Angoulême en est à sa 40e édition, mais vous aussi, vous fêtez un anniversaire en 2013...
Oui, c’est la 33e édition du Salon du Livre, mais cela fait 15 ans que la bande dessinée est un des axes majeurs de la manifestation, en gros depuis qu’on est revenus à la Porte de Versailles et que l’on a de la place. On a essayé de construire une présence de la bande dessinée basée sur quatre piliers que sont les auteurs, dessinateurs et scénaristes, l’art, au travers d’expositions, les éditeurs et quatrièmement, la rencontre avec l’auteur que l’on résume trop souvent par la dédicace, moins fugace en BD qu’avec un auteur de romans.
Quelles ont été les actions marquantes de ces dernières années ?
On a eu des expositions, comme celles de Rosinski, Bilal, Geluck, celle un petit peu boîte à surprise de Poisson-Pilote, l’expo Agatha Christie... Nous sommes très éclectiques, guidés par l’intérêt du client.
Est-ce la consommation du livre a fondamentalement changé au Salon du Livre depuis 15 ans ?
Non, je ne pense pas. Depuis qu’on a démarré les expositions et que l’on fait un peu de pédagogie, avec des master classes ou des Speed Dating entre auteurs et éditeurs, on ne peut pas dire que cela ait beaucoup changé. Il y a bien sûr les mangas, mais ils ont plutôt enrichi le monde de la bande dessinée. Il y a aussi le roman graphique qui a apporté une dimension plus intellectuelle, tandis que les bandes dessinées comme Quai d’Orsay ou les BD politiques lui apportaient une approche un peu plus sociétale. Les auteurs, qu’ils soient dessinateurs ou scénaristes ne s’interdisent plus rien. C’est tellement vrai qu’ils deviennent des hommes-orchestres. Ils font du théâtre, réalisent des films, font des dessins animés. Ce sont des véritables agitateurs.
En termes de fréquentation, vous en êtes à combien de visiteurs ?
Avec Japan Expo, nous sommes les seuls à avoir des chiffres authentifiés. Nous avons 190.000 visiteurs. Je suis incapable de dire combien viennent seulement pour la bande dessinée, mais nos expositions sont largement fréquentées. Tout a lieu dans le même lieu, ce qui est un avantage. Nous ne montrons quasiment que des originaux dans des expositions qui sont faites en étroite collaboration avec les éditeurs et les auteurs.
Cette année, nous fêtons les 20 ans de Titeuf par Zep. Il est complètement partie prenante de cet évènement, en accord avec son agent Jean-Claude Camano et son éditeur Jacques Glénat. Nous avons 30.000 enfants qui viennent avec leur classe. Ils vont tous passer par l’expo.
Nous n’avons pas de problème de chalandise, ni de mentir sur les chiffres. Nous voulons que les visiteurs qui viennent en profitent, sachant que les enfants de moins de 18 ans ne paient pas. Elles permettent de voir comment se dégagent des univers et un savoir-faire qui sont le propre de la bande dessinée. C’est un festival d’auteurs plus que d’éditeurs : il y a 2500 auteurs, et pour la BD, bien plus que dans certains festivals de province.
Il y a un anniversaire que vous ne ratez pas, ce sont les 75 ans de Spirou...
Oui, et nous avons trouvé très bien l’initiative de Frédéric Niffle de faire réinterpréter Spirou par des grands auteurs dans cette "Galerie des illustres" que nous avons choisi parmi les 200 qui existent. Cela montre surtout que la bande dessinée est capable de parodie, qu’elle a cette liberté satirique ou amoureuse par rapport à ses héros.
Est-ce la bande dessinée tient son rang par rapport aux autres invités du salon du livre, que ce soit le roman, le polar, ou encore dans les supports numériques ?
Il suffit de regarder notre programme : tous les grands acteurs de la bande dessinée sont là. Le partenariat avec le Conseil régional d’Île de France favorise la présence des petits éditeurs qui auront cette année une visibilité très forte. Ces éditeurs-là savent pourquoi ils sont là : ils y rencontrent un public très large qui n’est pas un public d’aficionados. La bande dessinée est aujourd’hui là où elle est grâce à eux. Mais il faut dépasser cela. Les mangas l’ont montré : il faut pouvoir exploiter la bande dessinée dans tous les secteurs de la vie culturelle. Quand on voit l’exposition Moebius à la fondation Cartier ou les enchères dans les salles de vente où les bandes dessinées qui atteignent celles de bijoux portés par des princesses du XVIIe Siècle, on se dit que la bande dessinée n’a plus à prouver qu’elle est là. Mais il faut qu’elle passe à un autre stade. Notre but est pédagogique : il consiste à permettre aux auteurs de BD de montrer leur travail à un public varié, qui vient du monde entier.
Notre boulot, c’est d’offrir une bonne programmation. Nous ne tarderons pas à vous annoncer l’arrivée de deux mangakas très connus.
On va aussi découvrir une grande exposition autour du travail d’Arleston où le scénariste de Lanfeust expliquera les raisons profondes de la création du monde de Troy. 200.000 personnes pourront le découvrir. On concocte aussi des choses sur les rapports entre la BD et le cinéma. Vous allez avoir beaucoup de surprises.
On sent dans vos propos sur l’audience des salons filtrer une allusion bien sentie à l’égard du Festival d’Angoulême...
Oui, bien sûr, c’est avéré. Si je faisais 200.000 entrées payantes, je ne crierais pas misère. Je respecte beaucoup le professionnalisme de leurs équipes, je ne respecte pas la manière dont l’argent public est capté par une société privée. Ce n’est pas républicain. J’espère que depuis trois ans qu’on alerte les autorités, elles vont enfin bouger. Ils annoncent 192.000 visiteurs, je ne vois pas comment c’est possible à Angoulême. Il faut que les festivals qui travaillent avec de l’argent public annoncent des chiffres véraces. Pourquoi pas un million ou deux millions ? C’est illégal. En France, l’argent public doit être soumis à un appel d’offre. À Angoulême, la loi est bafouée. Le Conseil Général, le Conseil Régional, la Mairie, le Ministère de la culture, la Chambre de commerce, le Tribunal de Grande Instance... Tout le monde est informé qu’il y a un vice de forme. Il y a une illégalité flagrante. Je ne dis pas qu’il y a malhonnêteté : l’argent que reçoit cette société privée est sans doute dépensé et d’ailleurs, ça se voit : Angoulême, ça coûte cher. Il ne faut surtout pas que cela s’arrête ! Mais des entreprises privées comme le Salon du Livre ou Japan Expo travaillent sur de l’argent privé. Cela ne veut pas dire que le FIBD ne doit pas l’être, mais il s’agit d’une distorsion de concurrence flagrante quand les chiffres de fréquentation ne sont pas contrôlés et que le prix de vente des stands font 30% de moins que le nôtre. On ne peut pas faire deux poids, deux mesures. Il faudrait que ce soit cette association qui reçoive l’argent public, pas une société privée qui n’a aucun contrôle de la part d’organismes habilités à vérifier l’usage de ces fonds publics.
Le Salon du Livre de Paris est contrôlé par la société Reed. Est-ce que vous faites-là une offre publique d’intérêt pour le FIBD ?
Non, pas du tout. Notre métier est d’organiser des salons, pas des festivals. Le boulot du FIBD n’est pas à remettre en question. En revanche quand un festival organise une activité commerciale, comme notre groupe, ou comme la SEFA qui organise Japan Expo, et qu’il y a des distorsions de concurrence, de l’argent public qui permet des choses que nous ne pouvons pas nous permettre, il y a un principe républicain et un principe commercial qui ne sont pas respectés. Le jour où il y aura une transparence, quitte à ce que le même opérateur soit désigné, je n’aurai plus rien à dire.
Pourquoi êtes-vous le seul à vous exprimer ?
Parce qu’il y a des icônes intouchables. Toucher à Angoulême est une faute républicaine, un péché. Nous ne touchons pas à Angoulême, à la crédibilité et à l’histoire du Festival. Il fait des belles expos, les éditeurs sont plutôt contents, là n’est pas la question. Une association qui créerait un comité de pilotage et qui déléguerait à un prestataire, ce serait déjà plus clair. Le Salon du Livre appartient au Syndicat national de l’édition, ce sont des fonds privés, contrairement au FIBD. On ne peut pas laisser entendre que s’il y avait un problème juridique avec son opérateur, le FIBD serait mort. La bande dessinée est forte, pas l’opérateur ou le président du Conseil Régional. Ces gens-là vont et viennent. Les auteurs, Uderzo ou Tardi, les labels d’édition, Casterman ou Dargaud, seront toujours là.
Propos recueillis par Didier Pasamonik
(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))
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