Il faut arrêter de mentir ! On ne peut pas faire porter au festival toutes les plaies de la profession. Le marché, il est ce qu’il est. Il n’est certainement pas en aussi bonne santé que ce que l’on veut bien nous dire. Mais ce n’est pas la faute du festival d’Angoulême s’il est dans cet état-là. Les responsables ne sont pas ici. Encore une fois, nous on est là pour que la bande dessinée soit réellement reconnue et légitimée comme un élément de notre culture. Voilà : c’est ça notre mission, c’est dans nos statuts. J’insiste aussi sur une chose : nous avons fait beaucoup d’actions pour la promotion commerciale de la bande dessinée. Quand on fait une exposition comme « La BD au Mondial de l’Automobile » qui a été visitée, on cite ce chiffre, par minimum 350.000 visiteurs et maximum 700.000 (ce sont des estimations, on n’a pas les chiffres réels), c’est bien plus que le Festival d’Angoulême et on porte la bande dessinée dans un lieu où on ne l’attend pas du tout. Je mets au défi de dire que le public du Mondial de l’Automobile n’est pas ce qu’on appelle le « grand public »... On a fait des choses comme cela et on n’en a retiré aucun bénéfice financier. Idem pour l’exposition Jacobs. Qui oserait nier qu’elle n’a pas favorisé la légitimation de la bande dessinée et, qu’en même temps, elle n’a pas été utile à la promotion du dernier album de la série ? Il n’avait pas besoin de nous, mais cela a dû aider, ce n’était pas négligeable. D’ailleurs Casterman ne s’y est pas trompé en nous demandant l’année dernière de monter une exposition autour des Scorpions du Désert, pour la reprise de la série par Wazem. S’il n’y avait pas eu l’exposition, elle aurait certainement, malgré ses qualités, bénéficié d’une médiatisation un peu moins forte.

Il y a donc une schizophrénie de la part de certains. Et dont nous sommes en partie responsable, si on en fait l’analyse car il y a toujours des raisons. Peut-être une absence de communication, de réelle explication de texte sur ce qu’on fait, sur ce qu’on doit faire. Je suis tout à fait conscient que l’on doit rester à l’écoute des éditeurs, mais ceux-ci doivent prendre conscience que les bandes dessinées dont on parle le plus ne sont pas forcément celles qui se vendent le plus. Je crois que c’est bon que la bande dessinée ait des ambassadeurs comme Joann Sfar qui a fait la couverture de Télérama, qui vend beaucoup maintenant, qui est incontestablement commercial, mais qui, il y a quelques années, ne faisait pas de best-seller. II parle bien de la bande dessinée.

Le Festival est-il élitiste ?

Non, il ne l’est pas. C’est un festival grand public. Il attire un très grand nombre de personnes [3]. Maintenant, je ne sais pas ce que veut dire « bande dessinée populaire ». Je ne sais pas si certaines séries sont réellement populaires. Je ne parle pas de Lanfeust, Astérix, Titeuf, Largo Winch... Je parle de BD qui nous sont présentées comme populaires et qui ne se vendent pas, qui sont juste des BD pas bien ou pas très intéressantes et qui ne touchent qu’un public de fans de bandes dessinées. C’est là que je dis que quand on fait du Luc Besson, il ne faut pas s’attendre à être sélectionné au Festival de Cannes ! C’est logique. Il faut savoir qui on est et ce qu’on fait.

Cela dit, c’est normal, le festival a une position presque hégémonique. Nous en avons conscience. Mais ce n’est pas de notre faute. Il y a un lobbying à faire auprès du ministère de la culture, des autorités européennes. S’il y a un pays où la bande dessinée se porte réellement bien, même si la situation est plus complexe que ce qu’on veut bien nous dire, c’est la France ! Il y a une vraie exception culturelle française. En Italie, en Allemagne, en Espagne, cela n’existe pas un tel phénomène. Il y a des décisions politiques à prendre pour l’aide à l’exportation, pour la traduction, comme cela se fait dans le cinéma. Nous, on peut porter ce genre de choses, mais il faut pour cela que les éditeurs en aient la volonté. Par ailleurs, dans l’autre champ de la BD, les petits éditeurs, nous sommes taxés d’être un festival commercial.

Cornélius et l’Association n’ont pas de stand cette année...

Oui mais ils sont là à travers « Littératures Pirates », qui est un festival « in ». Ils n’ont pas souhaité être là pour des raisons de stands qui leur semblaient problématiques. Ils ne boycottent pas le festival.

Propos recueillis à Angoulême le 16 janvier 2005

(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))

Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.

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Code EAN :

Festival International de la BD à Angoulême
Du 26 au 29 janvier 2006.
Plus d’infos : Le Site du Festival

[1Benoît Mouchart est l’auteur d’un livre d’entretien avec Greg, Dialogues sans bulles (Dargaud) et d’un autre avec Martin Veyron, Faiseur d’histoires (Musée de la BD), d’une biographie de Jacques Van Melkebeke, A l’Ombre de la Ligne Claire (Vertige Graphic) et d’une autre de E. P. Jacobs, en collaboration avec François Rivière, La Damnation d’Edgar P. Jacobs. On lui doit également un petit livre d’initiation sur le 9ème art, La Bande dessinée (Cavalier bleu).

[2L’Ascension du Haut mal (L’Association).

[3Le chiffre annoncé en 2005 par le festival était de 200.000 visiteurs.

 
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